Émilie Mayer est experte des produits de grande consommation et directrice des études à l’institut IRi. Selon elle, les prix des produits de consommation vont continuer d’augmenter et ce, minimum, jusqu’à la fin du deuxième trimestre. Pour en savoir plus sur l’inflation qui nous attend en 2023, Émilie Mayer a répondu aux questions de notre correspondant NTD David Vives.
Epoch Times: Les prix de la consommation ont continué de grimper en 2023. Quelle est votre analyse ?
Emily Mayer: Les prix ont continué de grimper sur le début d’année 2023. Si on se refait un peu l’histoire, en février 2022, il n’y avait quasiment pas d’inflation sur les produits de grande consommation. Les prix étaient à plus 0,6% d’inflation. Six mois plus tard, en août, ils étaient déjà 8%. Et puis arrive février 2023, un an après le démarrage de l’inflation, les prix ont augmenté de 14,5%. Ça a grimpé très fort et très rapidement, et forcément, cela nécessite des adaptations de la part des consommateurs. Tout le monde ne peut pas encaisser ces 14,5% d’inflation sans rien changer à ses comportements d’achat. Donc il y a forcément eu des adaptations de la part des consommateurs français.
14,5 %, il s’agit donc d’une moyenne globale. Pouvez-vous détailler ces calculs ?
Alors effectivement, 14,5 % c’est une moyenne globale de l’inflation. Il va y avoir des disparités importantes entre les marques. On va avoir des marques de distributeurs qui sont beaucoup plus inflationnistes autour des 19-20 %, et puis des marques nationales qui, elles, sont plutôt autour de 11-12 % d’inflation. Il y a aussi des disparités entre les catégories de produits, bien évidemment.
14,5%, c’est une moyenne sur à peu près 300 familles de produits que vous trouvez dans un hyper ou un supermarché. Cela va aller de 30 % sur la viande, sur le papier toilette, à quasiment aucune inflation sur le maquillage ou encore sur certaines catégories comme l’alcool où il y a très peu d’inflation.
Quels sont les facteurs qui créent cette inflation?
Il faut savoir qu’en France, en grande distribution, on sortait plutôt d’une petite dizaine d’années de ce qu’on appelait la guerre des prix, où on était plutôt sur une déflation d’année en année. Là, on passe d’une absence d’inflation à une inflation à deux chiffres et ce n’est pas terminé. Il y a tout un faisceau de raisons qui ont provoqué cette hausse brutale des prix.
Avant même la guerre en Ukraine, il y a un an, on savait que les prix allaient déjà augmenter parce que la crise sanitaire a engendré tout un tas de dérèglements divers sur le transport et l’énergie.
L’été 2021 a aussi donné lieu à des excès climatiques très importants. Au Canada, par exemple, on a découvert qu’il pouvait faire 50 degrés au Canada et que cela a significativement amoindri les récoltes de blé. On savait déjà qu’il y aurait de l’inflation. La guerre en Ukraine est venue ajouter de la tension sur des sujets qui étaient déjà en tension, les matières premières agricoles et l’énergie notamment. Sachant que les coûts du transport et les coûts d’emballage ont continué aussi à être très élevés. Donc tout ça mis bout à bout génère l’inflation que l’on connaît aujourd’hui.
La grande distribution met en garde au sujet d’un mois de mars rouge avec des prix pouvant grimper jusqu’à 40 % sur de nombreux articles. Est ce que vous êtes d’accord avec cette analyse et est ce que vous pouvez expliquer les tenants de cette hausse?
Les industriels ont déposé en fin d’année dernière des demandes de hausses de tarifs aux frais de la grande distribution. Là s’est amorcé le cycle de négociations commerciales qui s‘est terminé le 28 février. On parle de certaines familles de produits où des hausses de 40% ont été demandées. En général, en moyenne, on est plutôt autour de 10 à 12 % d’augmentation de tarifs demandés pour couvrir toutes les augmentations de coûts qu’ont eu les industriels.
C’est ce qui a été demandé par les industriels. Le principe de la négociation, c’est qu’à l’arrivée, ça va tasser forcément l’inflation qui va être répercutée concrètement aux consommateurs. C’est le jeu de la négociation. On ne sait pas encore de combien vont augmenter les prix.
Pourquoi parle-t-on du mois de mars ? Parce que, comme les négociations se terminent le 28 février, à partir de là, les nouveaux prix qui auront été négociés vont se mettre en place dans les magasins. Toutes les augmentations ne vont pas se faire sur le mois de mars et ça ne va pas augmenter d’un coup comme ça. Parce que, logistiquement parlant, il faut changer les prix dans tous les points de vente de France, parce que certains magasins ont encore des stocks à l’ancien prix. Donc les prix vont continuer à augmenter de manière progressive tout au long du deuxième trimestre de l’année.
Nous allons donc vivre les conséquences des tractations entamées il y a deux mois dans la grande distribution?
Exactement, il y a toujours une latence. Si vous voulez, ce principe des négociations commerciales fait qu’entre le moment où les coûts augmentent, où les industriels demandent des hausses de prix, où ça se répercute sur la consommation, il peut se passer plusieurs mois effectivement.
Est ce qu’on peut s’imaginer un scénario où l’inflation serait soutenue tout au long de 2023? Faut-il s’attendre à une plus grande fragilisation encore plus grande du budget des consommateurs ?
Absolument. On s’attendait au mois de février à 14,5% d’inflation en moyenne sur les produits de grande consommation. On s’attend, dans les projections, que les prix augmentent encore de 10 à 12 % d’augmentation du fait des négociations avec les industriels. Donc oui, ça va continuer de grimper. On va encore franchir un palier. À la fin de l’année 2023, quand on comparera les prix de 2023 à ceux de 2021 avant que l’inflation ne démarre, on pourrait être sur des augmentations des prix de l’ordre de 20 %.
Encore une fois, cela va obliger les Français à changer leur comportement d’achat probablement plus fortement que ce qu’ils ont déjà commencé à faire en 2022. En réalité, pour modérer cette hausse des prix étiquettes, les consommateurs ont deux grandes stratégies: soit ils vont acheter moins en quantité, soit ils vont chercher à acheter des produits moins chers. On voit déjà que sur les quantités achetées, il y a des restrictions, notamment sur tout ce qui est produits frais, la viande, le poisson, les fruits et les légumes qui sont des produits chers pour les consommateurs et en forte inflation.
On observe aussi que pour les produits qui coûtent cher, par exemple une bouteille d’alcool, un produit de beauté, la valeur est si importante que lorsqu’on la met dans son panier, ça fait monter rapidement la facture du panier. Donc ces produits-là vont être aussi plus délaissés que les autres par les consommateurs.
Les consommateurs ont également opéré une descente en gamme et achetant des marques moins chères. Ils achètent aussi moins de produits labellisés, moins de produits bio, équitables ou Label rouge écologique. Tous ces produits coûtent un peu plus cher, alors ils souffrent davantage que les autres. Une autre stratégie pour faire des économies est encore d’aller dans des enseignes ou des circuits qui sont plus attractifs en termes de prix. Donc tous ces comportements se sont déjà mis en place en 2022, mais on s’attend à ce qu’il soient encore plus fortement lisibles en 2023.
Certains économistes évoquent une dégradation forte du niveau de vie des Français. Est ce que c’est également votre analyse? Est ce qu’on peut parler aujourd’hui de paupérisation ou est-ce qu’on est seulement sur un phénomène temporaire?
Globalement, le secteur sur lequel nous intervenons, ce sont les produits de grande consommation, essentiellement achetés dans les grandes surfaces. On est sur des produits assez essentiels. Dans le contexte actuel, ce secteur là souffre, mais quand même beaucoup moins que d’autres secteurs comme l’habillement, les loisirs, les sorties qui souffrent davantage que les produits alimentaires.
On voit bien que les comportements d’achat sur l’alimentaire reflète effectivement une forme de paupérisation de la consommation. On achète moins de produits frais, par exemple moins de légumes frais, on va acheter plus de légumes surgelés ou de légumes en boîte, moins de poisson frais, mais du poisson en conserve, du thon en conserve, par exemple. Aujourd’hui, les consommateurs, s’ils achètent des produits dits premiers prix, C’est vraiment sous le joug de la contrainte. Cette inflation très forte, elle met en tension certains Français et donc les oblige à dégrader quelque part la qualité de ce qu’ils achètent et de ce qu’ils souhaiteraient acheter.
Comment évalue-t-on les différences entre les différents pays européens, qui semblent observer les mêmes scénarios d’augmentation des prix ?
Globalement, sur les produits de grande consommation, l’inflation est forte dans l’ensemble des pays européens. On retrouve cette tendance dans tous les pays. En revanche, l’inflation nationale est plutôt plus basse en France, de par tous les dispositifs qui ont été mis en place par le gouvernement. On va dire que sur l’alimentation, quand on compare à nos voisins européens en fin d’année 2022, on est tous sur une inflation à deux chiffres et globalement, tous les consommateurs opèrent les mêmes adaptations dans leurs comportements d’achat, que ce soit en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France ou encore en Espagne.
Propos recueillis par David Vives, NTD
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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