Face au narcotrafic qui gangrène et ensanglante Marseille, des magistrats de la deuxième ville de France demandent « un plan Marshall », avec des mesures fortes comme un régime carcéral spécifique pour les trafiquants ou une collaboration facilitée avec les « repentis » comme en Italie.
« Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille », s’est alarmée Isabelle Fort, responsable du service « criminalité organisée » du parquet de Marseille, devant une commission sénatoriale d’enquête dédiée à la lutte contre le trafic de drogues en France.
L’année 2023 fut la plus sanglante qu’a connue cette ville méditerranéenne avec 49 personnes tuées, dont quatre victimes collatérales, et 123 blessées dans la guerre de territoires opposant des gangs rivaux. Près de trois quarts de ces faits sont en lien avec le contentieux entre les groupes criminels DZ Mafia et Yoda, selon le procureur de Marseille, Nicolas Bessone. L’un se revendique de l’Algérie (Djazair), l’autre est sans doute une référence à Star Wars. Une violence qui brise des familles et fait vivre les habitants de certains quartiers dans la peur dans une des villes les plus pauvres de France.
« Guerre asymétrique »
« L’État semble mener une guerre asymétrique contre le narcobanditisme mais se trouve fragilisé face à des bandes organisées très équipées », a souligné le président du tribunal judiciaire de Marseille Olivier Leurent, lors des auditions mardi et mercredi à Paris. « Le narcobanditisme agit à Marseille comme une sorte de gangrène qui abîme le tissu social » dans cette cité portuaire de 870.000 habitants, a-t-il ajouté.
Un narcotrafic qui inonde désormais l’ensemble de la France, y compris les secteurs ruraux, et est « de plus en plus agressif, performant, avec une action de la puissance publique qui s’apparente parfois à une guérilla du faible (face) au fort », a expliqué jeudi à Marseille le président de la commission d’enquête, Jérôme Durain. Malgré l’arrivée de nouveaux magistrats et enquêteurs pour compenser une sous-dotation, ces moyens sont déjà « notoirement insuffisants », selon M. Leurent.
Dans cette guerre pour le juteux chiffre d’affaires des dizaines de points de deal à Marseille, qui peuvent rapporter jusqu’à 80.000 euros par jour, une nouvelle forme de criminalité est apparue, et un terme, « narchomicide », inventé par l’ex-procureure de Marseille Dominique Laurens.
Face à cette situation, M. Leurent réclame la « mise en place d’un plan Marshall » pour combattre des criminels disposant « d’une force de frappe considérable sur le plan des moyens financiers, humains, technologiques ». « Il y va de notre État de droit et notre stabilité républicaine », a-t-il lancé, des préoccupations partagées dans des pays du nord de l’Europe comme la Belgique ou les Pays-Bas où les mafias de la drogue ont menacé des magistrats et des responsables politiques, commis des meurtres en série au point que le procès d’une tête de réseau, Ridouan Taghi, a dû se tenir dans un tribunal bunker gardé par l’armée près d’Amsterdam.
« Un régime pénitentiaire distinct »
À Marseille, les magistrats veulent « un régime pénitentiaire distinct » pour les trafiquants de drogue, avec un isolement strict. Car, même derrière les barreaux, les « têtes de réseau gèrent » souvent l’organisation de leurs équipes, voire les exécutions de concurrents, a rappelé le procureur Bessone. Un tel ordre a récemment été entendu par les enquêteurs dans une cellule sur écoute. Mi-février, un détenu de la prison d’Aix-Luynes liée à la « DZ Mafia » a été tué dans sa cellule par son codétenu du clan « Yoda » opposé. M. Bessone s’est également déclaré favorable à un assouplissement de la législation sur les « collaborateurs » de justice.
En France, ces derniers, des trafiquants repentis, ne peuvent bénéficier d’une protection qu’à condition de ne pas avoir de sang sur les mains, contrairement à l’Italie ou aux États-Unis. Il existe aussi des craintes que les trafiquants puissent corrompre certains agents publics, à l’image également d’affaires dans les villes portuaires du nord de l’Europe. Deux enquêtes sont en cours à Marseille concernant des fonctionnaires suspectés d’avoir renseigné des membres du crime organisé.
M. Bessone plaide également pour la mise en place de cours d’assises spécialisées pour narcotrafiquants : « Qui, aujourd’hui, ferait juger les actes terroristes par des non-professionnels, des jurés ordinaires ? ». Selon lui, ces derniers « ont peur des représailles », pouvant conduire à des peines moins lourdes.
Enfin pour M. Leurent, l’accent devrait être mis sur la source du trafic de stupéfiants, le consommateur : « Il faut que le sentiment de transgression soit propagé comme une politique publique », à travers des campagnes publicitaires mais aussi à l’école.
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