Écœurés par le rapprochement forcé opéré pendant huit ans par le Kuomingtang avec la République Populaire de Chine, les électeurs taiwanais ont porté au pouvoir, samedi 16 janvier, le Parti Démocratique Progressiste (DPP), élisant dans le même temps leur première femme présidente. Celle-ci porte un programme focalisé sur le développement économique de l’île et la diversification de ses partenaires et devra s’assurer de maintenir un statu quo pacifique avec Pékin qui voit d’un très mauvais œil la diminution de son influence régionale et un possible rapprochement entre Taiwan et les États-Unis.
La nouvelle présidente taïwanaise, Madame Tsai Ing-wen, a survolé la campagne et finalement rallié 56% des électeurs, mettant fin à huit années de gouvernement par le parti nationaliste Kuomingtang (KMT), marquées par une économie stagnante et une augmentation des inégalités. Dans sa première déclaration après sa victoire, Tsai Ing-wen a indiqué que son parti « tournerait la page de la polarisation politique, pour faire entrer Taiwan dans une nouvelle ère politique. Le peuple attend un gouvernement qui guide ce pays jusqu’à sa prochaine génération, un gouvernement qui soit ferme pour protéger la souveraineté de son pays ».
Formée à l’université de Cornell aux États-Unis, puis à la London School of Economics, Mme Tsai a focalisé sa campagne, non pas sur la question des relations avec la Chine continentale, mais sur la croissance économique de l’île, premier sujet de préoccupation des électeurs : en 2015, la croissance du PIB n’a en effet que péniblement atteint 1%, les salaires stagnant et le chômage des jeunes croissant – tandis que les prix à la consommation continuaient de croître. La nouvelle présidente parie donc, pour revitaliser l’économie du pays de 23 millions d’habitants, sur une diversification des partenaires commerciaux en Asie du Sud et du Sud-Est, soit une machine arrière complète sur la stratégie du KMT qui a consisté à intégrer le plus possible l’économie taiwanaise dans le sillon de la Chine continentale. Aujourd’hui, plus de 25% des exportations taïwanaises sont à destination de la Chine continentale, et 13% supplémentaires pour Hong Kong seul.
Le DPP a promis un train de mesures incluant la création de cinq nouveaux centres industriels et d’innovation sur l’île, avec un « hub » pour la technologie au Nord de l’île et de nouveaux outils de production au centre. Des modifications en profondeur du système éducatif sont également annoncées, ainsi qu’une stimulation et une diversification du tourisme (près de la moitié des 10 millions de touristes visitant l’île chaque année sont chinois). Un des objectifs non dissimulés est de convaincre les entreprises taiwanaises ayant investi en Chine, et les cadres expatriés, de faire le pari du retour à la terre natale.
Le parti de la nouvelle présidente bénéficiera pour cela d’une confortable majorité au Parlement, situation inédite dans la politique de Taiwan où, pour la première fois, le Kuomingtang a perdu le contrôle de toutes les institutions clés. Madame Tsai devra cependant prendre garde aux excès de confiance que pourrait stimuler dans son camp cette position de force, et en particulier savoir calmer les voix appelant à une déclaration d’indépendance vis-à-vis de la Chine communiste. Mme Tsai a soigneusement évité le sujet pendant sa campagne, se limitant à annoncer la fin de la politique de lien privilégié avec Pékin : « Nous travaillerons au maintien du statu quo pour la paix et la stabilité des deux côtés du détroit, pour apporter le meilleur futur aux Taiwanais », a-t-elle déclaré dans l’allocution prononcée après sa victoire. « Les deux côtés du détroit sont responsables de trouver une façon mutuellement acceptable de travailler ensemble. »
Les erreurs en série du Kuomingtang
« Je suis désolé… nous avons perdu. Le KMT a subi une défaite électorale », a annoncé, visiblement affecté, le candidat du KMT, Eric Chu, devant le siège du parti à Taipei. « Nous n’avons pas travaillé assez dur et avons déçu les attentes des électeurs. »
Distancé dans les sondages depuis le début de la campagne présidentielle, le KMT a, ces derniers mois, peiné à trouver un candidat capable d’affronter Madame Tsai : le candidat initial Hung Hsiu-chu, était tellement maltraité par les sondages qu’il s’est retiré de la course en octobre dernier, remplacé par M. Chu, le secrétaire du Parti. Sa défaite est un clair désaveu du président sortant, M. Ma Ying-jeou, et de sa politique de rapprochement avec Pékin. Ce rapprochement à marche forcée a par exemple engendré, en 2014, le mouvement « des tournesols », étudiants taiwanais qui, pendant plus de trois semaines, ont occupé le Parlement taiwanais et manifesté par centaines de milliers pour s’opposer à un traité de libre-échange avec la Chine continentale, lequel devait ouvrir grand les portes d’une soixantaine de secteurs de l’économie taiwanaise aux sociétés de Chine continentale – en particulier la culture et les médias. Le KMT est finalement revenu sur cette mesure, mais le divorce avec l’opinion était déjà consommé.
Mme Tsai ne s’est pas privée de rappeler durant sa campagne que les promesses de développement économique par rapprochement avec Pékin n’avaient pas été tenues, et qu’à l’inverse les entreprises taiwanaises ont été fragilisées : « L’environnement taiwanais pour l’innovation et l’entrepreneuriat empire », déclarait-elle en décembre dernier, citée par le New York Times. « Nos travailleurs partent à l’étranger et un très grand nombre sont captés par des entreprises chinoises. Beaucoup de nos jeunes à l’étranger n’ont pas de possibilité de revenir. »
Contrition K-pop
Une chanteuse pop taiwanaise a, très involontairement et en dernière minute, aidé à décrédibiliser plus encore la stratégie du KMT. La jeune Chou Tzuyu, star taiwanaise d’un groupe de K-pop coréen, apparaissait le 15 janvier dans une vidéo, non maquillée, les cheveux attachés, habillée de noir sur un fond gris évoquant plus un couloir de prison qu’un studio d’enregistrement, lisant avec une voix tremblante un texte d’excuses – manifestement pas le sien – pour avoir osé arborer sur une de ses photos le drapeau taiwanais. Les réseaux sociaux taiwanais se sont immédiatement enflammés pour accuser la Chine continentale d’avoir fait pression sur le groupe et de piétiner l’identité taiwanaise. L’indignation a été si forte que, dans sa première déclaration, la nouvelle présidente y a fait allusion en indiquant : « Le système démocratique, l’identité nationale et l’espace international doivent être respectés. Toute forme de répression ira à l’encontre de la stabilité des relations entre les deux rives du détroit ».
Pour ne pas surprendre, Pékin a réagi de façon glaciale à l’élection de Mme Tsai, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois déclarant que « le gouvernement chinois ne tolérerait aucune activité sécessionniste ». Même réaction de l’agence de presse officielle chinoise Xinhua pour qui le résultat de l’élection « va créer de grandes difficultés aux relations entre les deux rives du détroit ». Ces deux commentaires sont probablement alimentés par le souvenir que la charte constitutive du DPP inclut l’objectif de déclaration de l’indépendance de Taiwan ; ils oublient cependant que les Taiwanais se sentent majoritairement chinois. Le rejet vis-à-vis de la Chine n’est donc pas fondamentalement basé sur le sentiment d’appartenance à deux nations distinctes, mais sur le choix entre une société libre d’un côté, une dictature de l’autre.
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