Un nouveau regard sur Cimabue au Louvre

Trois panneaux du diptyque de Cimabue sont réunis et exposés pour la première fois

Par Michelle Plastrik
8 mars 2025 18:37 Mis à jour: 8 mars 2025 23:14

Cimabue est considéré comme le « père de la peinture occidentale », mais il a longtemps été éclipsé par les artistes successifs de la première Renaissance italienne. La nouvelle exposition du Louvre, intitulée « Un nouveau regard sur Cimabue : Aux origines de la peinture italienne » (jusqu’au 12 mai 2025), rétablit Cimabue et son œuvre dans le canon de l’histoire de l’art, au sens propre comme au sens figuré.

Cette exposition, la première du genre au Louvre, est née de la conservation de deux tableaux de Cimabue dans les collections du musée : La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de six anges, également connu sous le nom de Maestà du Louvre – et La Dérision du Christ. L’existence de cette dernière œuvre n’a été découverte qu’en 2019. Les spécialistes pensent qu’elle faisait à l’origine partie d’un diptyque de huit panneaux peint vers 1280. Aujourd’hui, seuls trois panneaux sont connus et le Louvre les a réunis pour la première fois dans cette exposition.

Un artiste insaisissable

La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de six anges, 1280-1290, par Cimabue. Tempera sur panneau de peuplier ; 4,30 m sur 2,70 m. Musée du Louvre, Paris. (© C2RMF / Thomas Clot)

La vie de Cimabue est peu documentée, bien qu’il soit mentionné dans la célèbre Divine Comédie de son contemporain Dante Alighieri. Seules 15 œuvres de Cimabue sont connues aujourd’hui. Son nom de naissance était Cenni di Pepo, mais il se faisait appeler Cimabue pour une raison inconnue. Les historiens pensent qu’il est né à Florence, en Italie, vers 1240 et qu’il est probablement mort à Pise, en Italie, vers 1301 ou 1302. Cet artiste toscan est surtout associé à des œuvres monumentales, telles que des fresques, des crucifix et des retables. Les panneaux du diptyque partiellement mis au jour sont inhabituels en raison de leur petite taille.

L’art de Cimabue était révolutionnaire dans l’Italie du XIIIe siècle. À l’époque, la peinture byzantine, avec son imagerie très stylisée et plate et son fond doré, était la convention dominante. Les représentations des êtres divins étaient volontairement irréalistes, soulignant qu’ils n’étaient pas humains. En revanche, Cimabue s’intéressait au naturalisme, ce qui se reflète dans sa représentation des objets, de l’espace tridimensionnel et des personnages, tant dans leur physique subtil que dans leurs expressions émotionnelles.

La Maestà du Louvre, réalisée pour une église pisane, illustre parfaitement ces idées. Le musée explique que le panneau reflète le désir de l’artiste « d’humaniser les figures saintes et de créer l’illusion de la réalité, en particulier dans sa représentation de l’espace, avec le trône vu de biais ». Il a retrouvé sa splendeur grâce aux efforts de conservation du Louvre, qui se sont achevés en 2024. L’éclat et la vivacité des couleurs de Cimabue, y compris les bleus du lapis-lazuli dans le manteau de la Vierge, ont été restaurés. En fait, avant cette transformation, les historiens de l’art pensaient que l’œuvre était foncièrement sombre. D’autres détails du panneau ont été découverts, notamment un tissu peint qui semble transparent et une technique spécifique qui rend l’écriture pseudo-arabe sur le cadre intérieur. On pensait que ces éléments provenaient d’autres artistes, mais on peut désormais les attribuer à la production visionnaire de Cimabue.

Le diptyque de Cimabue

Des chercheurs français ont proposé une reconstitution du diptyque de Cimabue avec les trois œuvres identifiées sur le côté gauche. Le thème général était probablement la vie et la mort du Christ. Les experts estiment que l’œuvre se composait de deux panneaux articulés comportant huit peintures individuelles. Elle a été commandée pour un usage dévotionnel privé par un mécène de Pise, mais d’autres détails nous échappent.

En bas à droite de cet arrangement se trouve La Flagellation du Christ, propriété de la Frick Collection à New York. Il s’agit du seul Cimabue d’une collection américaine visible par le public. La collection a acheté cette œuvre à la détrempe sur panneau de peuplier en 1950. À l’époque de son acquisition, les spécialistes étaient divisés sur la question de savoir s’il s’agissait d’une œuvre de Cimabue lui-même. Il a fallu attendre 50 ans pour que l’attribution soit confirmée. La Flagellation du Christ est une composition intime de la souffrance du Christ. L’architecture, avec des tours sur les côtés gauche et droit du panneau, encadre et souligne le récit central de la Passion. Cimabue dépeint les détails, tels que l’élégance de la figure du Christ et la colonne qui ressemble à du porphyre, à l’aide de minuscules coups de pinceau superposés.

Vierge à l’Enfant trônant et entourée de deux anges, vers 1285, par Cimabue. Tempera à l’œuf sur bois ; 25,4 cm sur 21,5 cm. National Gallery, Londres. (Crédit photo : musée du Louvre)

Les spécialistes supposent que le panneau supérieur gauche du diptyque est La Vierge et l’Enfant trônant et entourée de deux anges de la National Gallery de Londres. Dans l’exposition, le Louvre l’appelle La Petite Maestà, opposant son échelle à sa propre version monumentale de La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de six anges. En 2000, ce panneau a été découvert et authentifié en Angleterre. Cet événement remarquable a permis de confirmer que l’œuvre de la Frick Collection à New York était bien un Cimabue.

Avant l’acquisition par la National Gallery, La Vierge et l’Enfant trônant et entourée de deux anges était une œuvre anonyme appartenant à une collection privée du Suffolk, en Angleterre. Lors d’une évaluation de routine du contenu de la maison de campagne dans laquelle elle se trouvait, un employé de Sotheby’s a reconnu qu’il pouvait s’agir d’un Cimabue. Les experts de la National Gallery l’ont confirmé, en se basant sur des comparaisons avec la Maestà du Louvre. L’œuvre devait être vendue aux enchères jusqu’à ce qu’un accord soit conclu, qui a permis de sauver le tableau pour la nation. Alors qu’il aurait probablement été vendu plus cher, il a été donné à la National Gallery en paiement de 7,2 millions de livres (environ 8,6 millions d’euros) de droits de succession.

Un conservateur de musée a fait le lien entre l’œuvre et celle de la Frick Collection à New York, les deux ayant la même décoration dorée et poinçonnée. Des études techniques et d’histoire de l’art ultérieures ont conclu que les deux œuvres faisaient partie d’un seul et même ensemble. À une date indéterminée, le diptyque a été découpé et les panneaux individuels ont été vendus.

La Vierge et l’enfant trônant et entourée de deux anges est l’une des œuvres les plus anciennes de la collection de la National Gallery. La galerie explique que ce tableau incarne l’originalité de Cimabue :

« Cette scène est basée sur un modèle byzantin que Cimabue a modifié : il a rendu le trône tridimensionnel et a inclus un geste d’affection entre la mère et l’enfant. Ces modifications s’adressaient aux chrétiens d’Occident pour qui la relation personnelle avec Dieu était essentielle. » Des dommages sont visibles sur les bords gauche et supérieur, ce qui indique aux conservateurs son emplacement dans le diptyque ; les autres bords sont intacts, ce qui indique qu’il a été encadré avec d’autres scènes qui ont toutes été peintes sur le même panneau de bois.

La dérision du Christ (avant restauration), vers 1285-1290, par Cimabue. Tempera sur panneau de peuplier ; 25,4 x 20,3 cm. Musée du Louvre, Paris. (Domaine public)

La troisième pièce du puzzle a été découverte en 2019 dans une cuisine française. Un panneau intitulé La dérision du Christ était accroché au-dessus de la cuisinière d’une femme âgée. Elle avait l’intention de le jeter, mais un évaluateur a inspecté le contenu de la maison avant qu’elle n’ait eu le temps de le faire. En voyant le panneau, l’évaluateur a été immédiatement frappé par celui-ci et a reconnu son importance. Sa valeur a été estimée à 400.000 euros, car il s’agit d’un exemple de primitivisme italien. Il a été envoyé à Paris pour un examen plus approfondi, où il a été authentifié comme un rare Cimabue.

Plus tard dans l’année, le panneau a été vendu aux enchères avec une estimation de 4 à 6 millions d’euros. Il a été vendu pour la somme astronomique de 24 millions d’euros. Le ministère de la Culture du pays a déclaré qu’il s’agissait d’un « trésor national » et a interdit temporairement son exportation, ce qui a donné au Louvre 30 mois pour réunir les fonds nécessaires pour le conserver dans le pays afin qu’il puisse être vu par le public. En 2023, le musée a pu acquérir l’œuvre. Sa restauration a permis d’éliminer l’accumulation de salissures et d’obtenir une œuvre éclaircie et lumineuse, à l’image de la révélation nettoyée de la Maestà du Louvre.

La dérision du Christ (après restauration), vers 1285-1290, par Cimabue. Tempera sur panneau de peuplier ; 25,8 x 20,3 cm. Musée du Louvre, Paris.( © GrandPalaisRmn/Gabriel de Carvalho)

La dérision du Christ montre un Jésus aux yeux bandés avant sa crucifixion. Il est entouré de soldats qui se moquent de lui. Comme dans le panneau de la Frick Collection à New York, des tours situées de part et d’autre encadrent la scène. Dans l’œuvre du Louvre, plusieurs figures se superposent, créant ainsi une profondeur spatiale. Un geste radical de Cimabue a été d’habiller les personnages avec des vêtements du XIIIe siècle au lieu des vêtements de l’Antiquité, encourageant ainsi le spectateur contemporain à s’identifier à la scène. La peinture précise de Cimabue capture de manière réaliste les muscles tendus, ce qui donne du mouvement et des personnages réalistes.

Les historiens de l’art espèrent que d’autres panneaux seront découverts. Ils estiment qu’il s’agirait probablement du dernier panneau du côté gauche du diptyque, puisque les trois autres ont été découverts. Ils pensent que le thème serait le récit du baiser de Judas. Tout nouveau panneau confirmé serait accueilli avec enthousiasme et permettrait de mieux comprendre Cimabue et son génie à traduire en peinture des textiles, des architectures, des objets et des personnages de la vie réelle.

« Un nouveau regard sur Cimabue : aux origines de la peinture italienne » offre des révélations grâce à la restauration d’œuvres importantes de l’artiste. L’exposition met en évidence l’influence profonde de Cimabue sur Giotto, réputé avoir été son élève, et Duccio di Buoninsegna. Ces artistes sont les héritiers de Cimabue et ont fait progresser le réalisme.

La Madone des Franciscains, vers 1300, par Duccio. Tempera sur bois ; 23,5 cm sur 16,5 cm. Galerie nationale d’art, Sienne. (Crédit photo : musée du Louvre)

Au fil des siècles, les Cimabue ont résisté aux inondations, aux tremblements de terre et aux batailles. Même la Vierge à l’enfant trônant et entourée de deux anges de la National Gallery a survécu à l’incendie du Suffolk dans les années 1920. Aujourd’hui, les Cimabue sont considérés comme des trésors.

« Revoir Cimabue : aux origines de la peinture italienne » au Louvre à Paris jusqu’au 12 mai 2025. Pour en savoir plus, consultez le site louvre.fr/fr

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.