ANALYSES

Notre-Dame : derrière la réussite, une bataille entre l’ancien et le contemporain

décembre 5, 2024 6:37, Last Updated: décembre 6, 2024 16:46
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Plus de cinq ans après l’incendie qui a ravagé la cathédrale le 15 avril 2019, la réouverture de Notre-Dame de Paris va être officialisée samedi par un discours d’Emmanuel Macron sur le parvis puis une messe solennelle le lendemain.

Emmanuel Macron avait déjà dévoilé l’intérieur de l’édifice lors d’une visite du chantier le 29 novembre, dont l’extrême luminosité après la restauration – une première de mémoire de vivant, tranche avec l’ambiance pieuse qui existait auparavant.

Si la flèche a été reconstruite à l’identique, l’intérieur de l’édifice gothique vieux de 860 ans aura finalement été modernisé, avec une lumière « de centre commercial », un mobilier liturgique revisité et une présentation contemporaine de la couronne d’épines – auxquels seront ajoutés des vitraux contemporains et une possible ouverture payante aux touristes.

Derrière ce décalage, une bataille toujours présente entre l’ancien et le contemporain, le spirituel et le temporel, l’Église et l’État.

La fierté de Notre-Dame rebâtie

En mauvaise posture politique, Emmanuel Macron mise sur ce rendez-vous qu’il a érigé au rang des « fiertés françaises », comme pour prolonger les JO de Paris, prédisant un « choc d’espérance » après avoir tenu son « défi insensé » d’une restauration en cinq ans.

Le chantier de reconstruction et de restauration aura mobilisé 250 entreprises ainsi que des centaines d’artisans des métiers d’art, rappelant ce savoir-faire français ancien qui s’est transmis de génération en génération.

Selon l’Élysée, 843 millions d’euros ont été collectés, dont 140 millions restent encore disponibles, qui seront utilisés pour la restauration de l’abside et des arcs-boutants, selon Philippe Jost qui a repris les rênes de l’établissement public à la tête du chantier après le décès du général Jean-Louis Georgelin en août 2023.

À l’intérieur, on a pu voir déjà une luminosité laissant peu de place à l’imagination, des murs d’une blancheur éclatante, des décors peints des chapelles et des vitraux plus brillants que jamais aux côtés d’un nouveau mobilier liturgique en bronze massif, de chaises en chêne ajouré bénites et un mur-reliquaire contemporain présentant une copie de la couronne d’épines du Christ – la véritable étant conservée en lieu sûr, récupérée à prix d’or par Saint Louis au XIIIe siècle.

« Les catholiques de Paris vont retrouver leur église mère » : avant la réouverture de Notre-Dame ce week-end, des fidèles disent leur « hâte » et leur « soulagement », même si beaucoup comptent attendre que se tasse l’engouement des premiers jours pour visiter la cathédrale.

Notre-Dame est « un symbole de l’Église catholique en France, une représentation de ce qu’a été la France en matière religieuse », affirme Xavier Castillo, sacristain de l’église de La Madeleine.

« L’humilité » face à un « grand show » républicain

Pour la réouverture, le diocèse de Paris a dit ne pas vouloir d’un « grand show » et préférer parler d’un « magnifique signe d’espérance » teinté « d’humilité », a déclaré le recteur-archiprêtre de la cathédrale Olivier Ribadeau Dumas.

Samedi, l’inauguration officielle comprendra deux parties : une « républicaine » et une « liturgique », et le décalage entre les deux pourrait s’annoncer frappant.

Le programme commencera par un discours d’Emmanuel Macron en fin d’après-midi le 7 décembre, l’ouverture des portes et le « réveil » du grand orgue. Le président de la République assistera ensuite, avec une cinquantaine de chefs d’État, à un office restreint présidé par l’archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich.

Un grand concert sur le parvis, organisé par France Télévisions et co-retransmis par Radio France, doit clore la journée. Parmi les artistes internationaux annoncés figurent le pianiste virtuose chinois Lang Lang et la soprano sud-africaine Pretty Yende. Le chant lyrique et la musique classique devront dominer ce concert, selon l’organisation. Une touche pop sera néanmoins apportée par Clara Luciani, Vianney et Garou, aux côtés de la chanteuse star franco-béninoise Angélique Kidjo et du ténor franco-suisse Benjamin Bernheim, présent à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Paris.

Les spéculations continuent concernant la présence de Pharrell Williams, star internationale et directeur artistique des collections homme de Louis Vuitton. La soirée sera animée par le DJ Michael Canitrot, qui s’est fait connaître avec des shows mariant électro et monuments patrimoniaux et s’est notamment produit à la tour Eiffel.

Dimanche matin, pour la partie strictement liturgique, est programmée une messe inaugurale en présence de 170 évêques, des prêtres des 106 paroisses parisiennes, ainsi que du Président.

Une illustration de la relation complexe entre l’État français et l’Église

La chorégraphie de l’ouverture a fait l’objet d’intenses négociations avec le diocèse. Au départ, Emmanuel Macron voulait prononcer un discours à l’intérieur de l’édifice religieux, mais cette option faisait sourciller aussi bien au sein de l’Église que chez les défenseurs de la laïcité.

Puis, l’Élysée a annoncé que le chef de l’État s’exprimerait sur le parvis de la cathédrale. Avant, finalement, d’opter pour une dernière visite du chantier avant la réouverture officielle le week-end prochain.

Ce qui semblait être une simple visite de routine s’est transformé en un événement de plus de deux heures, diffusé en direct par plusieurs chaînes de télévision, et a permis au Président de faire son discours à l’intérieur du monument, devant 1300 invités, dont des artisans, des pompiers et des mécènes. Une manière de féliciter les artisans et lui-même, aussi, pour ce pari réussi, au risque de trop en faire.

Selon la loi de 1905, les églises et monastères sont officiellement attribués à l’État, qui s’engage à conserver ces bâtiments et à les confier gratuitement aux associations cultuelles. Ainsi, la restauration de Notre-Dame a été une affaire purement étatique, où l’Église n’a presque pas eu son mot à dire. Emmanuel Macron a endossé le rôle de maître d’ouvrage.

L’archevêque Ulrich n’a eu qu’à choisir le mobilier liturgique, selon l’AFP : un autel simple en bronze, un baptistère avec un couvercle évoquant une surface d’eau, ainsi qu’un cadre très contemporain pour les reliques vénérées par les chrétiens. Il a également pu choisir le design des vêtements liturgiques, confié à Jean-Charles de Castelbajac, créateur de mode français.

La bataille entre l’ancien et le contemporain

À l’horizon 2026, des vitraux contemporains souhaités par Emmanuel Macron devraient remplacer cinq des six baies du bas-côté sud de Notre-Dame (côté Seine),  réalisées au XIXe siècle par Viollet-Le-Duc. Ces vitraux, comme les autres, n’ont pas été endommagés par l’incendie mais ont été encrassés.

Sept tapisseries contemporaines conçues par les artistes contemporains espagnol Miquel Barceló et britannique Michael Armitage prendront leur place dans les chapelles de Notre-Dame de Paris. Miquel Barceló est un « artiste multidisciplinaire » qui explore la décomposition, la lumière et le paysage naturel et des matières inédites comme la cendre volcanique ou les sédiments. Michael Armitage est connu pour ses œuvres qui abordent les thématiques de l’identité et de la société contemporaine africaine. Il expose dans les grandes institutions d’art contemporain à travers le monde.

Concernant la volonté de l’État de rendre l’entrée payante, la ministre de la Culture Rachida Dati a réitéré sa proposition le 18 novembre, face au président de la Conférence des évêques de France (CEF). Le président de la CEF, Eric de Moulins-Beaufort, a répondu que « les lieux de culte sont affectés au culte exclusivement et intégralement et leur accès est gratuit ». Églises et cathédrales « ont toujours été des lieux ouverts à tous », et « en faire payer l’entrée pour en assurer l’entretien » serait une manière de « trahir leur vocation originelle », a-t-il répété, en souhaitant qu’elles « soient préservées de la marchandisation croissante » constatée dans les lieux de culture.

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