Le 19 juillet 2022, la municipalité de Marseille a initié une pétition pour interdire, lors des périodes de pics de pollution à l’ozone, l’accueil des bateaux de croisière les plus polluants.
Intitulée « Stop à la pollution maritime en Méditerranée », elle a été signée, à ce jour, par environ 50 000 personnes et s’accompagne d’une vidéo du maire de la ville, Benoît Payan qui introduit son propos par ces termes : « Marseille suffoque. On sent, on voit, on respire la pollution ».
La photographie, accompagnant la pétition, montre un panache noir issu d’un navire, masquant le panorama habituel de la ville. Cette pétition s’inscrit dans une dynamique, datant d’une dizaine d’années, de mobilisations au sujet de la présence des paquebots de croisière dans la ville et de leurs impacts sur la qualité de l’air et de l’environnement, en général.
38 % des émissions d’oxyde d’azote proviennent des navires
Le 14 juin 2022, le collectif Stop Croisières et Extinction Rebellion ont empêché, durant quelques heures, l’entrée d’un des plus grands paquebots américains dans le port. L’association Cap au Nord, rassemblant des habitants des XVe et XVIe arrondissements, œuvre à la prise en compte de la pollution atmosphérique dans leurs quartiers.
Cette pollution que l’on « sent, voit et respire » fait l’objet de mesures scientifiques, afin de l’objectiver, menées par l’observatoire de la qualité de l’air en région Sud-PACA (AtmoSud) en collaboration avec des laboratoires de recherche d’Aix-Marseille Université, tels que le laboratoire de Chimie de l’Environnement (LCE) (voir par exemple le projet en cours SCIPPER).
Les médias locaux ont largement repris les données des associations. D’après une estimation du collectif Stop Croisières concernant la zone portuaire des bassins est de la ville, 38 % des émissions d’oxyde d’azote proviennent des navires (un taux quasi équivalent à celui du trafic routier) et 10 % des PM10 ou particules fines.
Les campagnes de mesures menées par Atmosud mettent en évidence deux autres résultats majeurs. Le premier montre une pollution dite « de panache », impactant certains quartiers selon les vents dominants, durant une durée déterminée. Le second souligne que les polluants mesurés (dioxyde de soufre SO2 ; oxyde d’azote NOx et les particules fines, PM 10) ne se retrouvent pas, de manière continue, en quantité supérieure aux normes en vigueur en milieu urbain. Les auteurs du rapport notent également que d’autres sources polluantes s’ajoutent à celles maritimes, relatives aux transports et aux activités urbains.
L’impact de ces pollutions maritimes sur la santé reste difficile à appréhender car il s’inscrit dans le contexte d’une mauvaise qualité de l’air en général. Celle-ci, quelle que soit sa source, peut impacter, de la même manière, les individus (pathologies respiratoires, maladies cardiovasculaires, cancers…). Les organisations mondiales de la santé alertent, depuis longtemps, sur les effets néfastes de la pollution de l’air en termes de mortalité et de morbidité.
Les impacts sanitaires résultent d’effets cumulés, appelés effet-cocktail en ce qui concerne les polluants chimiques qui articulent des polluants d’origines diverses et dont la mesure reste complexe à réaliser.
Un problème de santé environnementale
Face à ces impacts négatifs, les acteurs économiques développent un certain nombre de réponses. À l’échelle locale, le Grand Port autonome de Marseille collabore, en partie, à l’élaboration des mesures, développe des branchements électriques et d’autres technologies moins polluantes et incite, par des exonérations de taxes portuaires, à l’accueil des compagnies qui ont des pratiques jugées respectueuses de l’environnement.
À l’échelle internationale, l’Organisation maritime internationale a approuvé très récemment, le 10 juin 2022, la création pour l’ensemble de la Méditerranée, d’une zone de contrôle des émissions d’oxydes de soufre et de particules (zone dite Seca). Le combustible utilisé doit avoir une teneur en soufre qui ne dépasse pas les 0,1 % en masse.
Une configuration classique
Ces réponses, de la part des acteurs économiques, sont récurrentes dans le cadre des problèmes de santé environnementale. Très souvent, la solution technique est priorisée, telle que le raccordement électrique ou l’installation de « scrubbers », hottes mobiles captant les émanations lorsque les bateaux sont à quai.
La seconde réponse est de mettre en place des procédures de certification dites « environnementales » qui émanent des acteurs économiques eux-mêmes, justifiant de leur engagement.
Enfin, une troisième stratégie consiste à discuter des mesures scientifiques, à émettre des doutes sur les méthodologies employées et à entretenir une controverse sur les alertes sanitaires tout en initiant des concertations avec les acteurs locaux, à l’instar d’une charte Ville-Port dans le cas marseillais.
L’imaginaire économique d’une ville
En effet, le port est historiquement le poumon économique de la ville et s’est orienté au début des années 2000, en accueil de bateaux de croisière. En 2018, 1,8 million de voyageurs auraient fait escale à Marseille, pour des retombées économiques estimées à 310 millions d’euros pour la même année.
Ce poids économique repose sur une nouvelle construction symbolique de la ville, longtemps en déprise économique et jouissant d’une « mauvaise » réputation, notamment en ce qui concernait le fonctionnement même de son port. Aujourd’hui, le club des croisiéristes marseillais présente Marseille, comme une ville « dynamique, moderne et réinventée » en lien avec le front de mer réaménagé en zone touristique.
La croisière, une activité au cœur du renouvellement urbain
L’activité croisiériste s’inscrit dans un secteur de la ville soumis à un un important programme de renouvellement urbain, l’opération d’intérêt national Euromed, œuvrant depuis 1995 à développer l’économie locale en construisant un vaste parc immobilier d’affaires, des structures commerciales, des logements et des espaces publics.
La partie est du domaine portuaire s’articule aux projets d’Euroméditerranée avec l’installation de zones commerciales et d’équipements culturels. L’essor du port de croisières a accompagné, et réciproquement, le renouvellement urbain des quartiers arrière-port, qui sont historiquement des quartiers populaires.
Ce renouvellement génère des transformations socio-démographiques au profit de catégories sociales plus aisées et diplômées. En 2018, au sein du IIe arrondissement, la part des cadres et professions intellectuelles supérieures (20 %) et des professions intermédiaires (24 %) se rapproche de celle des employés et ouvriers (49 %). Les deux autres arrondissements, potentiellement impactés par la pollution maritime, sont les XVe et XVIe arrondissements. Si le XVIe présente une sociographie équivalente à celle du second (où l’augmentation des cadres s’est faite plus précocement), le XVe reste le plus pauvre (comprenant 67 % d’employés et d’ouvriers).
Des aménagements urbains et un arrière-port responsables de nuisances
Ces situations sociales contrastées s’expriment dans les formes urbaines, entre nouveaux logements, logements rénovés et habitats dégradés ; entre des zones industrielles plus ou moins entretenues et actives. Dans le cadre d’une enquête menée en 2016 auprès d’habitants de ces quartiers, Brigitte Bertoncello et Zoé Hagel ont mis en évidence l’expression de nuisances essentiellement liées aux infrastructures « d’arrière-port » et d’aménagements urbains : passages en continu des camions, présence d’anciens et nouveaux sites pollués, zones d’emplacements pour les containers et les déchets des BTP… Les autrices parlent ainsi d’un front de mer « recomposé présenté comme une vitrine » reléguant « plus loin populations et activités disqualifiées ».
On peut supposer, sans études sanitaires précises à ce jour, que les nuisances provenant de ces activités de logistique s’ajoutent à la mauvaise qualité de l’air ponctuelle émanant des navires, impactant, entre autres, des populations pauvres, dont on sait que les conditions de vie et d’habitat affectent, plus fortement, leurs morbidité et espérance de vie.
Un panache de fumée sur les inégalités
Les pollutions maritimes, telles qu’éprouvées à Marseille, ne sont pas seulement caractéristiques d’un problème d’orientation économique. Elles sont également révélatrices de ce que l’économiste Ignacy Sachs appelait, dans les années 1990, un « mal développement » que l’on pourrait désigner de « mal développement urbain ».
D’un côté, le paquebot symbolise la vitrine de la ville « méditerranéenne durable de demain » et de l’autre, il occulte avec son panache de fumée, les dysfonctionnements de cette économie qui relègue, plus loin, à l’abri de la carte postale, ses externalités négatives.
Celles-ci ont pourtant des effets sur la santé des habitant·e·s et sur l’habitabilité de leur lieu de vie. Les injonctions environnementales, les mobilisations mais aussi les formes de résistance de ces quartiers qui restent, en partie, populaires laissent présager de futurs compromis qu’il va falloir trouver et qui ne semblent pas encore dessiner une ville totalement « réinventée ».
Carole Barthélémy, Maîtresse de conférences en sociologie de l’environnement, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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