Peu d’œuvres d’art sont aussi connues aujourd’hui que Le Penseur du sculpteur français Auguste Rodin. La monumentalité de cette figure monolithique semble se suffire à elle-même, capable de symboliser l’activité humaine la plus sophistiquée : la pensée. Il n’est pas étonnant que cette image, depuis sa popularité croissante en 1903, soit l’œuvre d’art la plus fréquemment utilisée pour représenter la philosophie.
Ici, l’homme nu est perdu dans la contemplation. Une main repose aisément sur sa rotule, tandis que l’autre soutient sa tête pesante. Son coude droit, qui traverse sa poitrine vers la gauche, guide l’ensemble du corps dans une torsion tendue mais contenue. Les muscles tendus ondulent sur la figure, mais ils ne déforment ni ne perturbent la posture silencieuse et l’esprit pensif. C’est l’image simple d’un homme assis sur un rocher, dont l’expression se trouve uniquement dans le langage du corps.
Dante contemplant la souffrance
Avant de nous être familier en tant que grande figure autonome, Le Penseur a en fait été conçu comme un élément d’un groupe sculptural plus vaste. En 1880, Rodin est chargé de mouler l’entrée du futur musée des Arts décoratifs de Paris.
Inspiré par sa lecture de la Divine Comédie de Dante, Rodin a modelé la monumentale Porte de l’Enfer avec des scènes de la poésie de Dante. Incrustés dans de turbulentes vagues de bronze, des petits personnages issus des différents épisodes de l’ « Enfer » mettent en scène leurs souffrances respectives : Paolo et Francesca, condamnés pour leur adultère, sont balayés par des vents violents ; Ugolino, affamé, est poussé à manger ses enfants en punition de sa trahison et de sa perfidie.
Au-dessus des portes, dans le tympan et parmi les chairs tordues et entrelacées, est assis Le Penseur, une représentation sereine du poète Dante contemplant la vision de la souffrance infernale dans laquelle il se trouve.

Il ne s’agit pas d’une représentation conventionnelle de Dante. Connu sous le nom de poète lauréat à la robe rouge, le Florentin médiéval n’était jamais apparu sous les traits d’un athlète nu. La sculpture de Rodin élève donc la spécificité du personnage historique à un niveau symbolique, célébrant la grande profondeur de sa pensée par la force de la figuration classique.
Pour ce faire, l’artiste s’est tourné vers la sculpture de l’Antiquité gréco-romaine et son intermédiaire, la Renaissance, à travers laquelle l’art antique s’exprime à nouveau. L’admiration de Rodin pour la puissance des sculptures de Michel-Ange l’a conduit non seulement à imiter le style du maître, mais aussi à aller directement à la source de ce mouvement classique.
À Rome, Rodin étudie la richesse de la ville en statues anciennes. Il devait connaître intimement le célèbre fragment du Torse du Belvédère, présent à Rome depuis les années 1430, qui a inspiré des générations d’artistes, de Michel-Ange à Pierre Paul Rubens. Créé il y a environ 2000 ans, le torse brisé capture encore la puissance contenue qui repose dans le corps nu classique, que l’on peut entrevoir à travers la compression chargée de l’abdomen et le retournement subtil des épaules.
Inspiré par les vestiges fracturés de l’Antiquité et les marbres inachevés de Michel-Ange, Rodin explorera plus tard cette esthétique avec ses œuvres intentionnellement fragmentaires. Ses dernières œuvres sculpturales n’étaient toutefois pas aussi traditionnelles. Dans Le Penseur, le sculpteur a réinterprété le torse puissant avec des membres et une tête, comme Michel-Ange l’avait fait dans ses fresques de la Sixtine.

En fin de compte, Rodin a inventé quelque chose de tout à fait unique, qui a donné à l’ancien et au classique de nouvelles significations. Le nu grec héroïque est passé par le dynamisme tendu de Michel-Ange à Rodin, qui a utilisé toute sa simplicité et sa clarté pour exprimer la force de l’idée créatrice d’un poète.
Le penseur est assis sur le rocher déchiqueté. Bien que chaque strie musculaire soit prononcée, le corps entier reste immobile, n’exprimant aucun drame explicite, mais contenant une mer d’émotions. Paradoxalement, la rotation du torse, facilitée par le croisement des coudes, révèle une posture puissamment contorsionnée de l’image apparemment tranquille.
L’homme est perdu dans ses pensées, absorbé en lui-même. Les pensées troubles qui occupent son esprit n’ont d’autre exutoire visuel que la tension intense mais subtile de son corps physique. Telle était la pensée du Dante de Rodin – la pensée du Ciel et de la Terre, de la mort et de la souffrance – qui transcende le temps séculaire pour remuer profondément l’esprit de tout être humain.
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