Le 9 juin dernier, la Fédération de Russie et la République populaire de Chine (RPC) ont accueilli l’Inde et le Pakistan comme membres à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS).
Le symbole est fort : l’alliance entre Moscou et Pékin paraît si solide qu’elle est capable de fédérer des frères ennemis et de rassembler 40 % de la population mondiale au sein d’une organisation internationale non occidentale.
Mais quelle est la solidité cette alliance ? Ne risque-t-elle pas voler en éclats en Asie centrale, où le Président chinois Xi Jinping entend tracer une « nouvelle route de la soie » au beau milieu de l’aire d’influence russe ? Ne butera-t-elle pas sur l’inégalité économique et démographique des partenaires ? Derrière la façade, plusieurs fissures apparaissent.
Une vision commune des relations internationales
Après les tensions et les rapprochements des périodes tsariste et communiste, les relations sino-russes se sont rapidement normalisées : en 1996, les deux États concluent un partenariat stratégique et signent, en 2001, un traité d’amitié exposant leur vision commune des relations internationales : le respect des souverainetés étatiques doit être scrupuleux, les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU doivent être appliquées à la lettre et chaque pays a le droit d’élaborer son propre modèle de développement. Enfin, les deux États soldent leurs contentieux territoriaux en 2004.
La convergence politique est nette dans l’opposition à l’hégémonie américaine. Ainsi, les interventions militaires américaines au Kosovo (1999) et en Irak (2003) ont été dénoncées par Pékin et Moscou comme des atteintes à la souveraineté des États.
Pour ces deux puissances, il s’agit de prévenir toute intervention à Taïwan, en Corée du Nord, dans le Caucase ou en Ukraine. Au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), la Russie peut s’appuyer régulièrement sur la Chine : depuis 2007, Pékin a utilisé sept fois son droit de veto au CSNU, toujours avec la Russie.
De même, les deux États ont soutenu des lignes proches sur le nucléaire iranien, la guerre civile en Syrie ou encore le terrorisme islamiste international. Récemment, les gestes symboliques ont été forts : en mai 2014, en pleine crise ukrainienne, le président de la Fédération de Russie s’est rendu à Shanghai ; le président de la République populaire de Chine (RPC) à quant à lui participé aux célébrations du 70e anniversaire de la victoire de la Deuxième Guerre mondiale à Moscou, le 8 mai 2015. Dans les enceintes multilatérales, l’alliance paraît solide.
L’Organisation de coopération de Shanghai, une solidarité sécuritaire
La fondation de l’OCS en 2001 donne le cadre de l’alliance en matière de sécurité. La Russie et la Chine fédèrent autour d’elles les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale et, aujourd’hui, les acteurs majeurs de l’Asie.
Les partenaires veulent faire pièce aux révolutions de couleur en Asie centrale ; ils souhaitent contenir la présence américaine dans la région, en Afghanistan et au Moyen-Orient et obtiennent la fermeture des bases aériennes en Ouzbékistan et au Kirghizstan, à la suite du sommet de l’OCS d’Astana en 2005.
C’est dans le domaine militaire que les coopérations sont les plus poussées. En 2005, 2007, 2009, 2010 et cet été dans en mer Baltique, la Chine et la Russie mènent, sous l’égide de l’OCS, des exercices militaires terrestres et navals d’ampleur sous le nom de « Mission de Paix ».
La coopération est particulièrement intense dans le domaine des armements. Après 1989, suite aux sanctions occidentales consécutives à la répression de la place Tian’anmen, la Chine a recouru aux exportations d’armement russe. Ainsi, durant les années 1990, la Chine a représenté 50 % des débouchés des exportations d’armement russes.
En 2005, suite aux manœuvres conjointes « Mission de Paix 2005 », la RPC a commandé à la Russie de nombreux avions de combat et de transport. Dans le domaine des missiles également la Chine s’est régulièrement approvisionnée auprès des industries russes, même si l’Inde a détrôné récemment la Chine comme premier importateur d’armes russes.
Des coopérations économiques plus récentes
Longtemps, les échanges économiques ont été le point faible des relations entre la Russie et la Chine. Mais, depuis le début des années 2010, la Chine est devenue le premier partenaire économique de la Russie, si bien que les deux États se sont donné pour but de porter leurs échanges de 90 milliards de dollars par an à 200.
Les échanges sont peu diversifiés pour la Russie : 80 % des exportations russes vers la Chine sont constituées d’hydrocarbures. Mais en raison de désaccords persistants sur les prix et de réticences côté russe, la construction de gazoducs et d’oléoducs a pris des retards importants.
Il faut attendre 2010 pour que la Russie ouvre son premier oléoduc vers la Chine et, en 2014, le projet de gazoduc « Force de Sibérie » a pris corps. Pékin et Moscou ont alors signé un accord de fourniture de gaz de 38 millions de mètres cubes par an à partir de 2018, pour un montant total estimé à 400 milliards de dollars et pour une durée de 30 ans.
Dans le domaine financier, la Chine et la Russie tentent de développer, à travers l’organisation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), un système bancaire et financier alternatif aux marchés financiers occidentaux. L’alliance économique est en réalité bancale car l’inégalité économique entre les partenaires l’entrave.
Une alliance limitée par plusieurs sujets de tension structurels
L’alliance sino-russe peut-elle contrer la puissance combinée des Américains et des Européens ? Rien n’est moins sûr car le partenariat bute sur plusieurs pierres d’achoppement structurelles.
Les visions géopolitiques des deux partenaires sont loin d’être alignées. La Russie est actuellement engagée dans une politique du fait accompli, visant à réviser les équilibres en Europe et au Moyen-Orient. La Chine, quant à elle, apparaît plus conservatrice et plus soucieuse de ménager les États-Unis de Donald Trump, pourtant agressifs.
Ainsi, concernant l’annexion de la Crimée, la Chine n’a pas activement soutenu la Russie car celle-ci a ouvert une brèche dans le front commun sino-russe de défense du principe de non-ingérence.
De plus, en Asie centrale, la Russie trouve dans la Chine une rivale de sorte que les perspectives sur l’avenir de l’OCS peuvent ainsi fortement diverger. L’extension du champ de compétence de l’OCS au champ économique est souhaitée par Pékin, notamment pour accroître son influence via le projet de nouvelle route de la soie. Ce que redoute plutôt Moscou.
Pour diluer le poids de la Chine dans l’organisation, la Russie a favorisé la candidature de l’Inde et du Pakistan. Derrière l’unité apparente se cachent donc des rivalités avérées.
Dans le domaine militaire, Moscou n’hésite pas à fournir des équipements aux rivaux de la Chine dans la région (Inde, Vietnam, etc.). Et Moscou est de plus en plus attentif concernant les transferts de technologies de pointe vers la Chine.
Ainsi, en 2004, les autorités russes ont bloqué l’exportation du chasseur Soukhoï Su-35 et du bombardier Tupolev Tu-22M vers la Chine, en raison de désaccord sur la protection des technologies sur le Soukhoï Su-27SK, renommé Shenyang J-11 en Chine. En un mot, la Russie a peur des copies chinoises.
Dans le domaine économique, la Russie est réticente à s’engager dans un « tournant chinois » résolu. Les autorités publiques veillent en effet à limiter les investissements chinois en Russie. Ainsi, en 2002, la compagnie chinoise China National Petroleum Corporation, qui s’était portée acquéreuse de la compagnie russe Slavneft, a été écartée par les autorités russes.
Cyrille Bret, philosophe et géopoliticien, enseigne à Sciences Po Paris et dirige le site eurasiaprospective.net
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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