Étudier des animaux sauvages est souvent difficile. Allez, par exemple, observer un rhinocéros de Sumatra qui fuira dès qu’il sentira votre odeur. Pour certaines de ces études, le drone pourrait se révéler un très bon outil. Reste à évaluer les enjeux de cette technologie sur les animaux, et son impact sur les recherches qui l’utilisent.
Si l’on s’intéresse à la locomotion de grands mammifères sauvages, éléphants, rhinocéros ou girafes, il faut se rendre sur le terrain : en effet, l’étudier en conditions de laboratoire est quasiment impossible en raison de la difficulté d’y reproduire les conditions naturelles de locomotion. Le récent recours à des GPS (géopositionnement par satellite) ou à des capteurs inertiels (par exemple des accéléromètres) a permis de caractériser la locomotion d’animaux dans leur milieu naturel. Mais elle nécessite l’accès physique aux animaux, pour fixer sur eux les appareils. Dans une communication parue dans PeerJ Preprints, Christopher Basu et ses collaborateurs ont proposé de tester l’utilisation de drones pour étudier le déplacement rapide de girafes en milieu naturel.
Aller filmer les girafes
Des chercheurs anglais et sud-africains ont donc utilisé cet outil pour filmer des girafes sur trois sites dans l’État libre (ancien État libre d’Orange) en Afrique du Sud. Dans un espace où les girafes étaient habituées à l’homme, les animaux suivaient une voiture roulant à diverses vitesses fixées par l’étude. Dans deux autres espaces plus sauvages, le drone faisait naturellement fuir les girafes. On verra que cela pose question.
Mesurer les caractéristiques locomotrices d’animaux permet de comprendre leurs adaptations biomécaniques, c’est-à-dire comment ils bougent et comment leur squelette leur permet de bouger. Le but de cette étude pilote a été d’analyser l’allure de course de girafes afin de déterminer si elle était spécifique par rapport aux autres mammifères quadrupèdes.
Les objectifs étaient
- de valider l’utilisation de drones pour mesurer des paramètres d’allure.
- de déterminer l’allure des girafes à vitesse élevée et comment les paramètres de foulée changent d’une allure à l’autre.
- de voir si la course des girafes diffère de celle d’autres mammifères quadrupèdes coureurs, notamment du fait de ses longues et fines pattes et de son long cou.
Durant la marche, les girafes utilisent une marche séquentielle latérale, c’est-à-dire que les membres d’un même côté du corps vont simultanément vers l’avant. C’est le cas des autres mammifères quadrupèdes lorsqu’ils se déplacent à faible allure.
Galop tournant
Mais à plus forte vitesse, les girafes n’utilisent pas le pas ou le trot comme allures intermédiaires, comme la plupart des mammifères quadrupèdes. Elles passent directement au galop et plus précisément au galop tournant. Dans le galop, les membres antérieurs et postérieurs fonctionnent par paires et peuvent heurter le sol de façon soit simultanée, soit décalée. Dans un galop tournant, les côtés gauche et droit ne fonctionnent pas de façon parallèle et les pieds « trailing », c’est-à-dire ceux qui se posent en premier, sont de part et d’autre du corps.
C’est à une vitesse d’environ 12 km/h que la girafe change d’allure et passe de la marche au galop. Le galop de la girafe a été observé sur des vitesses allant de 12 à 25 km/h et est donc assez lent. L’augmentation de vitesse se fait en augmentant la longueur de la foulée et non la fréquence, ce qui est supposé réduire le coût énergétique. Pendant la course les mouvements du cou et ceux du tronc de l’animal sont découplés, ce qui s’accentue avec la vitesse.
Au cours de l’accélération, le décalage entre les pieds « trailing » et « leading » (ceux qui se posent en second) se réduit, ce qui augmente la durée pendant laquelle les deux pieds sont simultanément au sol. Cette caractéristique, couplée à une vitesse maximale limitée permettent à la girafe de résister aux contraintes liées au soutien d’un poids relativement important sur des membres plutôt graciles et allongés.
Quel est l’intérêt des drones ?
L’utilisation d’un drone pour cette étude sur la locomotion de la girafe a permis d’avoir accès à une plus grande quantité de données et d’estimer la vitesse de déplacement ainsi que des paramètres cinématiques (c’est-à-dire de mouvement). La difficulté majeure réside dans la calibration et les possibles erreurs de parallaxe (effet du changement de position de l’observateur sur ce qu’il perçoit). Pour les prochaines études, les auteurs suggèrent de privilégier une longue distance focale, ce qui minimiserait également le stress occasionné pour les animaux, et de bien centrer les sujets d’étude au cœur du champ de vue.
Le stress parlons-en ! Le récent développement des drones est à l’origine de la multiplication de belles vidéos montrant, de près, des animaux sauvages. Si l’intérêt esthétique est indubitable, les conséquences sur la faune sauvage sont rarement évoquées. Pourtant, une vidéo récente montrant un ourson ayant beaucoup de difficultés à rejoindre sa mère et se débattant dans la neige a relancé le débat. En effet, si cette vidéo semble de prime abord attendrissante, on se rend compte qu’en fait les ours sont dans cette situation difficile à cause du drone car, apeurés, ils le fuient ! Ceci montre que les animaux subissent un stress élevé causé par l’usage déraisonné de ces appareils. Si leur utilisation, notamment à des fins scientifiques, accompagnée de protocoles éthiques pouvait s’avérer positive, le recours aux drones sans de telles précautions est à proscrire absolument.
Alexandra Houssaye, Chercheuse Paleobiologie/Morphologie fonctionnelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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