« Ce ne sont pas des cheveux blancs, ce sont des cheveux de sagesse ! », lance en riant Philippe Lamarre, qui est devenu agriculteur à l’âge de 55 ans, après avoir délaissé une carrière lucrative en informatique à Montréal et à Paris. « Ici, il n’y a pas de stress. La seule chose qui peut être stressante, c’est de voir un chevreuil ou un dindon sauvage traverser la rue », ajoute-t-il, heureux de sa nouvelle vie.
Ce « petit gars de la campagne » a donc décidé de retourner dans les montagnes des Laurentides. Il a été surpris de constater qu’il n’était pas le seul de sa tranche d’âge à s’intéresser à ce domaine lorsqu’il a suivi des formations agricoles. D’après lui, au moins 25 % des élèves avaient 50 ans et plus dans le cours de 10 jours du Centre de formation agricole de Mirabel (CFAM).
Il a aussi suivi un cours de quatre jours chez Jean-Martin Fortier, spécialiste de l’agriculture biologique sur petite surface et auteur du livre à succès Le jardinier-maraîcher. Le nouveau maraîcher a estimé qu’environ 40 % des participants avaient plus de 50 ans. Qui sont-ils ? Des gens qui approchent l’âge de la retraite, d’autres qui cherchent à changer de carrière. Des gens qui venaient d’un monde totalement différent, par exemple un directeur d’école ou une dame qui travaillait en informatique et a acheté une terre à La Conception, actuellement en rédaction de plan d’affaires. Et d’autres qui venaient simplement voir si c’était un domaine qui leur conviendrait.
« Les gens de plus de 50 ans qui viennent dans mes cours rêvent à l’idée d’être agriculteur ou d’avoir un petit projet de retraite. Je crois qu’ils sous-estiment ce que ça implique même si ça peut faire un beau projet de retraite ou de préretraite. Il y a beaucoup de gens qui veulent déménager à la campagne et s’installer », admet Jean-Martin Fortier, tout en reconnaissant qu’une moyenne d’environ 30 % de gens aux cheveux blanchissants participent à ses formations. Mais la plupart du temps, il ne les revoit pas par la suite, il ne sait donc pas s’ils se lancent vraiment en affaires ou pas.
Cheminement de deux maraîchers
À 45 ans, Michel-Alexandre Proulx a quitté une carrière en communication dans la région de Montréal pour s’installer dans Charlevoix en 1999. Tout comme Philippe Lamarre, il avait l’intention de mener une vie plus saine. Tous les deux ont vite réalisé qu’il était préférable de créer leur propre emploi pour pouvoir demeurer en région. Ils ont tous deux décidé de se tourner vers l’agriculture.
Du côté du nouveau fermier des Laurentides, il avait essayé, en vain, de trouver un emploi utilisant ses compétences : gestion, planification, organisation, production… Puis, il s’était tourné vers la restauration, pour se rendre compte que c’était un secteur précaire : il n’y a du travail que pendant les deux saisons touristiques, l’été et l’hiver.
« De fil en aiguille, je me suis dit : le domaine de l’agriculture, ce n’est pas juste l’été. Ça commence au printemps très tôt, jusqu’aux premières neiges en novembre. Et l’hiver, s’il faut travailler dans la restauration ou dans le domaine du ski, c’est une petite période, donc je suis moins pénalisé », remarque celui qui a toujours aimé jouer dans la terre. « J’ai toujours eu mes jardins à l’anglaise pour mes vivaces, quitte à faire des jardins aussi bien que ce soit des jardins comestibles. »
Dans Charlevoix, M. Proulx voulait faire du jardinage dès son arrivée dans cette belle région. Il a commencé par accepter d’être travailleur agricole pour gagner sa vie, sans finalement rien apprendre de la production de légumes et des semis, puisqu’il s’occupait principalement des récoltes. Puis, il a été sollicité en 2008 pour lancer un projet agricole. C’est après avoir longuement hésité que Les grands jardins d’Alexandre sont nés, en 2011.
Michel-Alexandre Proulx voulait développer un concept où les gens viendraient directement aux jardins acheter leurs légumes, à contre-courant du projet de marché public à Baie-Saint-Paul. Mais, surtout, l’originalité des Grands jardins d’Alexandre se situe dans le fait que cette ferme fonctionne avec des bénévoles, et qu’ils sont les seuls producteurs maraîchers au Québec enregistrés en tant qu’organisme sans but lucratif (OSBL).
Le projet de M. Proulx a pris de l’expansion et compte maintenant sur l’aide d’environ 25 bénévoles, la majorité dans le groupe d’âge de son instigateur. La règle est de donner un minimum de 24 h pour la saison pour être membre du projet, ce qui donne accès à la gratuité des produits. Plusieurs initiatives sont mises en place pour appuyer la population charlevoisienne. Par exemple, les dimanches de la petite famille permettent aux gens qui viennent avec au moins un enfant de moins de 13 ans d’obtenir 25 % de réduction sur les légumes. L’équipe a aussi préparé 8000 laitues qui vont être offertes gratuitement à leur clientèle qui fait un achat d’au moins 10 $.
De son côté, après avoir fait des recherches, Philippe Lamarre a trouvé que la région d’Arundel, au sud de Mont-Tremblant, avait un climat exceptionnel. C’est là qu’il a acheté, il y a deux ans, une petite terre agricole de trois acres. Elle était abandonnée depuis 1980, il a dû la défricher avant de commencer à cultiver des légumes qu’il veut faire certifier biologiques.
Difficultés
« Toutes les difficultés du monde, on les a eues : la ville de Baie-Saint-Paul nous a interdit de vendre des légumes dans la ville, parce qu’on ne faisait pas partie du Grand Marché de Charlevoix. Le centre d’emploi a refusé de nous subventionner des salaires prétextant qu’on ne vendait pas nos légumes assez chers, donc on devenait des compétiteurs déloyaux dans Charlevoix. On n’a pas de subvention, mais ça marche », souligne celui qui n’a aucune formation dans le domaine et qui trouve que le plus difficile a été de développer la connaissance agricole, « parce que l’agriculture, c’est compliqué », surtout lorsque l’on n’utilise pas de pesticides.
Dans les Laurentides, Philippe Lamarre a essayé de démarrer un petit marché public dans le village d’Arundel à l’été 2015. Ça n’a pas fonctionné : pas assez de population, une population habituée à avoir son propre potager. Cette année, il vend ses légumes au marché de Mont-Tremblant.
Financièrement, ce n’est pas le Pérou : l’ancien annonceur et narrateur à la radio s’arrange en travaillant l’hiver pour gagner sa vie, et il fait du bénévolat la plupart du temps l’été. Les Grands Jardins d’Alexandre n’ont pas les moyens d’acheter une terre, ils doivent la louer.
Quant à M. Lamarre, il ne peut pas encore se consacrer à temps plein à ses jardins puisqu’il a un autre emploi le matin. Cependant, il n’a pas de dettes, vivant simplement et ayant payé avec ses économies sa petite terre qu’il considère comme son fonds de pension. « Notre fonds de roulement n’est plus le même que lorsqu’on était plus jeune. Mes besoins ne sont pas nécessairement les mêmes. Je n’ai pas besoin d’avoir une “grosse” maison. »
Un élixir de jeunesse
Avant de commencer sa nouvelle vie dans Charlevoix, Michel-Alexandre Proulx n’avait pas une bonne condition physique du tout. Le travail dans les champs lui a permis de se remettre en forme et d’arrêter de fumer. Lorsque je lui demande s’il se sent plus jeune aujourd’hui, à l’âge de 61 ans, il s’exclame : « Oh, mon dieu, oui ! », se souvenant de ses premières journées de travail en tant qu’ouvrier agricole, à l’âge de 45 ans : « Juste faire un effort physique, c’était déplaisant ! » Il fait maintenant des journées de 10 à 12 h dans les champs et il se sent bien.
Même son de cloche du côté de Philippe Lamarre : « Je ne me sens vraiment pas vieux, je me sens aussi jeune que mes 35 ou même 25 ans ! C’est un élixir de jeunesse. Nous [les agriculteurs], nous avons une potion magique qui nous fait garder plus jeune, c’est-à-dire la nature ! » Finis les maux de dos problématiques de notre société : « les gens vont avoir des maux de dos, pas parce qu’ils ont forcé du dos, mais parce qu’ils sont restés assis pendant des heures, stressés devant leur écran. Depuis que je travaille physiquement, j’ai remusclé tout mon corps. J’ai perdu du poids, et ma graisse s’est convertie en muscles. »
Jusqu’à la fin
Souvent, lorsqu’on parle de relève, on pense aux jeunes. Pourtant, selon Statistiques Canada, au Québec, les moins de 35 ans représentaient plus de 25 % dans ce domaine en 1991, alors que seulement 10,7 % des exploitants agricoles avaient moins de 40 ans en 2011. Alors, pourquoi ne pas se réjouir d’avoir de nouveaux fermiers aux cheveux blancs qui s’imaginent travailler leur terre jusqu’à la fin de leurs jours ? Le fermier des Jardins de Philippe pense pouvoir repartir l’économie locale à Arundel en reprenant cette terre abandonnée. D’ici quelques années, il compte embaucher du monde pour travailler avec lui, « et peut-être qu’un jour, vers 95-96 ans, si physiquement je ne suis plus apte à travailler, je pourrai gérer quand même ».
L’ancien informaticien considère sa nouvelle vie comme une préretraite : « Avant j’étais toujours dans le gros stress, livrable à temps, ça coûte tant de millions de dollars, j’ai tant d’effectifs, tant de personnel. Là, maintenant, j’ai changé de chapeau, je travaille sur ma terre. Quand je suis épuisé, je me lève et je regarde la belle vallée, le foin qui danse au vent. »
Même si Michel-Alexandre Proulx reconnaît que le travail est très exigeant – il travaille à son projet 180 jours sans arrêt du début avril à la fin octobre, se levant à 4 heures du matin pour être dans les champs avant 6 heures – il est heureux et passionné. « Le matin, j’ai hâte de me lever, j’ai hâte de partir. Je trouve ça plate quand la journée est terminée, j’aimerais qu’elle dure. Même à la fin de la saison. » Il prend comme exemple son voisin de 88 ans, qui travaille encore des journées de 8 à 9 heures dans ses jardins, pour pouvoir assurer : « Je vais toujours faire ça. »
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.