Le storytelling ne cesse de se démocratiser. L’art de raconter les histoires est devenu, depuis les années 90, une marotte pour les personnages publics et pour les professionnels de la communication. Aujourd’hui, les marques cherchent toujours à raconter leur image et utilisent les réseaux sociaux dans leurs campagnes. À l’image de Nestlé, qui a récemment décider de partager ouvertement avec les internautes en lançant sur Twitter une campagne titrée « Pourquoi aimez-vous le travail des enfants ? » comme message pour demander aux internautes de parler à cœur ouvert en posant leur question sur la marque. Le tollé a été considérable. D’autres exemples existent. Tout le monde ne réussit pas à faire passer son message et les échecs peuvent coûtent cher. Comment attirer l’attention grâce au storytelling, comment affirmer des valeurs, une marque, une histoire ? Questions à Stéphane Dangel, consultant en communication et auteur d’ouvrages sur le sujet.
Quelles sont les spécificités d’une communication basée sur le storytelling ?
Il y a deux mots dans storytelling. Story: il s’agit donc d’histoires, de récits, de messages sous forme de récits. Une histoire, c’est un enchaînement d’événements, réels ou fictifs. Ce n’est pas uniquement des faits, des arguments qui sont martelés, et auxquels la communication traditionnelle, rationnelle nous a habitué. Dans une histoire, il y a bien plus que des arguments : il y a de la vie, avec des émotions. Il y a autant de différences qu’entre un Power
Point ennuyeux avec ses diapositives remplies de texte et un film écrit par un bon scénariste.
Tout cela est au service d’un message, car le storytelling n’a pas pour but de divertir mais de partager des idées. Et c’est là qu’intervient le deuxième mot contenu dans storytelling: telling, raconter. En réalité, il s’agit de partager, se connecter plus que de raconter : le storytelling est un dialogue, pas un monologue. Lorsque vous racontez une histoire, votre auditoire ne va pas la prendre et l’absorber telle quelle. Il va connecter certains de ses éléments avec sa propre histoire et donc, à l’arrivée s’approprier votre histoire en la reconstruisant à sa propre sauce. On peut donc dire qu’au final, une histoire, quelle qu’elle soit, ne nous apprend jamais rien de vraiment neuf. Par contre, une bonne histoire peut se connecter avec des éléments enfouis très profondément.
On voit de plus en plus de campagnes publicitaires s’y rapportant, notamment sur les réseaux sociaux. À quoi répond cette tendance ? Faut-il craindre une usure, ou y voir un renouvellement ?
Il y a justement une usure de la communication traditionnelle. La pression vient du public, des citoyens, des consommateurs. Avec leur pratique de plus en plus experte de la communication, notamment sur les réseaux sociaux, ils ne sont plus prêts à être des spectateurs passifs d’une communication. Ils veulent participer et le storytelling étant une conversation, il le leur permet. Les entreprises, les marques sont obligées de répondre à cette exigence. Cela ne veut pas dire qu’elles y répondent bien ! Il est tentant, pour une entreprise, de continuer à s’écouter parler en disant que c’est du storytelling, plutôt que de prendre des risques en se plaçant d’égal à égal avec le public, pour échanger des histoires.
Donc, pour moi, il n’y a pas de risques d’usure du storytelling, d’autant qu’il évolue sans cesse: il y a eu le storytelling transmédia, avec des histoires qui se déroulent sur plusieurs médias en même temps, et aujourd’hui le storytelling est une clé du succès qu’on prédit aux casques de réalité virtuelle. Et on le voit aujourd’hui complètement intégré dans le gaming – la conception de jeux vidéos –, dans le design thinking – la conception de produits, de bâtiments, de nouveaux espaces urbains…
Le storytelling est très présent aux États-Unis, où l’on voit des candidats à la présidence se raconter à longueur de spots télévisuels. Cette
« culture » de communication peut-elle gagner la France ? Les domaines d’application sont-ils identiques ?
Les personnalités politiques françaises se sont déjà mises au storytelling, ou du moins, elles le croient ! Les Américains, eux, sont des personnages politiques. Ils ne se racontent pas, ils se servent de leur histoire personnelle pour véhiculer des messages collectifs.
Le « Yes we can » de Barack Obama était plus collectif que personnel, l’histoire de Donald Trump également. Le storytelling personnel de Trump est au service d’une « bigger story » qui pourrait se résumer de cette manière: « Ces bureaucrates de Washington veulent diriger votre vie comme bon leur semble, mais votre vie, c’est à vous qu’elle appartient ! » Le plagiat de Melania Trump sur Michelle Obama n’a d’ailleurs pas été un grand scandale aux États-Unis, pour cette raison. En France, on est beaucoup plus dans un storytelling du « moi je », de personnalité politique et non pas de personnage au service d’une histoire. Ce storytelling-là est inutile, il n’a aucune efficacité réelle.
C’est aussi pour cela que, vu de France, nous hallucinons, en voyant que Donald Trump, malgré toutes ses outrances, pourrait bien être choisi par une majorité d’Américains pour être leur prochain président. Nous ne comprenons pas, parce que nous ne sommes pas habitués à chercher les bigger stories – nos hommes politiques français ne l’ont pas souhaité.
Néanmoins, en France, les candidats aux élections présidentielles sortent à présent des livres résumant des propositions, mais cela ressemble fort à un storytelling qui ne dit pas son nom… qu’en pensez-vous ?
C’est amusant d’observer toutes ces parutions de livres… Il n’y a pas à dire : ils s’y sont vraiment tous mis ! Pour raconter la même histoire ! Elle est très courte et identique pour tous: « J’ai changé ! » En plus d’être, malgré l’enrobage de discours du type « au service de la France », un pur storytelling du « moi je », il y a ici une erreur de base : le storytelling est une technique de différenciation, mais si tout le monde se met à raconter la même chose, cela n’a strictement aucun intérêt. Aucun intérêt pour l’auditoire en tout cas. En procédant de cette manière, les auteurs de ces livres se placent dans une posture d’hommes politiques qui se parlent à eux-mêmes et entre collègues-confrères. Le public ne fait pas partie de cette histoire, il n’y est pas convié, ce qui est un comble pour un livre !
Avez-vous des exemples d’entreprise ayant opéré un virage (marketing, management…) grâce au storytelling ?
En marketing, Ibis Styles est un exemple intéressant. Le storytelling a été intégré jusque dans le travail de design des hôtels de la marque, pour proposer des univers, des histoires à vivre aux clients, pas toujours les mêmes suivant les différents établissements. Quand Burger King aux États-Unis découvre que le menu Chicken Fries, qu’elle a supprimé de son menu, était réclamé par ses clients, notamment les ados, qu’elle réinstaure ce menu, qu’elle développe des emojis en lien avec ce menu et que ses jeunes clients intègrent ces emojis aux normes de conversation qu’ils ont entre eux, il y a co-construction d’une histoire. En management, c’est souvent dans les situations de crises que l’on découvre les vertus du storytelling: à la NASA, quand on s’est aperçu qu’on avait oublié de capter les histoires de trucs et astuces qui ont permis aux missions spatiales d’être un succès… avant que les ingénieurs ne partent à la retraite… Bref, dans les entreprises, le storytelling est multiformes.
Que conseilleriez vous à une entreprise souhaitant tourner sa communication dans ce domaine ?
Tourner n’est pas le bon verbe: se reconnecter avec le storytelling est plus juste. C’est dans notre nature d’échanger des histoires. Mais nous avons oublié, désappris. On nous a élevés au PowerPoint, et aux pires: ceux qui endorment l’auditoire, avec leurs listes à puces et leur texte lu à haute voix, au cas où le public ne saurait pas lire… Avant tout, il faut faire retravailler ce muscle narratif, le rendre à nouveau fonctionnel. Et ensuite, oui, on peut faire du storytelling.
Quels sont les enjeux d’une campagne storytelling, les erreurs à éviter ?
Il y a une seule règle d’or sur laquelle on ne peut pas faire l’impasse: l’authenticité. Que l’histoire soit réelle ou inventée, elle doit être authentique, refléter la vraie personnalité de l’entreprise, la marque, ses fondateurs. On peut ne pas avoir tout vécu dans sa vie, ne pas avoir forcément d’histoire vraie extraordinaire à raconter, mais on a des valeurs, que l’on vit, et qui doivent être racontées ou plutôt partagées d’une manière ou d’une autre. Le storytelling n’est pas là pour faire joli, mais pour donner du sens.
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