Jean-Louis Harouel : « Une destruction progressive des nations d’Europe occidentale se perpètre au nom de l’égalité »

Par Etienne Fauchaire
25 janvier 2025 08:55 Mis à jour: 26 janvier 2025 20:26

ENTRETIEN – La lutte contre les inégalités a occupé une place centrale dans les combats politiques à l’origine des bouleversements majeurs qui ont jalonné l’histoire du monde occidental aux XXe et XXIe siècles. Hier, elle se matérialisait sous la forme du communisme, aujourd’hui, elle prend le visage du wokisme. L’égalité, cette « passion triste qui nous tire vers l’abîme », se situe au fondement des grands maux qui minent notre civilisation, développe Jean-Louis Harouel, professeur de droit émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), dans son ouvrage Les mensonges de l’égalité (éditions de l’Artilleur).

Epoch Times : Vous écrivez que les « crimes du communisme sont des crimes de l’égalité ». Pouvez-vous expliquer pourquoi, selon vous, un monde où l’idée du bien est confondue avec la recherche de l’égalité « sera forcément totalitaire » ? 

Jean-Louis Harouel : De fait, c’est la poursuite obsessionnelle de l’égalité qui a naguère provoqué les crimes de masse du communisme. Celui-ci était mû par la volonté d’instaurer une parfaite égalité. C’est à cette fin qu’il a confisqué les biens, interdit la propriété privée et la libre activité économique, imposé la collectivisation, ce qui n’a été possible que grâce à un usage impitoyable de la violence afin de briser toute résistance.

Il faut bien être conscient que l’égalité n’occupe qu’une toute petite place dans ce qu’on appelle l’intérêt général ou le bien commun. Beaucoup plus que d’égalité, une population a besoin de sécurité, de liberté, de bien-être matériel et moral, de prospérité, de continuité démographique, de richesse intellectuelle et artistique.

Un monde où la recherche du bien commun se trouve remplacée par l’obsession de l’égalité tourne donc délibérément le dos à la réalité, et ce sera forcément un monde totalitaire. Il lui faut en effet une classe de gens qui gouvernent, administrent et jugent en ne prenant en compte que l’égalité, sans nul souci du bien commun. Et la domination de cette classe de gardiens de l’égalité engendre fatalement la tyrannie, et bien souvent le déchaînement de la violence, comme en témoigne l’exemple sanglant du communisme. Dans sa version droits-de-l’hommiste et wokiste, la maladie égalitaire produit un totalitarisme plus feutré mais bien réel, qui a notamment pour effet de détruire les libertés publiques et tout particulièrement la liberté de pensée et d’expression de la pensée.

Quand l’État se donne pour objectif principal de pourchasser les inégalités sous toutes leurs formes pour rendre la société plus égale, il trahit sa mission car il agit  le plus souvent contre le bien commun. L’obsession d’égalité amoindrit ou détruit  la sécurité, la liberté, la prospérité, elle brise la transmission du savoir et la continuité démographique.

On entend souvent que La France insoumise a trahi l’idéal d’égalité porté par la gauche républicaine. Pourtant, vous affirmez que c’est précisément la quête de l’égalité qui, paradoxalement, engendre des inégalités. Pouvez-vous éclairer ce paradoxe ?

C’est effectivement un paradoxe que l’on ne cesse de rencontrer, et que l’on pourrait formuler ainsi : Toute action visant à combattre une inégalité est habituellement à l’origine d’une autre inégalité. Les exemples abondent. Le plus terrible concerne le communisme. Car l’obsession d’égalité du pouvoir soviétique a débouché sur les privilèges occultes de la classe politique, la nomenklatura. Non seulement ses membres jouissaient de conditions de vie enviables au regard de la pénurie endémique dont souffrait la population, mais encore ils disposaient d’un droit de vie et de mort sur leurs concitoyens, ce qui est la forme suprême de l’inégalité.

Un autre exemple frappant est le saccage de l’enseignement public français au nom de l’égalité, qui a eu pour résultat le blocage de l’ascenseur social. L’effondrement du niveau des études résultant du dogme égalitaire imposant pour tous un parcours scolaire uniforme a restreint l’ascension sociale des enfants des classes populaires sans gêner la réussite sociale des enfants des classes supérieures et moyennes. Ceux-ci furent désormais, grâce à leur famille, les seuls à pouvoir accéder à un assez bon niveau de formation. Si bien que l’égalitarisme scolaire a abouti au renforcement de l’inégalité. Et le coût de ce gâchis est immense, puisqu’au nom de l’égalité, on a largement renoncé à la transmission du savoir, ce qui place la France en situation d’infériorité par rapport aux pays, et notamment ceux d’Asie, où l’école continue de transmettre prioritairement des connaissances et d’inculquer le goût de l’effort et du travail bien fait. Cela confirme malheureusement la mise en garde du grand mathématicien Laurent Schwartz qui, dès 1981, nous avait prévenus que l’égalitarisme scolaire nous préparait un avenir de pays sous-développé.

Vous décrivez le « grand remplacement » comme une « maladie de l’égalité ». Pouvez-vous approfondir cette analyse et expliquer en quoi cette notion est liée à une dérive égalitariste ?

Le « grand remplacement » – terme dont la légitimité a été reconnue par Jacques Julliard – résulte de l’action conjuguée de deux phénomènes : d’une part, un déficit des naissances provoquant le creusement d’un énorme vide démographique ; d’autre part, le comblement de ce vide au moyen d’une énorme immigration extraeuropéenne. Or, à l’origine de ces deux phénomènes, on trouve l’obsession égalitaire.

C’est dans une grande mesure au nom de l’égalité qu’ont été adoptées les politiques publiques responsables du déficit des naissances qui détruit lentement mais sûrement les pays d’Europe occidentale, et que le professeur de droit Yves Lequette appelle un « génocide mou ».

L’émancipation des femmes par la vie professionnelle étant défavorable à la natalité, celle-ci aurait dû être vigoureusement encouragée pour assurer le renouvellement des générations. Au lieu de quoi on a, par passion égalitaire, presque entièrement supprimé la politique familiale pour les classes moyennes et aisées. De plus, la ferveur égalitaire a grandement contribué à la montée en puissance de l’avortement. L’argument de l’égalité entre les femmes avait été invoqué par Simone Veil en faveur de sa loi de 1974 légalisant l’avortement. La recherche de l’égalité entre les femmes et les hommes a été mise en avant par l’Assemblée nationale pour proclamer que l’avortement était un « droit fondamental », droit qui sera finalement constitutionnalisé en 2024.

Or, toujours au nom de l’égalité, il a été considéré comme bon de compenser l’insuffisance des naissances européennes par l’arrivée massive de masses de gens principalement originaires d’Afrique et très souvent de religion et de civilisation musulmanes. Ne voulant connaître à travers le monde que des individus que leur égalité doit rendre interchangeables, la religion des droits de l’homme présente l’immigration comme un phénomène juste et bon inscrit dans le sens de l’histoire.

Ainsi, l’obsession égalitaire a conduit à la fois au déclin démographique de l’Europe occidentale et au remplacement de tous les Européens qu’on a empêchés de naître par des populations issues d’autres peuples, d’autres civilisations. Une destruction progressive des nations d’Europe occidentale se perpètre au nom de l’égalité.

Vous affirmez que les inégalités constituent un « outil de civilisation ». Comment, selon vous, leur existence a-t-elle contribué à la formation et à l’essor des grandes civilisations ?

Fondamentalement, la civilisation est un processus inégalitaire. Civilisation et inégalité sont indissociables car ce sont deux visages d’un même phénomène. Depuis la préhistoire, l’histoire de la civilisation a été l’histoire de l’inégalité. À travers les millénaires et les siècles, les sciences, les arts, la littérature et la pensée furent le fruit de sociétés inégalitaires, et souvent esclavagistes. Si bien qu’il y a une légitimité objective de l’inégalité, attestée par l’histoire.

Les découvertes mathématiques de Pythagore ou de Thalès, la pensée de Platon ou d’Aristote, l’œuvre de Léonard de Vinci, de Michel Ange ou de Mozart ne pouvaient être le fait que d’une société inégalitaire. C’est l’existence de fortes inégalités sociales qui a rendu possible l’épanouissement de civilisations brillantes. Tout au long de l’histoire, l’existence de la vie intellectuelle et artistique a été conditionnée par l’existence d’une minorité de riches et de puissants. Il y avait dans les sociétés anciennes, caractérisées par un faible niveau de vie moyen, une entière incompatibilité entre l’égalité sociale et la vie intellectuelle et artistique.

D’ailleurs, la conscience de l’antinomie entre égalité et civilisation se trouvait présente chez ces partisans du communisme que furent Babeuf et ses amis. Les membres de la conjuration des Égaux, découverte en 1797, étaient conscients que le monde de parfaite égalité dont ils rêvaient ne pouvait que faire mourir la vie artistique et intellectuelle, et ils l’assumaient pleinement. Dans le programme des babouvistes, intitulé le Manifeste des égaux, on peut lire : Périssent, s’il le faut, tous les arts, pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle. Pour ces révolutionnaires radicaux, la cité égalitaire de l’avenir devrait se passer d’intellectuels et d’artistes. C’était le prix à payer pour l’avènement de la sainte égalité.  

Vous expliquez aussi que cette passion de l’égalité trouve ses racines dans la pensée gnostico-millénariste. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

L’origine de la frénésie d’égalité qui règne dans le monde occidental se trouve dans deux grandes hérésies : le millénarisme et la gnose. Pendant de nombreux siècles, le projet communiste a été véhiculé par le millénarisme révolutionnaire, qui annonçait que le Christ allait revenir pour fonder un royaume de mille ans où l’on vivrait dans un bonheur total grâce à une société parfaitement égalitaire. Quant à la gnose, porteuse d’une révolte contre la continuité de l’humanité – rejet de la famille, de la procréation – ainsi que contre les règles sociales et la morale commune, elle sacralisait l’individualisme et récusait sur un mode égalitariste tout respect pour les autorités et les supériorités, si légitimes fussent-elles. Au XIIe siècle, les deux hérésies vont se trouver associées par un mystique, l’abbé Joachim de Flore, dont la pensée fut à la source du mythe progressiste. Du fait de sa double origine, celui-ci allait présenter deux visages : utopie sociale (du côté du millénarisme) et utopie sociétale (du côté de la gnose).

Il y aura ensuite passage d’une pensée gnostico-millénariste inspirée par l’idée du divin à une nouvelle version de la même pensée ne se réclamant plus que de l’humain. La vieille hérésie progressiste s’est transformée en une religion séculière. Forgé par de grands sociologues – Raymond Aron, Jules Monnerot –, ce terme désigne, on le sait, le déplacement du sacré vers des formes religieuses sécularisées. C’est ainsi que s’est développée au cours des derniers siècles une religion de l’humanité, dont les idées fondatrices proviennent pour l’essentiel du millénarisme et de la gnose, et qui constitue à beaucoup d’égards une religion de l’égalité.

Héritage du vieux progressisme mystique, la religion de l’humanité est construite sur une croyance en un sens de l’histoire appelée historicisme, idéologie selon laquelle l’histoire serait le cheminement de l’humanité vers une ère radieuse de bonheur éperdu. Au cours du XXe siècle, ses principales formes ont été le socialisme, tout particulièrement dans sa version communiste, et le droits-de-l’hommisme qui a pris sa suite, tous deux poursuivant le même objectif : l’émancipation de l’humanité par la parfaite égalité. Depuis quelques décennies, les droits de l’homme ont remplacé le communisme comme utopie censée instaurer le règne du bien sur la terre. Sous le signe inchangé de la furie égalitaire, l’utopie sociale a fait place à l’utopie sociétale.

En étroite association avec le wokisme, qui n’est que son visage « agit-prop », la religion séculière des droits de l’homme est aujourd’hui la grande forme religieuse sécularisée de l’Europe occidentale. Or, la religion des droits de l’homme, du fait de son obsession de traquer toute forme de discrimination, a pour effet de ruiner la démographie des Européens, de les priver de la liberté d’expression, ainsi que de les culpabiliser et de les désarmer moralement aussi bien que juridiquement face à des défis aussi graves que le déferlement de l’immigration extraeuropéenne et l’intrusion d’un islam de masse. L’obsession égalitaire, dans sa version sociétale, qui inspire la religion des droits de l’homme, est tout simplement suicidaire pour les peuples européens.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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