Le film de science-fiction Premier contact (Arrival), tout récemment sorti, met en scène des héros improbables : deux professeurs d’université. Louise Banks, une linguiste, et Ian Donnelly, un physicien, y sont lancés dans une course contre la montre pour éviter l’Armageddon que pourrait déclencher l’arrivée au-dessus de plusieurs pays de mystérieux vaisseaux spatiaux extra-terrestres en forme de monolithe.
Alors que la coopération entre les dirigeants mondiaux et leurs armées s’effrite et qu’un conflit intergalactique se profile, Super-Linguiste sauve la mise en initiant un contact avec les « heptapodes » et en décodant leur langage, ce qui permet de révéler leurs intentions pacifiques. En parallèle, la trame principale est tissée d’extraits suggérant que l’héroïne a vécu le drame de perdre un enfant.
Premier contact s’avère un film d’action captivant et non conventionnel aux échos profondément humains. Il constitue aussi un rappel bienvenu de l’importance des langues et de la communication interculturelle dans un monde de plus en plus replié sur lui-même.
Le cinéaste Denis Villeneuve offre une représentation crédible du monde académique et de la linguistique de terrain, grâce aux conseils de la linguiste Jessica Coon de l’Université McGill dont, par souci de réalisme, les livres de référence figurent même dans la scène filmée dans le bureau de Louise.
Les principes de collecte de données sur une langue inconnue, qui rappellent les méthodes des traducteurs de Wycliffe, sont dépeints dans la scène-clé où le contact s’établit tandis que les données linguistiques montrées à l’écran ont été annotées par Coon, une linguiste de terrain.
Les linguistes à l’honneur
Tout ceci présente au grand public la profession sous un jour nouveau…
L’intrigue est également fermement ancrée dans la linguistique, et plus particulièrement l’hypothèse de Sapir-Whorf selon laquelle la représentation que se fait un individu du monde est en grande partie façonnée par sa langue. Ce concept de relativité linguistique a déjà fourni le décor de plusieurs œuvres de fiction. La nouvelle d’Ayn Rand, Anthem (Hymne), se déroule dans une société dystopique où l’individualité a été éradiquée par l’élimination des marqueurs personnels singulier tels que le « je ».
Dans le roman d’Ursula K. LeGuin, The Dispossessed (Les Dépossédés), qui se déroule sur une planète anarchiste, le concept de propriété est aussi absent que le sont les possessifs dans la langue. Dans Premier contact, il apparaît que les logogrammes circulaires transcrivant la langue des extra-terrestres reflètent une perception non-linéaire du temps qui leur permet de voir dans l’avenir.
En s’appropriant leur langue, la linguiste peut réinterpréter son expérience personnelle dramatique : « Despite knowing the journey and where it leads, I embrace it, and I welcome every moment of it » (« Même si je connais le chemin et son issue, je l’accepte et je profite de chaque instant »), déclare Louise.
Si l’hypothèse de Sapir et Whorf a été largement rejetée pendant la seconde moitié du XXe siècle dominée par la grammaire universelle de Chomsky, des recherches récentes plaident en faveur de sa pertinence. Des études menées par le laboratoire de Lera Boroditsky (une professeure de sciences cognitives) de l’université de Stanford suggèrent ainsi que les locuteurs de l’anglais et du chinois conçoivent le temps différemment (horizontalement de gauche à droite pour les uns, verticalement pour les autres), ou que les locuteurs de langues australiennes où les concepts de gauche et de droite sont absents s’orientent grâce aux points cardinaux et classifient des objets d’est en ouest.
Un plaidoyer pour l’importance du multilinguisme
Au-delà de ses mérites cinématographiques indéniables, Premier contact constitue un rappel inattendu mais bienvenu de l’importance des langues, du multilinguisme et des linguistes professionnels dans la société contemporaine. En effet, les langues transmettent une culture et une vision du monde, et la disparition d’une langue appauvrit l’humanité.
La connaissance de plus d’une langue permet aussi aux individus une ouverture d’esprit puisque chaque code appréhende l’environnement sous un angle différent. Finalement, il ne suffit pas de promouvoir l’apprentissage des langues (ou d’une langue, l’anglais) pour des motifs instrumentaux de progression professionnelle, un centre de langues ne peut remplacer des départements universitaires et les universités doivent préserver la formation de linguistes professionnels qui enseigneront les langues et… qui sait… sauveront le monde ! On ne pourrait rêver d’un meilleur impact des chercheurs sur la société !
Emmanuelle Labeau, Senior Lecturer in French Language and Linguistics, Aston University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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