Depuis les élections législatives de 2022 et la majorité relative à l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a pris une nouvelle place d’arbitre dans le débat public, place qu’il ne devrait pas avoir. Ses récentes décisions suscitent des interrogations sur son éventuelle dérive politique.
Pour la deuxième fois en quelques mois, le Conseil constitutionnel a pris position contre des mesures visant à réguler l’immigration. Le 25 janvier dernier, le Conseil invalidait une trentaine d’articles de la loi sur l’immigration qui avaient été amendés par la majorité sénatoriale LR. Cette invalidation reposait sur une interprétation très large de « cavaliers législatifs », c’est-à-dire d’amendements qui n’avaient pas de lien direct avec le texte.
En réponse à cette invalidation, LR avait rédigé une proposition de loi pour proposer un référendum d’initiative partagée (RIP) visant à restreindre l’accès des étrangers aux prestations sociales, dans un contexte où 69 % des Français plébiscitent un référendum sur la politique migratoire. Le 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a rejeté cette proposition, une décision qui fera jurisprudence, c’est-à-dire qui ne pourra être modifiée, à moins de changer la Constitution.
Cet épisode « démocratique » met en lumière la volonté du Conseil constitutionnel à ne pas vouloir réformer l’immigration en France et sa capacité à limiter les pouvoirs publics en France en politisant son rôle de gardien de la Constitution.
Une « confiscation de la démocratie »
Le président des Républicains Eric Ciotti a rapidement réagi, accusant Emmanuel Macron d’empêcher les Français de s’exprimer sur l’immigration. Sur X, il a dénoncé une fois de plus le Conseil constitutionnel, affirmant que celui-ci répondait aux attentes du gouvernement et accusant une petite caste de confisquer la démocratie. « Il est temps de donner enfin la parole aux Français », avait déclaré Eric Ciotti lors du dépôt du RIP le 12 mars.
Les LR avait pourtant franchi la première étape en récoltant 190 signatures de parlementaires sur les 185 nécessaires pour lancer le référendum – une procédure inscrite dans la Constitution depuis 2008. Si le Conseil constitutionnel avait validé le RIP, Les Républicains auraient eu 9 mois pour recueillir près de 4,8 millions de signatures, soit 10% du corps électoral, pour que les citoyens puissent exprimer leur opinion sur le sujet dans les urnes.
Pour les LR, leurs propositions étaient valides correspondant à la notion de réforme de la politique sociale nationale selon le premier alinéa de l’article 11 de la Constitution. Cependant, cet argument n’a pas été partagé par le gouvernement et les socialistes, qui ont saisi le Conseil.
Le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution
Institué par la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel a pour but de jouer un rôle central au sein de la Ve République, en assurant l’indépendance et le respect des principes constitutionnels français. Suite à une saisine, il vérifie à la fois la conformité des lois votées par le Parlement avec la Constitution et il peut intervenir après la promulgation des lois grâce à la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), instaurée en 2008. Cette procédure permet à tout citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi appliquée lors d’une procédure judiciaire.
Le Conseil est composé de neuf membres, les « neuf Sages », nommés pour un mandat de neuf ans. Ces membres sont désignés par le Président de la République, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Tous les trois ans, un tiers du Conseil est renouvelé. Actuellement, il compte parmi ses membres Laurent Fabius, son président, ainsi que Michel Pinault, Corinne Luquiens, Jacques Mézard, Alain Juppé, Jacqueline Gourault, François Pillet, François Seners et Véronique Malbec.
Les décisions du Conseil s’appliquent pour l’ensemble des institutions et autorités publiques, sans possibilité de recours. Ainsi, toute disposition législative jugée contraire à la Constitution selon le Conseil constitutionnel est inapplicable et aucun recours n’est plus possible.
La politisation des juges en question
Dans le JDD, Gérard Larcher prend acte de la décision du Conseil la qualifiant d’ « interprétation très restrictive de la Constitution ». « J’avoue ne pas très bien comprendre cette décision alors même que le projet de référendum proposé répondait à une forte attente des Français, et ce d’autant que le Conseil constitutionnel n’en détaille pas les raisons. » a commenté le président du Sénat. Cette décision cadenasse, selon lui, cette procédure démocratique du référendum et va à l’encontre de l’esprit du Parlement quand il a révisé la Constitution en 2008 pour y introduire la possibilité du RIP.
Pour Pierre Gentillet, « la lecture sans cesse plus politique de cette institution est un obstacle à la prise de décision démocratique ». L’avocat rappelle les conséquences du « coup d’État juridique » de 1971, par lequel le Conseil constitutionnel « décida que le préambule de la Constitution de 1946 était également une norme actuelle à valeur constitutionnelle, et qu’il pouvait par conséquent annuler une loi sur ce fondement. » Cette décision permet depuis une lecture politique des normes constitutionnelles, selon l’avocat.
C’est ainsi que le 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 étaient en contradiction avec le projet de RIP déposé par les LR. Ces alinéas énonçaient que « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Ces dispositions ont été écrites en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une époque bien différente de celle d’aujourd’hui.
Se basant sur ces alinéas dépassés, le Conseil constitutionnel – dont on connaît les positions politiques de son président, a conclu que « l’exigence d’une résidence minimale de cinq ans pour bénéficier des prestations sociales constituait une atteinte ‘disproportionnée’ aux principes énoncés précédemment. » Le jugement de cette « disproportion » appartenant à l’interprétation propre du Conseil, jugeant de ce qui est proportionné et ce qui ne l’est pas. En résumé, la décision, loin d’être objective du point de vue de la Constitution, vient d’une interprétation choisie par le Conseil.
Retrouver sa souveraineté nationale
Ce positionnement du Conseil pour rejeter le RIP souhaité par une majorité des Français, écarte toute avancée des pouvoirs publics en France, pour répondre aux aspirations des Français. Une « proportion » de 9 juges a décidé de ne pas donner la parole à une autre proportion de 68 millions de Français, on comprend mieux le terme de « confiscation de démocratie ».
Selon l’avocat Philippe Fontana dans le Figaro, ces récentes décisions du Conseil constitutionnel interfèrent dans divers domaines politiques (migration, sécurité et droit pénal) et négligent « les prérogatives du législateur ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs ». Selon l’avocat, le Parlement et l’exécutif ne disposent plus actuellement de marges de manœuvre au niveau national, « qui sont actuellement restreintes par ce que certains considèrent comme une ingérence excessive du pouvoir judiciaire, y compris de la part des cours supranationales européennes ». Nous avions déjà abordé cette dérive idéologique au cœur du Conseil d’État, cette fois-ci, dans un article précédent.
Avec la restriction du Conseil constitutionnel sur ces questions primordiales pour les Français, la seule solution selon Philippe Fontana serait qu’un futur président ait la « volonté de réformer la Constitution afin de faire revenir le Conseil constitutionnel à la compétence qui lui avait été attribuée en 1958 : celle de gardien de la régularité du fonctionnement des pouvoirs publics ». Ce serait la seule solution aujourd’hui pour restaurer la souveraineté nationale des Français.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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