L’Assemblée nationale s’empare lundi du projet de loi de programmation de la Justice d’Éric Dupond-Moretti, une trajectoire de hausse des postes et du budget qui s’annonçait plutôt consensuelle, mais qui prend un tour polémique avec les émeutes urbaines et leur sanction.
Après un large soutien du Sénat le 13 juin, le garde des Sceaux entame dans l’après-midi ce débat au Palais Bourbon dans un contexte politique compliqué, avec les nuits d’émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel, tué par un policier en forçant le passage d’un contrôle routier.
Les arrestations se sont multipliées et la justice « tape fort », assure le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Pas assez pour les partis de droite qui dénoncent un « laxisme » passé.
« Il faut qu’il y ait des incarcérations quasi systématiques », a réclamé le patron de LR Eric Ciotti qui demande d’ajouter 5000 nouvelles places de prison supplémentaires au plan prévu, pour atteindre un parc pénitentiaire de 80.000 places en 2027. Sinon « je ne voterai pas cette loi », a-t-il averti.
Réduire les délais de justice
M. Dupond-Moretti va défendre deux textes dans l’hémicycle jusqu’au 11 juillet : la programmation budgétaire 2023-2027 de son ministère et un volet « organique » sur le statut des magistrats.
L’ex-avocat promet une hausse « inédite » du budget, établi à près de 11 milliards d’euros en 2027, contre 9,6 milliards aujourd’hui, et l’embauche de 10.000 personnes, dont 1500 magistrats en cinq ans.
Confronté à la colère des greffiers, en grève lundi pour réclamer plus de moyens et de considération, Éric Dupond-Moretti a insisté sur France Inter sur sa volonté de « concertation » et sur les 1500 postes supplémentaires promis dans son texte.
Avec cette loi, « l’objectif est simple : je veux diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici à 2027 », lance le ministre.
C’est « ambitieux, mais jouable », assure le député et rapporteur général du texte Jean Terlier (Renaissance), qui souligne ce qui a déjà « été réussi » en matière de justice pénale des mineurs : des « délais réduits de 18 mois à 8 mois » grâce à une réforme entrée en vigueur fin septembre 2021.
Réviser le code pénal
Le texte autorise aussi le gouvernement à réécrire par ordonnance le code de procédure pénale, dont beaucoup soulignent la complexité actuelle avec ses plus de 2400 articles. Lancé en janvier, le chantier devrait durer au moins un an et demi et le ministre s’est engagé à ce que le nouveau code n’entre pas en vigueur avant d’avoir été ratifié au Parlement.
Le très large article 3 du projet de loi fait controverse, avec sa batterie de mesures dont l’extension du recours aux perquisitions de nuit. Point le plus décrié par la gauche, cet article permet d’activer à distance les téléphones portables et objets connectés de personnes visées dans des enquêtes pour terrorisme, délinquance et criminalité organisées, afin de capter images et son.
Ce n’est « pas Big Brother », insiste le co-rapporteur Erwan Balanant (MoDem), qui souligne que seules les affaires « les plus graves » sont concernées, « quelques dizaines » seulement, et que l’approbation d’un juge sera indispensable.
Mais des avocats et défenseurs des libertés publiques sont déjà montés au créneau contre une « atteinte à la vie privée ». À l’Assemblée, les Insoumis, vent debout contre cette disposition « liberticide », défendront d’emblée une motion de rejet global du projet de loi. La socialiste Cécile Untermaier s’inquiète quant à elle d’une mesure « très intrusive ».
Des garanties pour certaines professions
La disposition devrait toutefois passer avec le soutien du camp présidentiel, de la droite et du Rassemblement national. Les députés ont renforcé des « garanties » avec davantage de professions « protégées » de toute captation : journalistes, médecins, notaires, huissiers, s’ajoutant aux avocats, magistrats et parlementaires.
Les débats dans l’hémicycle donneront l’occasion à Éric Dupond-Moretti de s’adonner aux joutes verbales dont il a le goût, particulièrement avec LFI ou le RN. « King Kong, quand il vient au banc » des ministres, « c’est pas forcément un gage d’apaisement non plus », reconnaît une élue macroniste.
Habitué de l’exercice, l’Insoumis Ugo Bernalicis a déjà titillé le ministre en commission, en comparant son texte à la loi de programmation du ministère de l’Intérieur, la LOPMI.
En cumulé sur cinq ans, « vous avez obtenu moitié moins que Gérald Darmanin : 7,5 milliards, contre 15 milliards », lui a-t-il lancé.
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