Qu’ils l’applaudissent ou la combattent, les observateurs de la Chine sont impressionnés par sa croissance. À mon avis, c’est une erreur. Je pense que les bases de cette croissance sont insidieusement menacées à moyen terme, et qu’en attendant il y a un très sérieux problème à court terme.
Je répète d’abord qu’« il n’y a pas de miracle chinois », s’agissant d’un rattrapage à partir d’un point terriblement bas, rattrapage dont la force diminue au fur et à mesure que l’on arrive au niveau des concurrents.
C’est ce qui s’est passé au Japon. Autrement dit, ce n’est pas la Chine dont le développement est miraculeux, ce sont les pays africains qui ont gâché leurs possibilités.
Une raison de mon apparent démenti par les faits est que je base mon analyse sur deux éléments qui n’agissent que progressivement et à long terme : l’évolution démographique et un isolement intellectuel doublé d’une censure finissant par freiner la créativité.
Il me semble que ces deux éléments sont plus que jamais d’actualité, et notamment que l’évolution démographique va voir ses effets précipités par la bulle immobilière.
L’évolution démographique commence à perturber l’économie
La politique de l’enfant unique date de 1979 et s’est révélée catastrophique. Elle a été assouplie plusieurs fois et la limite est maintenant de trois enfants. On se demande d’ailleurs pourquoi il y a encore une limite, sauf pour ménager la très puissante administration chargée de contrôler les naissances, outil de surveillance et de corruption.
Le gouvernement est très soucieux de ce déclin démographique et essaie de prendre des mesures. Mais il faut rappeler que toute mesure, même si elle a du succès, n’a des effets que progressivement de 20 à 85 ans plus tard.
Autrement dit, le problème démographique est là pour très longtemps. Et peut-être définitivement, car aucun pays n’a trouvé de moyen vraiment efficace de relever la fécondité.
On pointe souvent une exception française d’augmentation puis de recul modéré de la fécondité. Cette exception est réelle, mais doit être relativisée, car elle a surtout été nette dans l’après Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire lors du rattrapage de la séparation des couples pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce fut un phénomène mondial simplement plus accentué en France qu’ailleurs.
Cette exception française modérée s’explique par une organisation sociale généreuse avec dans un premier temps des allocations et cadeaux fiscaux. Manne qui s’est ensuite considérablement réduite, entraînant une rechute de la fécondité. A joué aussi la multiplication des crèches, qui ne pourra guère aller plus loin faute de ressources humaines.
Mais revenons à la Chine.
La crise démographique étant un phénomène lent et progressif, sa perception l’a été tout autant. En particulier le lien n’a pas été fait avec la hausse rapide des salaires, qui a entraîné des délocalisations notamment pour le Vietnam.
Mais aujourd’hui la prise de conscience est nette, car elle a été précipitée par le recensement de 2020, dont la publication a été retardée, peut-être pour « l’améliorer ».
Une deuxième conséquence de cette crise démographique est celle de l’immobilier.
Démographie, crise immobilière et croissance
Résumons les données diffusées par la presse économique, de toutes tendances et de tous pays, depuis une quinzaine de jours : le groupe immobilier du magnat Xu Jiayin, Evergrande, a 300 milliards d’euros de dettes, est en retard sur ses échéances, avec 100 à 200 millions de dollars d’impayés depuis quelques jours.
On voit venir le moment où il ne pourra plus payer ses fournisseurs et mettra donc en péril la livraison des logements déjà vendus sur plan à de nombreux Chinois.
D’autres très grands promoteurs sont dans le même cas et, depuis le 6 octobre, on cite notamment le défaut de paiement de l’entreprise Fantasia.
Or la bulle immobilière chinoise, touche un secteur qui pèse 30% du PIB chinois en y incluant les industries liées comme l’acier, le ciment, l’ameublement…
J’ai choisi le terme de « bulle » par ce qu’une partie des achats d’appartements sont purement spéculatifs : ceux qui les achètent n’ont pas besoin de se loger mais espèrent les revendre plus cher. Les prix atteignent maintenant 40 ans d’économie d’une famille bourgeoise.
Cette description par la presse économique internationale est exacte, mais a le défaut de se borner à une question financière.
Or, s’il s’agissait seulement d’un problème financier, il serait douloureux mais soluble. En réalité, il s’agit surtout d’un problème « physique », c’est-à-dire démographique, à savoir qu’il n’y a pas assez de Chinois pour remplir les immeubles construits et plus généralement pour faire fonctionner à plein régime les multiples infrastructures construites (autoroutes, TGV…). Ce problème est donc insoluble.
Cela signifie qu’une partie des investissements passés sont perdus.
Non seulement le PIB a été gonflé artificiellement, comme dit dans mes articles précédents, mais on arrive maintenant au moment où les pertes correspondantes vont être payées d’une manière ou d’une autre.
En effet, les pertes vont se matérialiser via différents canaux, tels que par exemple :
- par la disparition d’une partie de l’épargne populaire dans des logements payés mais finalement non livrés,
- ou par l’érosion de cette épargne populaire par l’inflation,
- ou par des hypothèques impayées si la valeur des logements saisis baisse,
- ou encore par la perte de la valeur des actions des entreprises concernées, car l’épargne chinoise est souvent placée en bourse…
C’est également le cas de l’épargne américaine d’ailleurs, qui sera elle aussi atteinte par le non-paiement des intérêts puis du capital des titres émis par Evergrande ou d’autres entreprises chinoises dans le monde entier.
Enfin, l’économie collective fera face à une autre menace financière : les autorités locales se finançant largement par l’appropriation de terres rurales à bas prix transformées administrativement en terrains constructibles ne pourront plus utiliser ce moyen si la construction s’arrête. Et elles se trouveront aussi de ce fait en défaut de paiement, entraînant en cascade tous leurs fournisseurs.
Le contrôle des échanges intellectuels
Un autre facteur va rejouer progressivement à long terme : un certain isolement intellectuel qui va freiner à mon avis l’innovation. Je dis bien à mon avis car beaucoup d’observateurs estiment que la dimension du marché chinois et le nombre d’ingénieurs permettront de maintenir le rythme.
La raison de mon opinion repose sur le fait qu’une grande partie de l’innovation passée provient :
- des entreprises étrangères qui se sont installées en Chine,
- des Chinois ayant étudié à l’étranger, particulièrement aux États-Unis, ayant commencé une carrière de chercheur ou de cadre supérieur en Occident et qui sont revenus en Chine à la demande du gouvernement ou de grandes entreprises chinoises,
- de la diaspora d’origine chinoise, aux États-Unis également, mais aussi dans les pays du Sud-Est asiatique et particulièrement en Thaïlande et en Indonésie, sans parler de Singapour. On pourrait aussi évoquer Taiwan qui a beaucoup aidé au développement chinois ces dernières décennies, au-delà des questions politiques. Les Taïwanais ont beaucoup d’intérêts en Chine, ce qui a généré des apports scientifiques et technologiques.
Or ces trois relais sont menacés par la politique actuelle :
- la Chine rappelle de plus en plus brutalement aux entreprises étrangères et nationales ayant des intérêts à l’étranger qu’elles doivent d’abord obéir au Parti Communiste Chinois et notamment lui permettre l’accès à leurs données.
- Quant aux deux catégories de Chinois de l’étranger ci-dessus, Pékin leur rappelle qu’ils doivent être loyaux au pays d’origine, ce qui les fait considérer comme des espions par le pays de résidence.
Cela s’ajoute à la surveillance des communications avec le reste du monde notamment par Internet, ce qui isole un peu plus la Chine du reste du monde.
Certes, les données, les qualifications et habitudes accumulées depuis des décennies représentent encore un potentiel créatif considérable et le pouvoir va veiller à entretenir ce potentiel par la formation massive d’ingénieurs et de scientifiques.
Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que tout cela va rester un cran en dessous de ce qui aurait été possible dans le cadre d’une coopération mondiale plus détendue.
Pékin s’efforce d’atténuer cette évolution en continuant à attirer les entreprises occidentales avec un certain succès. Les investissements étrangers, notamment américains, continuent à être très importants : « Nous ne pouvons pas être absents du premier marché mondial, ni être les victimes de problèmes politiques entre notre pays et la Chine ».
L’avenir dira si le durcissement du contrôle politique qui touche toutes les entreprises, s’ajoutant à la pénurie de main-d’œuvre pour des raisons démographiques, auront raison de cette appétence chinoise de la part des entreprises occidentales.
Enfin, une autre menace à long terme de la créativité chinoise est la censure généralisée dans la presse, les réseaux sociaux, les échanges culturels avec l’étranger, bref la vie des idées en général. Même s’il ne s’agit pas directement d’échanges scientifiques ou techniques, internes à la Chine cette fois, je pense que ça ne peut avoir qu’un effet négatif.
Des menaces aussi sur le court terme ?
J’ai pointé des menaces à long terme sur la croissance chinoise. Elles risquent d’être oubliées avant de se concrétiser. Mais, en attendant, le court terme ne se porte pas très bien non plus, et pas seulement à cause de l’immobilier.
Si la première vague de la pandémie avait été combattue et suivie par une vigoureuse reprise économique, une deuxième vague est arrivée qui a obligé à vacciner d’urgence la masse de la population tout en remettant en place de stricts confinement locaux qui ont gêné la production.
L’offre a également été gênée par des mesures antipollution traduisant au moins partiellement les engagements de la Chine dans ce domaine, mais aussi la demande de la population fortement touchée par la pollution.
Cela au moment où la demande de produits chinois augmente du fait de la vive reprise du reste du monde.
Résultat, des pénuries qui commencent à se répercuter sur la population, notamment pour l’électricité qui est encore majoritairement produite avec du charbon.
Ainsi, dans les provinces du Sud, 126 millions d’habitants ont interdiction de faire marcher leur climatiseur en dessous de 26° et de prendre l’ascenseur pour les trois premiers étages. Les horaires de nombreux centres commerciaux se réduisent pour limiter la climatisation et l’éclairage. Au Nord, ce sont les chauffe-eau et les fours à micro-ondes qu’il ne faut pas utiliser pendant les pics de consommation.
Bref, le niveau de vie réel baisse. Et cela continuera avec les répercussions du freinage de la croissance du fait des coupures d’électricité dans l’industrie.
Étendre la puissance par d’autres moyens
Je pense que les autorités chinoises sont tout à fait conscientes de ces problèmes économiques et de la baisse de la croissance qui devrait en résulter.
Or, le désir de reconnaissance de la Chine est grand. Et quand je dis « reconnaissance », d’autres disent « volonté de puissance », voire « impérialisme brutal ». Cela s’est traduit notamment par la transformation des diplomates en « loups combattants ».
Donc si la puissance économique grandit moins vite que prévu, il reste le développement impressionnant de la marine de guerre, et celle de l’influence économique et médiatique. Là aussi, c’est une expression modérée puisqu’on entend plus souvent « néocolonialisme » et « intimidation brutale ».
À partir de là, on peut imaginer deux évolutions possibles.
L’une, réaliste, les Chinois étant réputés pragmatiques, serait de libéraliser le régime. Cela peut venir du président Xi, ou de remous intérieurs qui le feraient remplacer par quelqu’un d’autre. L’intéressé semble avoir senti le danger, puisqu’il vient d’éliminer un certain nombre de cadres proches du sommet, sous prétexte de corruption. Accusation vraisemblable mais qui pourrait toucher presque tout le monde.
L’autre évolution serait une crispation politique face à ces difficultés. Elle serait doublement négative, d’une part pour les Chinois, d’autre part pour les ennemis que l’on prendrait comme boucs émissaires, par exemple les Taïwanais hostiles à une réunification forcée et leurs alliés, notamment américains. Ou encore les pays riverains de la mer de Chine du Sud qui protestent contre l’annexion de fait de leur domaine maritime par Pékin. Bref, une augmentation des tensions internationales.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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