INTERNATIONAL

À Bagdad, la « révolution » s’étale sur les murs, et en couleurs

novembre 8, 2019 13:20, Last Updated: mai 23, 2020 18:35
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Sur les murs, ils dessinent en couleurs l’Irak qu’ils espèrent construire sur la place Tahrir : à Bagdad, la fresque de la « révolution » fait la part belle aux jeunes et aux femmes, en première ligne des manifestations dans un pays pourtant très conservateur.

Fatma Hossam, 20 ans, n’a pas vraiment le temps de s’attarder à discuter. D’une main de maître, couverte d’un gant en plastique coloré de coups de pinceaux, elle dirige son équipe de peintres pour le dessin du jour.

Il y a peu, elle a réalisé avec d’autres une version irakienne de « Rosie la riveteuse » et son slogan « We Can Do It ! », emblèmes de générations de luttes féministes. Ils ont ajouté une bulle de BD dans laquelle « Rosie l’Irakienne » dit en arabe : « Elles sont comme ça nos femmes ! »

À la sortie du tunnel souterrain qui mène à la place Tahrir, Fatma Hossam travaille maintenant au portrait d’une autre femme qui, elle, brandit une pancarte avec le slogan phare des Irakiens : « Je veux mon pays »

Tahrir pour faire une révolution de l’art en plus du pays

« On a plein d’artistes dans ce pays mais aucun endroit pour qu’ils puissent exprimer leur art, alors on a décidé d’utiliser Tahrir pour faire une révolution de l’art en plus d’une révolution pour le pays », explique à l’AFP la jeune étudiante au voile blanc parsemé de fleurs roses.

Un peu plus loin, son grand frère veille, pas peu fier. Car en Irak, où le taux d’emploi des femmes est l’un des plus bas au monde et où les traditions tribales et le conservatisme religieux règnent, Fatma et d’autres ont brisé plusieurs tabous et barrières.

Des étudiants en beaux-arts irakiens peignent sur un mur dans la ville irakienne de Hilla, au sud de la capitale Bagdad, le 7 novembre 2019. Photo de HAIDAR HAMDANI / AFP via Getty Images.

« On est la génération du changement », tranche Mohammed Abdelwahab, artiste de 23 ans, occupé comme des dizaines d’autres à peindre sur un pan du tunnel qui mène à Tahrir, désormais couvert de fresques sur des dizaines de mètres. « Du changement vers le meilleur », assure-t-il encore à l’AFP en poursuivant son minutieux ouvrage.

Sur un fond noir, il s’attelle à dessiner en blanc la carte de l’Irak avec des lettres qui, mises bout à bout, forment les slogans repris à l’étage au-dessus, sur la place Tahrir.

À côté, un autre peintre dessine le mot « LOVE » avec des mains ensanglantées, celles, explique-t-il à l’AFP, des « martyrs » tombés par dizaines depuis le 1er octobre en Irak dans des manifestations et des violences.

On veut ramener de la joie et des couleurs

Alors que les autorités ne cessent d’accuser des « saboteurs » et autres « infiltrés » dans les manifestations de vouloir nuire au pays, Mohammed Abdelwahab insiste : « On n’est pas là pour détruire ou attaquer l’État ».

« On veut ramener de la joie et des couleurs » dans un pays qui n’a connu depuis près de 40 ans que guerres, embargo, attentats jihadistes et autres violences confessionnelles entre milices.

Une étudiante irakienne et démonstratrice en beaux-arts peint une peinture murale sur un mur dans la ville irakienne centrale de Hilla, au sud de la capitale Bagdad, le 7 novembre 2019. Photo de HAIDAR HAMDANI / AFP via Getty Images.

Objectif atteint, assure Mohammed Abbas, 38 ans, qui chaque matin depuis 16 ans emprunte ce tunnel pour se rendre au travail.

« En 16 ans, je n’ai jamais vu cet endroit aussi beau », se félicite l’homme au physique imposant, « et notre pays a vraiment besoin de ça ». « D’habitude, les murs sont sales et noircis » par la pollution dans la capitale tentaculaire de dix millions d’habitants engorgée toute la journée par les embouteillages, affirme-t-il à l’AFP.

Ils dénoncent la corruption et le népotisme

« Les jeunes ont réussi à réaliser ce que l’État n’a jamais fait en dépensant pourtant des milliards pour Bagdad », poursuit l’homme en route pour les rassemblements qui dénoncent depuis plus d’un mois maintenant la corruption et le népotisme présent dans toutes les administrations du pays.

Le 4 novembre 2019, une peinture murale lors d’une manifestation antigouvernementale sur la place Tahrir à Bagdad, capitale du pays. Les forces de sécurité irakiennes ont ouvert le feu sur des manifestants à Bagdad, morts durant la nuit devant le consulat iranien dans la ville sainte de Karbala. Photo par AHMAD AL-RUBAYE / AFP via Getty Images.

Ibrahim, 39 ans, a lui aussi décidé de faire un crochet par le tunnel qui, chaque après-midi, se transforme en festival.

Des musiciens viennent se produire, à la clarinette ou au luth, des graveurs sur bois écoulent des porte-clés et autres statuettes à la gloire des touk-touk, ces petits véhicules à trois roues venus des quartiers populaires et dont les conducteurs sont devenus les héros de la « révolution » en transportant les blessés à travers la ville.

« Avec peu de moyens, ces artistes envoient un message pacifique au monde entier », s’enthousiasme Ibrahim.

En fait, dit-il à l’AFP, « on dit au monde que le peuple irakien est bien vivant ». 

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