Comment simuler, dans la mémoire d’un ordinateur, la séquence d’états rencontrés par l’atmosphère, les océans et les surfaces terrestres ? C’est le défi posé aux scientifiques et aux ingénieurs du Cerfacs pour comprendre le climat actuel et futur.
La méthode consiste à traduire en langage informatique les données terrestres (intensité du rayonnement solaire, vitesse de rotation de la Terre, forme des continents, compositions de l’océan et de l’atmosphère…), ainsi que les lois physiques (conservation de la masse, de la quantité de mouvement et de l’énergie, thermodynamique, rayonnement électromagnétique solaire et infrarouge…).
Grilles spatiales
Les grandeurs physiques telles que la température, les vents ou les courants, l’humidité ou la salinité sont représentés par des valeurs numériques en des points régulièrement répartis dans l’atmosphère et les océans. Ces millions de points forment des « grilles spatiales » dont la finesse croit régulièrement avec la capacité des mémoires des ordinateurs et leur puissance de calcul. Un ensemble d’équations mathématiques, constituant ce que l’on appelle « le modèle », est utilisé pour faire progresser ces champs à des intervalles de temps réguliers de l’ordre du quart d’heure. L’ordinateur doit être au moins un millier de fois plus rapide que le temps réel pour effectuer des simulations numériques décennales (c’est-à-dire de l’ordre de 1 à 10 ans) du climat en moins d’un mois.
En pratique, il existe plusieurs modèles distincts pour simuler chaque composante du système climatique, tels que ARPEGE comme modèle atmosphérique, NEMO comme modèle océanique, GELATO comme modèle de glace de mer, SURFEX, ISBA et TRIP comme modèles traitant des processus terrestres. Le modèle atmosphérique est sensiblement le même que celui qui est utilisé par les météorologues pour la prévision du temps. Le modèle océanique décrit les courants, les tourbillons (gyres) ainsi que les échanges de chaleur en surface ou en profondeur. Le modèle de glace de mer simule la formation et la fonte de la banquise aux pôles. Enfin, les modèles continentaux vont décrire les échanges d’humidité et de chaleur avec la végétation, l’interaction entre le sol et les eaux souterraines et les ruissellements qui génèrent les débits des rivières.
Couplage des modèles
Dans une première phase, ces modèles sont mis au point séparément par les centres de recherche ou des équipes qui se concentrent sur des sujets spécifiques. Dans une deuxième phase, ces modèles doivent communiquer entre eux en s’échangeant, au cours du temps, des données comme les flux de masse, de quantité de mouvement ou d’énergie. On dit que l’on « couple » les modèles. Pour réaliser cette tâche, le Cerfacs a développé le coupleur OASIS, un logiciel qui assure des échanges de données sur les ordinateurs massivement parallèles. Ce coupleur est utilisé dans le monde entier pour un grand nombre de modèles climatiques.
Dans une troisième phase, le modèle couplé climatique est exécuté sur des ordinateurs pour simuler des séquences d’états de l’atmosphère, des océans et des surfaces terrestres sur des décennies ou des siècles. Les calculateurs les plus puissants sont nécessaires pour prendre en compte l’évolution temporelle des différents milieux régis par ces lois. Les puissances des 500 ordinateurs les plus performants de la planète vont du pétaFlop à l’exaFlop, c’est-à-dire de 1015 à 1018 (un milliard de milliards) multiplications par seconde. Le groupe Total et Météo-France, partenaires du Cerfacs, possèdent actuellement les deux calculateurs les plus puissants de France de puissances respectives 5,3 et 2,2 pétaFlops.
Il s’agit par exemple de reconstituer l’évolution du climat durant les cent dernières années ou d’estimer quelle aurait été notre capacité à prévoir son évolution à dix ans si on avait disposé des calculateurs actuels à l’époque. Aucune de ces simulations ne peut correspondre exactement à la succession des régimes de temps enregistrés par le météorologue. En effet, une petite différence dans les conditions initiales conduit à de grandes différences dans l’évolution de l’atmosphère après une période de l’ordre du mois.
Cette propension à amplifier des petites différences de point de départ est partagée par de nombreux systèmes physiques ou mathématiques chaotiques, c’est-à-dire très désordonnés en terme d’évolution temporelle. Mais si l’on ne peut, pour cette raison, reproduire la trajectoire exacte suivie par le système dynamique, l’objectif est de reproduire les mêmes propriétés statistiques que celles qui ont été observées, telles que la température moyenne d’une région donnée pour un mois particulier ou la même variabilité entre les jours froids et chauds.
Pour des échelles de temps plus longues, les scientifiques du climat veulent que leur modèle simule les refroidissements qui font suite aux éruptions volcaniques ou le réchauffement de la planète dû à l’augmentation des gaz à effet de serre. Le but est atteint grâce à une amélioration permanente de la physique et de la dynamique de toutes les composantes du modèle. L’augmentation de la finesse des grilles spatiales (nombre de points répartis dans l’espace), rendue possible grâce à la progression des capacités informatiques, permet de représenter le climat observé de plus en plus fidèlement.
Lorsqu’un modèle a prouvé sa capacité à reproduire le climat observé jusqu’à nos jours, il peut être utilisé pour participer au rapport scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les meilleurs centres de climat de la planète joignent leurs efforts pour répondre à plusieurs questions majeures telles que les changements climatiques pour divers scénarios d’émissions à effet de serre ou la capacité à prédire le climat une ou plusieurs décennies à l’avance. Le Cerfacs participe activement à ces défis scientifiques et techniques, en collaboration avec Météo-France.
Olivier Thual, Professeur à l’INP Toulouse, responsable de l’équipe Climat, Cerfacs
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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