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Curiosity, le plus imposant de tous les rovers déposés jusqu’à ce jour, explore depuis 2012 un cratère martien. Il transporte une charge utile de 10 instruments provenant de coopérations internationales (les Français ont très fortement contribué à deux d’entre eux, ChemCam et SAM). Les scientifiques ont deux enjeux principaux : mieux comprendre la planète Mars et répondre à la question : la vie aurait-elle eu les moyens de s’y développer ?
Une petite histoire de Mars
Les planètes se sont créées il y a environ 4,6 milliards d’années (4,6 Ga) dans un nuage de poussières et d’atomes dont le Soleil, nouveau-né, occupait le centre. On sait qu’il y a 4 Ga environ, la Terre avait atteint un état géologique (sol, atmosphère, océans) assez proche de l’actuel. Il en a sans doute été de même pour Vénus et Mars dont les orbites encadrent celle de la Terre. L’étude de ces planètes relève de la planétologie comparée (géologie, géophysique, géochimie, etc.). Mais chercher la possibilité de vie planétaire oblige à rajouter un nouvel angle d’investigation, l’exobiologie.
On sait que les propriétés physico-chimiques de l’eau liquide permettent de favoriser la construction des macromolécules qui permettent le vivant : la région du Système solaire où l’eau peut exister sous cette forme est évidemment centrée sur la Terre ! Ses limites touchent les orbites de Vénus et Mars : Vénus proche du Soleil est vraiment trop chaude (460 °C au sol) ; Mars a perdu presque toute son atmosphère de gaz carbonique et est trop froide (-60 °C au sol en moyenne).
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, cette petite planète qu’est Mars s’est refroidie assez vite. Son noyau métallique cessant d’être en fusion, son champ magnétique, bouclier contre le vent solaire, a disparu il y a quelques milliards d’années : l’atmosphère martienne a commencé à être expulsée (des observations de la sonde spatiale MAVEN l’ont montré).
Avant ceci, il y a 2 à 4 Ga environ, un effet de serre, des conditions quasi-terrestres, ont pu exister sur Mars. Or, c’était l’époque où la vie apparaissait sur Terre… Alors ?
Mars et la quête de la vie
En 1976, les atterrisseurs Viking n’ont pas obtenu de résultats flagrants. Mais, après cette déception, l’observation rapprochée de Mars a donné de nouveaux espoirs. Les sondes spatiales de la NASA ou de l’ESA ont montré l’existence de traces d’écoulements disparus : rivières et affluents, dépôts alluviaux. On a pu identifier des sédiments comme l’argile, qui se forme par l’action de l’eau sur des roches primaires, et donc conclure à la circulation d’eau liquide sur Mars dans le passé.
On connaît de nombreuses sources de molécules organiques assez complexes (éclairs, micrométéorites, processus hydrothermaux), et l’argile, comme l’eau, joue un rôle essentiel pour la fabrication des premières macromolécules complexes et leur protection contre les atteintes de l’extérieur. Tout ceci est-il suffisant ? Non, il y a un autre critère ! Si l’on cherche sous quelles conditions la vie pourrait exister, il faut, bien sûr, disposer d’eau liquide, de carbone et d’atomes courants (oxygène, hydrogène, azote, phosphore, soufre) et de supports minéraux, mais il faut aussi, évidemment, de la nourriture : cet ensemble définit l’« habitabilité » de Mars.
Revenons chercher des idées sur Terre. Dans le premier milliard d’années, environ, où la vie a existé sur Terre, le dioxygène, source très importante d’énergie (photosynthèse, etc.) n’existait pas, mais, il y avait, comme de nos jours, des organismes anaérobies qui savaient s’en passer en extrayant l’énergie de réactions chimiques inorganiques. Était-ce possible sur Mars ? Il a donc fallu demander au rover Curiosity d’identifier des sites où les conditions d’habitabilité étaient réunies.
Les premiers résultats de Curiosity
Mars, cratère Gale, 6 août 2012. Lancé par une fusée Atlas V, l’astromobile Curiosity est déposé en ce lieu, proche de l’équateur de la planète rouge. Rien d’un hasard car le cratère météoritique Gale, creusé il y a environ 3,7 Ga, présentait un double intérêt. D’abord, on pensait y trouver des alluvions amenées par une rivière (reconnaissable de nos jours par sa vallée sèche : Peace Valley), qui s’était déversée du plateau environnant dans le cratère : le rover était à même de chercher localement des traces, des résultats d’écoulements. De plus, à moins de 20 km, il y a des voies d’accès aux contreforts du Mont Sharp : des empilements de sédiments, quasiment superposés pendant des milliards d’années quand Mars était humide, et ensuite sculptés par l’érosion. Se déplacer sur le Mt Sharp permet aujourd’hui à Curiosity de travailler sur des sédiments plus facilement datables.
Curiosity a donc d’abord exploré son « terrain d’atterrissage ». Nous avons vite réalisé l’intérêt que présentaient l’existence de cailloux roulés, signe d’écoulement de liquide, les accumulations de fines strates sédimentaires, et les minéraux hydratés (gypse, etc.), carbonates, argiles identifiés par les instruments d’analyse du rover : l’eau liquide avait été présente. L’étude des forages par l’instrument SAM a permis d’avancer sur l’identification des minéraux.
Mais on recherche aussi la matière organique. Un résultat important a été obtenu : la présence à l’intérieur de la roche, sur le site Cumberland, de molécules organiques complexes dont l’origine ne peut être que martienne ; il ne s’agit pas de vie, mais on peut les considérer comme des précurseurs. De plus, les analyses de roche ont montré l’existence de nombreuses molécules réductrices ou oxydantes : on sait que, sur Terre, les réactions chimiques de type redox peuvent constituer une source d’énergie pour le vivant.
Cette série d’études a permis de conclure à l’existence il y a 3,6 Ga environ, dans la zone étudiée (Yellowknife Bay), d’un paléo-lac qu’alimentait Peace River. D’où notre conclusion : il y a eu, sur Mars, la possibilité de créer et d’entretenir la vie.
Découvertes récentes, explorations en cours
Sur Mars, les jours s’appellent des sol, numérotés à partir de l’atterrissage : après le sol 1400, soit 1 440 jours terrestres, Curiosity a commencé à se diriger vers des affleurements sur le Mont Sharp. Des évaporats contenant du bore ont alors été découverts par ChemCam ; cet atome, le bore, est fondamental pour la vie car il empêche la décomposition des sucres : c’est un atout supplémentaire pour l’habitabilité.
Nous sommes aujourd’hui au sol 1843. Sur le site Vera Rubin, Curiosity commence la deuxième phase de son exploration. Objectif : les affleurements sédimentaires repérés par les missions martiennes, chacun avec des caractéristiques différentes pour l’habitabilité.
L’hématite, un oxyde de fer, pourrait avoir été produite dans un environnement aqueux, il sera peut-être difficile d’y trouver de la matière organique. L’argile, très importante pour la vie, est également un très bon protecteur de traces organiques, ici elle est associée à des minéraux totalement différents de ceux auxquels elle était associée dans la première phase de l’exploration. Quant aux sulfates, ils sont les témoins du passage d’une époque supposée riche en eau basique ou neutre à une époque marquée par le volcanisme. De nouveaux résultats vont très vite arriver…
Michel Cabane, Professeur émérite au laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), Université Pierre et Marie Curie (UPMC) – Sorbonne Universités
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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