Aung Naing Lin sculpte depuis des décennies des statues de Bouddha pour les fidèles de Birmanie, mais obtenir le marbre nécessaire des carrières situées en zone rebelle, en pleine guerre civile, est devenu une aventure périlleuse.
La Birmanie, en majorité bouddhiste, est en proie à un conflit sanglant depuis que la junte a renversé le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi en 2021, mettant fin à une parenthèse démocratique de 10 ans.
Ces derniers mois, les opposants à l’armée ont attaqué Mandalay, la deuxième ville du pays avec 1,5 million d’habitants, avec des roquettes et des drones. Les rebelles se sont également emparés des carrières à flanc de colline qui, depuis des générations, fournissent le marbre qui orne les palais et les monastères de Mandalay, ainsi que les autels des maisons.
« La difficulté consiste à faire venir les statues ici »
Il est devenu coûteux et dangereux de transporter le marbre d’une région aux mains des rebelles à une autre région tenue par la junte. La situation autour de la commune de Madaya où se trouvent les carrières « n’est pas très bonne », explique à l’AFP Aung Naing Lin dans son atelier bruyant de Mandalay, le visage et les cheveux parsemés de poussière blanche.
« Ce n’est pas facile d’y aller, et nous ne pouvons pas ramener les pierres. » Entouré de dizaines de statues de Bouddha qui attendent qu’on leur donne des yeux, des oreilles et des lèvres, Min Min Soe, un autre propriétaire d’atelier de sculpture, acquiesce.
« Les ventes ne sont pas si mauvaises, mais la difficulté consiste à faire venir les statues ici », déclare-t-il.
Un autre propriétaire explique, sous couvert d’anonymat, que ses associés ont été récemment arrêtés alors qu’ils transportaient une cargaison de marbre depuis Madaya, tenue par les rebelles.
« Nous n’osons pas apporter de pierres du village »
« Ils ont été arrêtés par la division militaire locale et on leur a demandé comment ils avaient sorti les pierres du village, car cette zone est contrôlée par les PDF », les Forces de défense du peuple. Ce mouvement est formé d’anciens étudiants, agriculteurs et ouvriers qui ont pris les armes pour s’opposer au coup d’Etat de la junte en 2021.
La junte les a désignés comme « terroristes » et tout contact avec eux est passible de plusieurs années de prison. Les militaires « ont ensuite libéré les personnes détenues et ont rendu les pierres », poursuit le propriétaire de l’atelier. Mais « c’est comme un avertissement pour tout le monde. Dans ces conditions, nous n’osons pas apporter de pierres du village ».
Les carrières de Madaya s’inscrivent depuis longtemps dans l’histoire de la Birmanie. Dans les années 1860, après deux guerres avec les Britanniques, le roi de l’époque, Mindon, a demandé à des artisans de Mandalay de sculpter les écritures bouddhistes des manuscrits en feuilles de palmier sur 720 blocs de marbre pour qu’elles survivent à toute nouvelle destruction.
La pierre est également appréciée de l’armée, au pouvoir pendant l’essentiel de l’histoire du pays depuis son indépendance en 1948. En 2020, elle a ordonné la construction d’une statue du Bouddha de 25 mètres de haut en marbre de Madaya pour sa nouvelle capitale, Naypyidaw. Depuis son achèvement l’an dernier, la statue est devenue une étape incontournable des quelques visites de délégations étrangères.
Alors que des combats sont en cours au nord de Mandalay, Min Min Soe et d’autres travaillent à la finition de dizaines de statues grossièrement taillées.
Si leurs ancêtres utilisaient des ciseaux, aujourd’hui les artisans se servent de perceuses pour dessiner dans la pierre le visage de Bouddha, les plis de sa robe, ses ongles et la fleur de lotus sur laquelle il est assis. Les dernières étapes de ponçage des statues sont réalisées par des femmes au papier de verre.
« Les femmes sont meilleures dans ce domaine car elles sont plus patientes », avance Min Min Soe.
« Je veux que les statues soient propres et belles, qu’elles soient vendues ou non »
Une statue d’environ 25 centimètres de haut se vend entre 100.000 et 200.000 kyats (50 à 100 dollars au taux de change officiel). Devant l’un des ateliers, des ouvriers emballent une statue de Bouddha dans un cadre en bois avant de l’expédier. Min Min Soe dit que s’occuper de ses dizaines de statues en stock l’aide à trouver la paix au milieu des rumeurs d’attaque de Mandalay.
Il les considère comme des « Bouddhas vivants ». « Je nettoie les statues à quatre heures du matin tous les jours (…) Ce n’est pas seulement pour mes affaires, mais aussi pour acquérir des grâces ».
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