Des enquêteurs continuent d’alerter les autorités et le public sur les crimes du Parti communiste chinois qui organise un trafic d’organes en assassinant les prisonniers de conscience.
Mars 2017, Vatican. Les autorités chinoises évoquent publiquement le programme de transplantation chinois au cours d’un colloque au siège de l’académie pontificale des Sciences au Vatican – système reposant sur « les prisonniers condamnés à mort ayant consenti à donner leurs organes ». Sur les centaines de milliers – peut être un million – de prisonniers de conscience exécutés (en majorité des pratiquants de Falun Gong, mais aussi des chrétiens, des ouïgours), pas un mot. Une situation qui se répète depuis des années, selon certains observateurs du monde judiciaire et médical, pour qui les autorités chinoises cherchent à s’acheter une bonne conduite auprès de la communauté internationale. Rencontre avec le journaliste d’investigation Ethan Gutman, et les avocats David Matas et Theresa Chu.
Ethan Gutmann, vous avez dit que « chercher à rétablir la vérité des faits en Chine, c’est comme regarder une étoile, car la seule lumière que l’on voit a été émise, il y a longtemps ». Y a-t-il plus de visibilité aujourd’hui ?
Ethan Gutmann : Cela reste difficile. Par exemple, notre publication sur le nombre de transplantations dans les hôpitaux était une occasion unique. Après publication, les sites web chinois ont commencé à disparaître ainsi que d’autres données. Heureusement, nous avions archivé la plupart de ces informations. C’est le jeu du chat et de la souris. Nous sommes forcés de trouver de nouvelles voies pour entrer dans la maison. Mais le succès engendre le succès. Quiconque visite les sites EndOrganPillaging ou les sites web de DAFOH ou les reportages de la presse de l’année passée, comprend vite que les preuves et les publications se multiplient.
Theresa Chu, vous avez présenté 1,5 million de pétitions signées au Commissaire de l’ONU pour lui demander de s’opposer à la pratique de prélèvements forcés d’organes. Quelle a été la réaction de ceux qui vous ont reçus ?
Theresa Chu : J’ai dit au Commissaire : « Il existe des camps de concentration qui gardent prisonniers des centaines de milliers de pratiquants de Falun Gong, utilisés comme des réserves d’organes ». Je me souviens qu’il y a eu un lourd silence entre nous. Je sentais que l’air devenait glacial. Finalement, il ne m’a pas répondu directement, il a seulement accepté les pétitions. En soi, son silence était une façon de dire qu’il savait. Il aurait pu me poser des questions, ou me demander au moins : « Qu’en savez-vous ? » Finalement, l’ONU nous a répondu qu’il ne suffisait pas de savoir que cela existait. Ils nous ont dit de trouver des personnes pour nous soutenir, puis nous ont finalement orienté vers l’UOADC en Autriche, l’organisme qui traite spécifiquement de la question. Nous sommes allés les voir. Ils nous ont dit : « Nous traitons effectivement de la question du trafic d’organes, mais nous ne nous intéressons pas à ce que vous faites ». Ils ont refusé de recevoir M. Matas.
David Matas : Oui, j’ai présenté les pétitions. J’ai eu une réunion ensuite avec le Commissaire pour les droits de l’homme. Il m’a dit qu’il allait faire suivre les pétitions et qu’à partir de là, ils feraient savoir que ces pétitions existent. Il a aussi suggéré de nous rendre au bureau des Nations Unies à Vienne, qui gère la lutte contre les crimes organisés. Le rendez-vous a été pris, puis annulé au dernier moment. Par la suite, un échange de correspondances nous a appris que le bureau de Vienne n’avait en charge que la question des organes qui étaient transplantés au-delà des frontières et pas celle des touristes qui passent les frontières pour se faire opérer. Ce n’est qu’une explication technique, ce n’est pas plausible, mais c’est quand même ce qu’ils ont répondu.
Je pense que le problème est que la Chine siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. C’est une grande puissance et la Chine exerce des pressions sur ces questions.
Dix ans après la sortie du premier rapport sur le trafic d’organes en Chine, à chaque mise à jour, le nombre de prisonniers assassinés ne cesse d’augmenter. En 2008, vous avez estimé que plus de 65 000 pratiquants de Falun Gong avaient été tués pour leurs organes entre 2000 et 2008. Les derniers rapports font état de 60 000 à 100 000 tués par an. Que penser de cette dernière évaluation ?
Ethan Gutmann : Selon nos dernières informations, 60 000 à 100 000 organes sont transplantés chaque année. On compte six organes majeurs dans le corps humain, donc en théorie, on pourrait les extraire tous les six. Mais imaginez quel type d’infrastructure serait nécessaire pour l’extraction des six organes pour six différents receveurs compatibles, tout cela dans le court laps de temps où les organes sont toujours viables.
Serait-ce possible pour trois organes ? Ou bien deux ?
Notre équipe a déjà discuté de ce sujet. D’un côté, David Matas souligne qu’il n’y a pas beaucoup de références sur l’extraction multiple dans la littérature médicale, à l’exception de quelques références occasionnelles à la transplantation combinée d’organes et des références au « nombre record de transplantations accomplies en une journée ». Et je l’avoue, le registre est ambigu. Mais vous espérez que je vous indique un nombre de morts… Eh bien, j’aimerais pouvoir le faire, mais je ne le peux pas. Parce que nous ne savons pas combien d’organes sont prélevés sur chaque pratiquant de Falun Gong, et parce que nous ne savons pas exactement combien de prisonniers des couloirs de la mort – qu’ils soient Ouïghours, Tibétains ou chrétiens – sont massacrés. Il faut se rendre à l’évidence : les morts de pratiquants de Falun Gong se comptent par centaines de milliers, pas seulement en dizaines de milliers.
En ce qui concerne mes estimations précédentes, tout le monde a pris l’habitude de reprendre le chiffre de 65 000, mais c’est plus une fourchette. Si vous prenez le point culminant de l’estimation – 120 000 pratiquants victimes de prélevements d’organes – et que vous le doublez pour refléter les années 2009 à 2016, vous arrivez à un quart de million de morts. Je pense que ce nombre est plausible, même si le paroxysme – qui n’est qu’une savante supposition – est probablement double, à savoir un demi-million de pratiquants. Donc, la prudence nous incite à respecter l’estimation, et non simplement à présumer que le nombre supérieur est correct.
Récemment, la Chine a reconnu les transplantations d’organes sur les prisonniers. Est-ce une avancée réelle ou un autre tour de passe-passe ?
Ethan Gutmann : Comme je l’ai déclaré devant le Congrès en juin 2016 :
« Les institutions médicales chinoises ont promis de tracer volontairement les organes dans les trois à cinq ans à venir, mais ils l’ont emballé dans un jeu de mots. Car si la phrase « arrêter le prélèvement d’organes sur les prisonniers » était acceptable, la phrase « arrêter le prélèvement d’organes sur les prisonniers de conscience » ne l’était pas. Ainsi, les Chinois ont pu éviter de parler de cette vaste population carcérale qui n’existe pas officiellement, et les Occidentaux ont pu garder l’espoir que « les prisonniers de conscience » étaient compris dans le terme « prisonniers ». En évitant la phrase taboue, les deux camps ont pu maintenir leurs illusions. »
David Matas : Il est évident qu’ils peuvent prétendre que les prisonniers condamnés à mort ont
donné leur consentement, qu’ils ont fait ce don, qu’ils ont accepté ce prélèvement. Ce qui n’est bien sûr pas le cas pour les prisonniers de conscience. Pour eux, cette excuse est encore moins valable. On peut penser que les prisonniers condamnés à mort ont commis un vrai crime, mais pour les prisonniers de conscience, on sait qu’ils sont innocents.
Comment la Chine peut-elle répandre sa propagande à l’étranger ? Les gouvernements étrangers sont-ils trompés par cette propagande ?
Ethan Gutmann : Je doute sérieusement que quiconque ayant ne serait-ce qu’un peu d’intelligence puisse croire la présentation des faits propagée par Pékin. Mais Pékin a de l’argent et du pouvoir, et les gouvernements étrangers acceptent la propagande de Pékin sous prétexte d’éviter de causer des perturbations. Ce sont les relations internationales. Il ne sert à rien de se lamenter à ce sujet.
Quelles seraient selon vous les actions à entreprendre pour renverser la situation ?
Ethan Gutmann : Nous devons mettre la pression sur des actions concrètes, comme la fin du tourisme de transplantation, la fin de l’accréditation de l’Institution de transplantation chinoise par le milieu médical occidental. Les chirurgiens transplanteurs devraient se voir octroyer le statut de paria, le même qui a été collé aux psychiatres soviétiques durant la guerre froide, jusqu’à ce que le régime chinois rende compte complètement de ce qu’il a fait.
Comme le montrent assez clairement les récents reportages de la conférence du Vatican sur les prélèvements, Pékin a perdu le débat sur le prélèvement d’organes. Le seul espoir du régime chinois est que l’Occident accepte la réalité elle-même, car il n’y a rien de faux dans nos recherches et la réalité est que des crimes contre l’humanité ont été perpétrés.
Les Chinois ont-ils l’espoir de voir un jour une justice rendue ?
David Matas : Je dirais qu’il faut dire les choses pas seulement en privé, mais publiquement et à tous les niveaux de la société et inlassablement. J’ai rencontré des membres de nombreux gouvernements et je sais que même si tous les gouvernements ne sont pas dans cette situation, il y en a quand même qui disent les choses comme elles sont. Je pense qu’il est non seulement nécessaire de tenir un discours vrai face à la Chine, et qu’il faut le faire, comme je disais, publiquement, à tous les niveaux et sans cesse.
Quelles seraient selon vous les conséquences d’une mise en lumière à grande échelle des événements sanguinaires qui se sont déroulés en Chine ?
David Matas : Si les gens étaient au courant, j’espère que cela signifierait la fin du gouvernement, la fin du Parti communiste chinois. J’espère que les Chinois diront que c’est inacceptable, et non pas qu’ils le comprennent sans agir. Mais ce n’est pas seulement une question d’ignorance ou de savoir. Il y a en Chine des gens qui savent, mais qui veulent l’ignorer. C’est un aveuglement volontaire. Et ça, c’est un grand problème.
Rappel des faits
En 2006, un chirurgien chinois témoigne avoir prélevé des organes sur des pratiquants de Falun Gong. David Matas, avocat international des droits de l’Homme, et David Kilgour, ancien secrétaire d’État canadien, mènent une enquête qui les conduiront à révéler l’existence d’un vaste réseau organisé à l’échelle du régime chinois, impliquant le concours des autorités, des hôpitaux publics, des hôpitaux militaires et de la police.
D’autres enquêtes suivront, et les témoignages de l’existence de cette pratique se multiplieront avec les années. L’ONU mandatera un rapporteur spécial en 2008, qui se verra entravé dans son enquête par les autorités chinoises et qui confirmera cependant les résultats déjà observés par MM. Matas, Kilgour et Gutmann. En 2013, le Parlement européen votera une Résolution demandant au gouvernement chinois d’arrêter cette pratique. Le gouvernement chinois a, de son côté, toujours nié l’existence de ce trafic, envoyant des messages contradictoires lors de différents sommets médicaux.
Le Falun Gong, discipline traditionnelle pratiquée par 100 millions de Chinois – d’après les chiffres officiels – subit une persécution illégale et arbitraire de la part des autorités chinoises depuis 1999. D’après les enquêtes menées, la vulnérabilité de ceux qui le pratiquent les exposent à être les premières victimes des prélèvements forcés d’organes dans le groupe des prisonniers de conscience (qui compte aussi des chrétiens et des Ouïghours). D’après David Kilgour et David Matas, les prélèvements d’organes sur des prisonniers de conscience mourant au cours d’une opération souvent sans anesthésie, constitue, en plus d’être un trafic très lucratif, un moyen d’extermination en soi.
Vidéo recommandée
Un génocide moderne : La persécution du Falun Gong en Chine
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.