ENTRETIEN – L’ombre du 49.3 qui plane sur l’adoption du projet de loi de finances, le bureau de l’Assemblée nationale qui juge recevable la proposition de destitution d’Emmanuel Macron, François Ruffin et François Hollande qui s’attaquent frontalement aux choix stratégiques de Jean-Luc Mélenchon… La rentrée politique démarre sur les chapeaux de roues. Sénateur de la Somme et porte-parole du Parti socialiste, Rémi Cardon partage dans cet entretien son analyse sur ces actualités et plaide pour une refonte du discours de la gauche d’ici à 2027, en le recentrant sur la question du travail. Le plus jeune sénateur de France revient également sur son projet de loi pour lutter contre la précarité alimentaire des jeunes et son manifeste de la gauche numérique dont l’ambition est de convertir la « French Tech macroniste » en « French Tech populaire ».
Epoch Times : Le président LFI de la commission des finances de l’Assemblée Eric Coquerel estime que « Macron veut rendre inéluctable l’adoption d’un budget austéritaire ». Pensez-vous que le projet de loi finances pourrait être adopté par le biais d’un 49.3 ?
Rémi Cardon : Le gouvernement n’est pas seul à préparer l’opinion publique à l’austérité budgétaire, la sphère médiatique y contribue également, prédisant des scénarios catastrophistes et une incapacité à rééquilibrer le budget. Les bras m’en tombent : cela fait sept ans qu’on réduit les recettes, et maintenant on se demande comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle !
Je pense que si le gouvernement retarde le débat sur le projet de loi de finances, c’est aussi pour préparer médiatiquement les parlementaires qui pourraient être susceptibles d’interpréter favorablement le texte. Ce débat sera de courte durée et se soldera sans doute, en cas de désaccord, sur un recours à l’article 49.3. Nous avons déjà une certaine expérience des méthodes du gouvernement macroniste.
Quel regard portez-vous sur la procédure de destitution contre le chef de l’État initiée par les Insoumis et validée par le bureau de l’Assemblée ?
Il est déjà difficile de faire vivre le débat au sein des institutions et du Parlement, d’autant plus qu’Emmanuel Macron ne facilite pas les choses. Nommer un Premier ministre issu d’un des groupes politiques les plus minoritaires, Les Républicains, était un déni de démocratie.
Cependant, évoquer la destitution du président de la République ne fera pas progresser la situation et ressemble davantage à un coup de pression, qui est d’autant plus contre-productif qu’imaginer les deux tiers du Parlement valider une telle procédure me parait une hypothèse très peu probable. Au contraire, cela pourrait renforcer la position d’Emmanuel Macron. Cette démarche, longue, n’est donc ni adaptée ni la solution, particulièrement dans un contexte d’inquiétude marquée autour de l’instabilité gouvernementale.
En ce qui concerne la question de la stratégie insoumise,François Ruffin, que vous présentiez dans une tribune donnée à Marianne comme « l’avenir de la gauche », a dénoncé la semaine dernière la grille de lecture électorale « quasi raciale » de LFI ainsi que le manque de démocratie interne au sein du mouvement.
François Ruffin porte un message essentiel : la gauche doit parler à l’ensemble du territoire, à la France des tours et à celle des bourgs, comme il le dit si bien.
Soyons pragmatiques et regardons les chiffres électoraux. Si l’on retire les voix de l’Île-de-France, il est clair que le Nouveau Front populaire n’arriverait pas en tête du scrutin. Il y a donc un véritable travail de refonte et de réorientation de notre message politique pour qu’il puisse toucher toute la France. Et il me semble que la priorité doit être axée sur un sujet majeur, celui du travail. Nous nous trouvons à un carrefour décisif, où il est impératif de reconquérir les électeurs historiques que nous avons peu à peu perdus.
Qu’il s’agisse de l’ouvrier de l’usine Bonduelle dans l’est de la Somme ou d’une usine en Île-de-France, il faut s’adresser à tous ceux qui partagent les mêmes préoccupations autour de la question du travail, de sa revalorisation, de la qualité de vie, de la question du temps libre : voilà des sujets que la gauche doit impérativement s’approprier.
Il est temps de dépasser les débats stériles du type « il est plus ou moins à gauche que moi ». Ce qui compte, c’est la bataille des idées, et celle-ci doit être menée dans l’espace public, après un véritable travail d’écoute à travers tous les territoires.
Nous sommes dans une période de sursis. Lors des dernières législatives, décidées sur un coup de tête par un président de la République totalement irresponsable, le front républicain a fini par l’emporter. Mais combien de temps cela va-t-il durer ?
En mars dernier, vous avez déposé une proposition de loi visant à « garantir la sécurité alimentaire des jeunes de 18 à 25 ans ». Quel est l’état de la précarité alimentaire des jeunes en France et que contient votre texte ?
Ce qui me désole, c’est que chaque année, des reportages et des enquêtes journalistiques mettent en lumière la précarité alimentaire des jeunes, sans que des solutions concrètes ne soient mises en œuvre. Selon l’étude « avoir 20 ans en 2024 » réalisée par Linkee et publiée en février, 3 étudiants sur 4 disposent de moins de 100 euros par mois de « reste à vivre », soit moins de 3,33 euros par jour notamment pour se nourrir. En France, c’est 1,5 million de jeunes adultes qui vivent en situation de pauvreté.
Si un jeune n’a pas les moyens de se nourrir ni de se loger, il ne peut pas se projeter dans une formation ou une insertion professionnelle. Il faut donc absolument garantir une sécurité à ce niveau, et sortir de ces politiques conjoncturelles qui consistent à s’appuyer sur des collectivités intervenant ponctuellement, via des subventions aux associations, par exemple. Ces initiatives, bien que nécessaires, ne peuvent constituer une solution viable dans la durée.
Et c’est pourquoi il est temps de mettre en place un nouveau droit durable, structurel et universel garantissant à tous les jeunes de 18 à 25 ans vivant sous le seuil de pauvreté une sécurité alimentaire. Cette mesure prendrait la forme d’un versement de 150 euros par mois, une aide dont le coût est estimé à 4 milliards d’euros. Il ne s’agit donc pas d’une ambition démesurée et déraisonnable, mais d’un service minimum que l’on se doit de rendre.
Nous avons souvent été critiqués pour le Revenu de solidarité active, accusés de promouvoir l’assistanat. Mais soyons réalistes : si un jeune ne fait rien, c’est souvent parce qu’il n’est pas suivi ou qu’il est confronté à de lourdes difficultés financières. Par exemple, de plus en plus d’étudiants travaillent pour subvenir à leurs besoins. Travailler à côté de ses études n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il est regrettable qu’un étudiant doive parfois sacrifier son temps d’étude pour gagner de quoi vivre. Cela nuit à leur réussite et à leur performance académique.
Aussi, cette mesure est une première étape, une brique fondamentale d’un nouveau droit, qui pourra être ajusté et revalorisé avec le temps.
Sur le volet du numérique, vous estimez qu’il faut passer de la « startup nation » à la « French Tech populaire ». Vous avez proposé en ce sens un manifeste au Nouveau Front populaire. Quelles en sont les grandes lignes ?
Ce manifeste a été conçu juste avant la recherche d’un Premier ministre dans le but de compléter le programme du Nouveau Front populaire. Comme certaines questions n’avaient pas pu être abordées en raison du délai très court – le programme ayant été élaboré en moins de quinze jours – j’ai voulu apporter ma vision, sur le sujet de la French Tech. Je crois fermement que la question du numérique doit être politisée.
De nombreux exemples montrent que le numérique peut être à la fois une opportunité, en matière de progrès social et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi une menace. Prenons le cas du marché locatif : avec la démocratisation d’Airbnb, certains propriétaires en France, pour éviter les contraintes règlementaires envers leurs locataires comme celles liées aux rénovations énergétiques, se sont détournés de la location longue durée afin d’opter pour la location de courte durée via Airbnb.
Un autre exemple, le marché de la livraison, bouleversé par l’ubérisation. Comment se fait-il qu’aujourd’hui, des auto-entrepreneurs soient rattachés à une seule entreprise ? Comme ils n’ont en réalité qu’un seul employeur, ils sont des salariés de fait, et devraient légitimement bénéficier des mêmes droits que tout autre salarié français.
Le numérique a donc bouleversé la société française à bien des égards. Ce que je souhaite avec l’idée de la French Tech populaire, c’est répondre à ce constat : la French Tech macroniste étant arrivée en bout de course, il est temps que la gauche se réapproprie ce domaine pour promouvoir une philosophie qui soit utile sur les plans social et environnemental.
Comme il existe des fractures numériques et territoriales qui créent des injustices, il est nécessaire de développer son accessibilité, tout en améliorant l’éducation pour améliorer les compétences d’utilisation.
Ensuite, il faut repenser l’économie numérique en mettant l’humain au centre. Ce n’est pas à l’humain d’être au service du numérique, mais bien l’inverse. Enfin, d’un point de vue écologique, il est essentiel d’être prudent et de faire des choix éclairés, car les technologies numériques, en raison de leur consommation énergétique élevée, ont des impacts environnementaux majeurs.
Concrètement, cette semaine, j’étais présent à un salon technologique rassemblant les startups françaises et organisé par France Digitale.
Sur les milliers de startups en France, au moins 1000 intègrent désormais dans leur modèle économique des préoccupations sociales et environnementales. Prenons l’exemple de Too Good to Go : cette société a tiré parti de la loi anti-gaspillage pour lancer une innovation à la fois écologique, en luttant contre le gaspillage alimentaire, et sociale, en rendant ses repas plus accessibles grâce à des prix réduits.
Désormais, je souhaiterais que cette philosophie de la French Tech populaire s’étende à tous les territoires et, également, que ce secteur devienne un véritable espace de mixité sociale, la French Tech étant souvent perçue, même par ses acteurs, comme un milieu réservé à un homme blanc en costume, formé à HEC. Cela ne doit plus être le cas.
En ce sens, je veux impulser un nouvel élan, en collaboration avec d’autres collègues parlementaires, pour développer davantage le concept de la French Tech populaire à travers des actions concrètes, tant au Parlement que dans nos collectivités. Il est temps de fixer un nouveau cap.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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