Avant de se heurter au président Donald Trump à la Maison-Blanche le 28 février, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé à la création d’une force armée européenne.
« Je crois vraiment que le moment est venu. Les forces armées de l’Europe doivent être créées », avait déclaré M. Zelensky aux dirigeants mondiaux lors de la conférence de Munich sur la sécurité, le 15 février.
En janvier 2024, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, avait déclaré au journal La Stampa qu’il souhaitait la création d’une armée européenne, mais cette idée n’a pas suscité beaucoup d’intérêt jusqu’à présent.
L’Union européenne – peut-être avec l’ajout de la Grande-Bretagne, qui a quitté le bloc en 2021 – pourrait-elle finir par créer sa propre armée, et cela signifierait-il que l’OTAN est en train de dépérir ?
Ronja Kempin, membre de la division de recherche sur l’UE de l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft under Politik), a déclaré à Epoch Times qu’elle était plutôt d’accord avec M. Zelensky sur la nécessité d’une armée européenne.
« Tout est en perpétuel changement », a déclaré Mme Kempin. « Les Européens doivent concevoir leur sécurité sans les États-Unis pour la première fois depuis 75 ans. Alors pourquoi ne pas être courageux maintenant et proposer des idées vraiment audacieuses ? »
Tim Ripley, analyste de la défense et auteur de Little Green Men : The Inside Story of Russia’s New Military Power (Les Petits Hommes verts : l’histoire inédite de la nouvelle puissance militaire russe), a indiqué à Epoch Times que la « différence quantique » entre l’OTAN et une armée européenne serait l’absence des États-Unis.
La pierre angulaire de l’OTAN est l’article 5, qui oblige chaque membre à se porter à la défense collective des autres membres s’ils sont attaqués.
« Vous pourriez avoir une organisation qui ressemble un peu à l’OTAN. Elle s’appellerait peut-être l’Organisation du traité européen et disposerait d’un article 5 pour la défense […] mais elle n’inclurait pas les États-Unis », a indiqué M. Ripley. « C’est vraiment ce que signifie l’armée européenne, si on va jusqu’au bout de la logique. »
Selon lui, le moyen le plus simple de créer une armée européenne est que les États-Unis quittent tout simplement l’OTAN.
La « rupture nette » américaine
« La meilleure chose à faire, si c’est une rupture nette avec les Américains, c’est d’opter pour une solution de type Brexit, en retirant le drapeau [américain]. Évidemment, il y aura beaucoup moins d’argent parce que les Américains ont fourni 25 % ou plus du budget », a souligné M. Ripley.
Mais Mme Kempin a déclaré : « Si nous devions penser à une armée européenne, nous devrions parler d’une armée de l’UE. »
Elle a indiqué que l’un des arguments en sa faveur était que beaucoup d’argent était investi dans la défense en Europe, et elle a rappelé l’annonce faite le 4 mars par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, du plan ReArm Europe, qui pourrait augmenter les dépenses de défense dans le bloc des 27 membres de 800 milliards d’euros.
« Nous savons que si nous devions intégrer à la fois l’aspect militaire et physique, pour ce qui est de la main-d’œuvre, nous économiserions beaucoup d’argent », a souligné M. Kempin.
« On pourrait également dire que cela donnerait à l’Union européenne beaucoup plus de crédibilité […] parce qu’aucun pays membre de l’UE, y compris la Grande-Bretagne, ne peut résister à la pression exercée par la Russie ou ne peut mener avec succès une guerre contre la Russie. »
L’UE compte 27 pays membres et n’inclut pas la Grande-Bretagne, la Norvège, la Turquie ou l’Islande, qui sont membres de l’OTAN.
Une poignée de pays européens – la Serbie, le Belarus, la Bosnie-Herzégovine et l’Ukraine – ne font partie ni de l’OTAN, ni de l’UE.
Le Belarus est un allié solide de Moscou, tandis que la Serbie est culturellement proche de la Russie, bien qu’elle souhaite adhérer à l’UE pour des raisons économiques.
La question de la légitimité
Selon Mme Kempin, la mise en place d’une armée européenne nécessite de se poser la question de savoir quel parlement national serait prêt à céder à la Commission européenne le pouvoir d’entrer en guerre ou de déployer ses forces armées.
« La partie la plus difficile pour l’UE est la question de la légitimité », a-t-elle déclaré. « Qui décidera du déploiement éventuel de ces forces ? Au sein des États membres, les législations sont tellement différentes. »
Pour M. Ripley, l’Europe a été assez unie sur la question de l’Ukraine.
« Jusqu’à présent, tous les pays européens, à l’exception de la Hongrie, ont soutenu la souveraineté de l’Ukraine », a-t-il souligné.
M. Ripley a noté que la Grande-Bretagne et la France se sont engagées à participer à une force pour garantir la sécurité de l’Ukraine.
« Il n’est donc pas totalement exclu qu’une nouvelle alliance européenne prenne forme. »
Toutefois, Mme Kempin a rappelé que le problème d’une armée européenne est que certains États membres, tels que la Hongrie et la Slovaquie, ont été ce qu’elle a appelé des « fauteurs de troubles » et pourraient se montrer réticents à l’idée, qui pourrait être laissée à un « groupe pionnier » de pays plus fermement anti-Moscou.
Ce n’est pas la première fois qu’une armée européenne est proposée.
L’armée européenne lancée en 1952
En 1952, un accord a été signé pour mettre en place la Communauté européenne de défense, qui aurait fusionné les armées des six pays de la Communauté économique européenne – la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas – et créé une armée permanente, une armée européenne, de 100.000 hommes.
Deux ans plus tard, l’Assemblée nationale française avait rejeté le projet.
Selon Mme Kempin, les Français se méfiaient de l’idée de réarmer l’Allemagne si peu de temps après la Seconde Guerre mondiale.
La France a été l’un des membres fondateurs de l’OTAN en 1949, mais en 1966, le président Charles de Gaulle, ancien général qui avait dirigé les Forces françaises libres pendant la Seconde Guerre mondiale, a décidé de retirer la France du commandement intégré de l’OTAN.
Sur le site du gouvernement français, on peut lire : « Suite au vote positif de l’Assemblée nationale, la France a officiellement annoncé sa pleine participation aux structures de commandement militaire de l’OTAN lors du sommet de Strasbourg/Kehl en avril 2009. »
En 1963, le général de Gaulle et le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest de l’époque, Konrad Adenauer, ont créé l’Eurocorps, une force franco-allemande à l’origine, à laquelle se sont joints plus tard la Belgique, l’Espagne et la Pologne. L’Autriche, la Grèce, l’Italie, la Roumanie et la Turquie sont aujourd’hui des « nations associées » à l’Eurocorps.
D’après M. Ripley, l’UE a également mis en place l’identité européenne de défense et de sécurité dans les années 1990 et, en 2007, elle a formé les groupements tactiques de l’Union européenne, qui ont été conçus pour les opérations de maintien de la paix et les opérations humanitaires en Bosnie-Herzégovine et dans d’autres pays.
L’UE dispose également d’une force navale qui a participé aux efforts de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes et a également mené des opérations contre les passeurs de clandestins près de la Libye.
« Il existe donc une certaine tradition d’opérations européennes non OTAN, en dehors de la structure de l’OTAN », a souligné M. Ripley. « En ce qui concerne l’Union européenne, il existe des antécédents institutionnels dans ce domaine, mais la question de savoir s’il s’agit d’une armée capable de mener une guerre est tout à fait différente. »
Les soldats mourraient-ils pour l’Europe ?
Mme Kempin a déclaré : « La question que je me pose toujours est la suivante : ‘Sommes-nous déjà prêts à mourir pour l’Union européenne’ ? Et c’est jusqu’à présent la pierre d’achoppement la plus importante. Lorsqu’il s’agit de déployer des soldats, c’est la partie la plus difficile. »
Selon elle, il est pratiquement impossible de disposer d’une armée intégrée au sein de l’Union européenne si chaque État membre n’est pas disposé à abandonner une partie de sa souveraineté.
Une autre grande question, a-t-elle ajouté, est de savoir qui assurera la dissuasion nucléaire face à la Russie si les États-Unis retirent leur « parapluie nucléaire » protégeant actuellement tous les pays à l’exception de la Grande-Bretagne et de la France, qui disposent de leurs propres armes atomiques.
« Tout le monde aurait préféré le parapluie nucléaire américain à un éventuel parapluie nucléaire français », a estimé Mme Kempin. « En Allemagne, je pense que nous avons toujours dit que tant que la France n’était pas disposée à rejoindre le groupe de planification nucléaire de l’OTAN, elle manquait de crédibilité. »
« Mais le scénario pourrait être que si les Américains retiraient totalement leur arsenal nucléaire, alors on pourrait dire [que] le mieux que nous puissions avoir, ce sont les Français. »
La division entre l’Europe et les États-Unis au sujet de l’Ukraine s’est accentuée le 3 mars, lorsque le président Trump a suspendu toute aide militaire à Kiev.
Le 3 mars, à la Maison-Blanche, M. Trump a déclaré : « Nous leur avons donné beaucoup plus que l’Europe, et l’Europe aurait dû donner plus que nous. »
Selon le service de recherche du Congrès américain (Congressional Research Service), le Congrès a alloué 174,2 milliards de dollars à l’Ukraine depuis le début de la guerre.
Le soutien global de l’UE à l’armée ukrainienne est estimé à 48,7 milliards d’euros, selon le site web de l’UE.
Pour M. Ripley, la seconde administration Trump n’en est qu’à ses débuts et il est possible que le président américain n’ait fait que tâter le terrain auprès de l’OTAN et de l’Union européenne.
Pour lui, la clé serait le sommet de l’OTAN qui se tiendra en juin aux Pays-Bas, où M. Trump est « censé être présent ».
« Va-t-il se présenter ? Va-t-il dire qu’il est membre du groupe ? Il devra se manifester et dire ‘Je crois en ces choses' », a poursuivi M. Ripley.
Lorsqu’il se présentera devant ces 31 autres dirigeants et qu’ils lui diront « Faites-vous partie de cette équipe ? » et qu’il répondra « Non », on passera alors d’une expression aléatoire de Donald Trump à un positionnement ferme qu’il maintiendra.
Pour Mme Kempin, si l’Europe ne peut plus compter sur les États-Unis, il s’agit d’un « appel clair à la maturation des Européens en matière de politique de sécurité et de défense ».
Avec Reuters
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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