Accès filtrés et fermetures en cascade : la pénurie de soignants aux urgences vire à la « catastrophe », avec déjà 120 services contraints de limiter leur activité ou s’y préparant, prélude pour certains d’un été « atroce ».
De mémoire d’urgentiste, « on n’a jamais connu une telle tension avant même la période estivale ». Manque de médecins, d’infirmiers, d’aides‑soignants ou de « lits d’aval » pour transférer les patients : au moins 120 hôpitaux font face à de graves « difficultés », selon une liste établie par l’association Samu‑Urgences de France (SUdF).
Soit quasiment 20 % des quelque 620 établissements – publics et privés – hébergeant un ou plusieurs services d’urgences. Aucun territoire n’est épargné, avec 60 départements touchés dans toutes les régions, d’après ce décompte qui n’inclut pas la Corse, les Antilles et la Guyane. Pour un praticien exerçant dans l’un des établissements concernés, « la situation est catastrophique ».
Urgences à l’hôpital : « Il faut arrêter de dire qu’on va dans le mur, qu’on va à la catastrophe, [car] nous y sommes », déclare @PatrickPelloux.
> « Il ne faut pas empêcher les gens de venir aux urgences ! », alerte le médecin urgentiste.#CVR pic.twitter.com/EL5jAUIfPf— LCP (@LCP) May 19, 2022
Risque de fermeture la nuit
Signe supplémentaire d’une crise inédite, 14 des 32 plus gros hôpitaux français (CHU et CHR) figurent sur cette liste. Celui de Bordeaux vient ainsi d’instaurer un « accès régulé » chaque nuit entre 20 h et 8 h. Sauf « urgence avérée », impossible de rentrer dans le premier service de Nouvelle‑Aquitaine sans un coup de fil préalable au 15.
Celui de Grenoble, qui tourne déjà avec une équipe mobile du Smur en moins, pourrait suivre, le syndicat des médecins hospitaliers SNMH‑FO y pointant un « risque de fermeture » la nuit « à très court terme » car « de nombreux médecins quittent le service ».
À Chinon en Indre‑et‑Loire, l’activité des urgences est carrément suspendue depuis le 18 mai car la plupart des infirmières du service sont en arrêt maladie. La maternité n’est plus en mesure d’assurer les accouchements.
« Ça risque de s’aggraver »
Le Pr Rémi Salomon, président de la conférence médicale des Hôpitaux de Paris (AP‑HP), a prévenu jeudi sur franceinfo : « On a un risque imminent de rupture d’accès aux soins. C’est déjà en train de se produire et ça risque de s’aggraver de manière assez considérable pendant l’été, au moment des congés ». « Il manque des lits. Il manque des infirmiers pour faire fonctionner les blocs opératoires. Il manque d’urgentistes pour faire tourner les services d’urgences », a déploré le Pr. Salomon.
« Ça va être atroce, du jamais‑vu », avec « des décès inopinés et involontaires » de patients, a même prédit Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), dans un entretien à Ouest‑France mercredi.
Comme beaucoup d’hospitaliers, il réclame une revalorisation rapide des gardes et astreintes de nuit et de week‑end. Mais la crise fait émerger d’autres propositions plus radicales.
« Il faut trier à l’arrivée aux urgences, il ne faut pas permettre à tout le monde d’y aller facilement », a ainsi affirmé Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital parisien Georges‑Pompidou, vendredi sur Public Sénat.
L’armée en renfort ?
Dans les Bouches‑du‑Rhône, où les urgences d’Arles ont évité de justesse une fermeture ce week‑end, le responsable départemental du syndicat SUD‑Santé, Kader Benayed va jusqu’à « solliciter l’armée en renfort », estimant qu’il faut « un électrochoc au niveau national ».
Le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, a pour sa part demandé mardi une « obligation de participation de tous les praticiens » aux gardes médicales, provoquant une levée de bouclier des libéraux qui ont dénoncé des propos « entre mensonges et dérapages ».
Gouvernement absent
Le patron de leur premier syndicat (CSMF), Franck Devulder, n’a pas écarté une obligation collective « à l’échelle des territoires », lors d’une conférence de presse jeudi. À condition toutefois d’un « coup de pouce » pour « rémunérer correctement » les gardes, qu’il a jugé « extrêmement urgent », s’étonnant « de l’attentisme du gouvernement sur un sujet aussi chaud, à seulement quelques semaines des vacances d’été ».
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