Dans la dernière partie de cette série « Idées illustres et illustrations : les images de Gustave Doré », nous avons vu Satan affronter ses enfants, le Péché et la Mort, aux portes de l’enfer, comme le raconte John Milton dans son poème épique du « Paradis perdu ». Le Péché et la Mort acceptent de laisser Satan sortir des portes de l’enfer, et Satan continue son voyage pour se rendre sur la nouvelle création de Dieu : la Terre.
Dieu, Satan et l’avenir des humains
Dans la suite du « Paradis perdu » de Milton, Dieu observe Satan depuis le ciel et souligne qu’il sait que Satan tentera les êtres humains. Il explique l’immensité du mal de Satan en suggérant que ce dernier est venu le haïr de l’intérieur. Les humains que Satan aura tenté, cependant, devront bénéficier de la grâce car ils ne haïssent pas Dieu de l’intérieur mais auront été tentés de résister à Dieu à cause des efforts de Satan.
Dieu demande aux autres êtres du Ciel : qui se sacrifiera pour la vie éternelle des hommes ? Seul Jésus, fils de Dieu, se présente. Dieu loua l’amour et la compassion de Jésus.
Le vol de Satan vers la Terre
Pendant ce temps, Satan vole sans but à la recherche de la Terre jusqu’à ce qu’il aperçoive l’un des sept archanges, Uriel, en train de réfléchir profondément à quelque chose au loin. Il sait qu’Uriel le condamnera s’il l’approche sous sa véritable forme, aussi Satan décide-t-il de changer de forme pour tromper Uriel.
« L’esprit impur fut joyeux,
Dans l’espoir de trouver à présent un guide qui pût diriger son vol errant au paradis terrestre ;
Déjour heureux de l’Homme, fin du voyage de Satan et où commencèrent nos maux.
Mais d’abord l’ennemi songe à changer sa propre forme qui pourrait autrement lui susciter péril ou retard ;
Soudain il devient un adolescent chérubin, non de ceux du premier ordre,
Mais cependant tel que sur son visage souriait une céleste jeunesse,
Et que sur tous ses membres était répandue une grâce convenable, tant il sait bien feindre ! »
(Livre III, 631-634, 636).
(Traduction de Chateaubriand, 1861)
Déguisé en chérubin, Satan s’approche d’Uriel et lui demande où il peut trouver la Terre, afin de pouvoir louer Dieu pour sa nouvelle création. Uriel raconte à cet être trompeur comment Dieu a créé la Terre et où elle se trouve :
« J’ai vu quand, à sa parole, la masse informe,
Le moule matériel de ce monde, est venu à un tas :
La confusion entendit sa voix, et le tumulte sauvage
La confusion entendit sa voix, et un tumulte sauvage régna, l’infini fut confiné ;
Jusqu’à ce que, à son second ordre, les ténèbres s’enfuient,
La lumière brilla, et l’ordre jaillit du désordre …
Regardez vers le bas sur ce globe dont le côté d’ici
Dont la lumière d’ici, bien que réfléchie, brille ;
Ce lieu est la terre, siège de l’homme… » (Livre III 708-713, 722-724).
L’utilisation du contraste par Gustave Doré
L’illustration de Gustave Doré montre la sombre figure de Satan se dirigeant vers la Terre, qui est éclairée par une lumière provenant des cieux. Cette lumière rappelle que, malgré les efforts de Satan, la Terre et ses habitants ont été créés par Dieu, et que leur nature est divine.
Des nuages couvrent la terre, sauf dans la zone où brille la lumière du ciel. Les nuages sont peut-être le symbole de la confusion et du chaos. Cela suggère-t-il que le ciel est chargé de clarifier la confusion et d’ordonner le chaos ? John Milton fait dire à Uriel que la voix de Dieu a démantelé la confusion avec des règles, et qu’il a ordonné le désordre.
Nous pouvons associer la confusion et le chaos à l’opposé de la vérité, puisque nous pouvons présumer que, par sa définition, la vérité est claire et ordonnée. Si tel est le cas, la représentation de Gustave Doré est plus nuancée qu’il n’y paraît à première vue. Ce que Doré illustre serait le contraste entre la vérité et la tromperie.
Milton décrit les méthodes trompeuses de Satan, qui se transforme en chérubin pour tromper Uriel. Contrairement à la vérité, qui, dans sa forme la plus pure, est toujours vraie, Satan change non seulement d’apparence à plusieurs reprises (comme nous le verrons plus tard), mais ce qu’il représente change également. Au fil de la série, par exemple, la nature de Satan semble changer d’un mal à l’autre. D’abord, c’était l’orgueil, puis le pouvoir, et ensuite la vanité. Maintenant, sa nature est celle du mensonge.
Ainsi, la représentation par Gustave Doré d’un Satan sombre peut correspondre à la nature de Satan, qui cherche à obscurcir la vérité. En d’autres termes, Satan représente l’opposé de la vérité. Milton indique clairement que même les plus justes d’entre nous peuvent être trompés par le mensonge. Uriel, un archange en vue du trône de Dieu, a été trompé par Satan, car selon Milton,
« Ni l’homme ni l’ange ne peut discerner
L’hypocrisie, le seul mal qui marche
Invisible, sauf pour Dieu seul. » (Livre III 682-684)
Satan a du succès parce qu’il est un maître de l’hypocrisie : il peut prétendre être juste afin de détruire ce qui est juste.
John Milton oppose aussi clairement ce qu’il croit être la différence caractéristique entre Dieu et Satan. Dieu est la vérité du sacrifice de soi au nom de l’amour, tandis que Satan est le mensonge qui cherche à détruire la vérité au nom de l’orgueil.
Dans un monde rempli de tromperie et de mensonges, où l’immoral se fait passer pour le juste, comment pouvons-nous discerner ce qui est réellement vrai et lié à un amour compatissant ?
Gustave Doré était un illustrateur prolifique au XIXe siècle. Il a illustré certains des plus grands classiques de la littérature occidentale, notamment la Bible, « Le Paradis perdu » et « La Divine comédie ». Dans cette série, nous allons nous plonger dans les pensées qui ont inspiré G. Doré et les images que ces pensées ont suscitées.
Eric Bess pratique l’art figuratif et est actuellement en doctorat à l’Institute for Doctoral Studies in the Visual Arts (IDSVA).
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