Des bisons, mammouths, chevaux gravés à même la pierre et des restes humains datant d’environ 30.000 ans : découverte il y a 25 ans en Dordogne, la grotte de Cussac est un joyau immaculé et fragile de la Préhistoire, drastiquement protégé par l’État.
Une équipe de journalistes AFP a pu pénétrer pour la première fois dans cet antre, où seuls les chercheurs sont habituellement autorisés pendant quatre semaines par an.
Passée la grille d’accès en fer, il faut enfiler une combinaison blanche, charlotte et gants et désinfecter ses semelles, avant de franchir à quatre pattes un exigu corridor, traversant l’éboulis qui a cloisonné les lieux pendant des millénaires.
Puis cheminer, à la lumière d’une lampe frontale, dans de vastes galeries de stalactites et stalagmites sur un étroit chemin argileux, respectant scrupuleusement le tracé emprunté par Marc Delluc lors de sa découverte en septembre 2000.
Ce spéléologue amateur avait détecté un courant d’air dans un abri sous roche. Après avoir désobstrué une à une des plaquettes de calcaire, il parcourut une centaine de mètres avant d’avoir « une poussée d’adrénaline » en voyant des courbes et silhouettes s’enchevêtrer au-dessus de sa tête.
« J’ai pris conscience du privilège qui m’était accordé : celui d’entrer dans un lieu sacralisé depuis la nuit des temps », racontera ultérieurement Marc Delluc, mort en 2017, et qui avait dû alors rebrousser chemin, « l’esprit bouillonnant », devant la faiblesse de son éclairage.
Longue de 1,6 km, la grotte recèle plus d’un millier de figures complètes ou partielles, animales et féminines, tracées d’un geste de grande ampleur sur la roche tendre à la période dite du « Gravettien », entre -35.000 ans et -26.000 ans, soit plusieurs millénaires avant Lascaux.
« Exceptionnelle en raison de son état de conservation »
« La grotte de Cussac est notamment exceptionnelle en raison de son état de conservation, parce qu’elle a été fermée probablement très rapidement après son occupation, ce qui a permis de préserver les sols et les vestiges qui y ont été déposés », relève Émeline Deneuve, conservatrice en chef du patrimoine à la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) de Nouvelle-Aquitaine.
Des griffades et le polissage des parois attestent de la présence de l’Ours des cavernes, lointain cousin de l’ours brun. Et c’est dans leurs bauges, qu’ils creusaient pour hiberner, que des restes humains, contemporains de l’art pariétal, ont été déposés. Six individus ont été identifiés.
Une association « complètement unique », juge Jacques Jaubert, archéologue responsable du projet de recherche pluridisciplinaire.
Selon lui, cette grotte était un « sanctuaire, un site où il n’y avait pas de vie quotidienne », à l’accès périlleux, « avec des lampes et torches mobiles pouvant s’éteindre à tout moment ». « Le groupe vivait à l’extérieur dans des abris sous roche ou en plein air », ajoute-t-il.
Un lieu de passage mystique
Pour expliquer la présence de l’homme, il évoque une possible « épreuve réservée à des adolescents pour passer dans le monde des adultes », connue en ethnographie chez les groupes primitifs de chasseurs cueilleurs.
Les Gravettiens auraient aussi perçu la grotte « comme un lieu de passage entre le monde des vivants et le monde des morts », pointe le préhistorien.
Et les gravures seraient autant de « fragments de mythologie » représentés à l’aide d’outils tranchants (silex, bois et os) dans un style « homogène » et « maniéré ».
Bouquetin, rhinocéros, oie… Les corps d’animaux et de représentations féminines stylisées sont souvent déformés, avec de grosses têtes et des pattes fines et minuscules.
L’artiste gravettien, perché sur des blocs, n’avait alors « pas de vision complète » du fait de sa position sous une paroi plafonnante et pouvait s’adresser à un « auditoire » en contrebas, selon la pariétaliste Valérie Feruglio, qui étudie les superpositions des représentations.
« Après avoir testé la paroi de ses mains laissant des méandres digitaux, le graveur débute par de premières figures animales, sur lesquels d’autres se superposeront » pour illustrer un récit « raconté par l’artiste ou le spectateur avec principalement des bisons en frise, d’autres oblitérés par des chevaux ou encore des mammouths associés à des silhouettes féminines », explique la préhistorienne, avant de redescendre pour des travaux de photogrammétrie.
Cet outil technologique 3D, parmi d’autres, permet de s’aventurer là où les pieds de l’homme moderne ne peuvent pas aller.
Car la recherche dans la grotte partiellement explorée doit se plier à des mesures draconiennes pour conserver ce site fragile, classé au titre des Monuments historiques dès 2002 et du Code de l’environnement. Son bassin versant est protégé, les travaux sylvicoles, agricoles et d’urbanisme, comme les conditions de circulation, sont fortement encadrés.
« Nous sommes garants de la préservation et de la documentation du site, et, comme la cavité se porte bien, nous soutenons la démarche de recherche qui y est menée, tant qu’elle répond aux enjeux patrimoniaux de conservation. La documentation de la cavité et sa numérisation 3D sont aussi faites dans le but de la restituer au public », note Émeline Deneuve.
À partir de cette donnée, financée par le ministère de la Culture, le département a monté une exposition gratuite, avec des facs-similés, depuis octobre au Buisson-de-Cadouin.
Le public ne sera en effet jamais autorisé à pénétrer dans la grotte pour des questions de sécurité et d’aménagement aux normes mais aussi d’aérologie.
Car l’État n’entend pas reproduire les erreurs de la grotte de Lascaux (Dordogne), contaminée par des microorganismes, liés à un afflux de visiteurs avant sa fermeture en 1963. Afin de garantir la préservation de ce site exceptionnel, il s’est aussi porté acquéreur de parcelles en surface.
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