ARTS ET CULTURE

À travers les yeux de l’amour : les leçons du Petit Prince

février 25, 2025 3:28, Last Updated: février 25, 2025 3:28
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Antoine de Saint-Exupéry, auteur du Petit Prince, a vendu plus de 200 millions d’exemplaires de son ouvrage à travers le monde, ce qui en fait l’un des livres les plus vendus de tous les temps.

Malgré son immense popularité, Le Petit Prince demeure une énigme. Présenté comme un livre pour enfants, il se lit comme une combinaison de conte enfantin, de fiction surréaliste, de poésie, de mémoires, de récit onirique et de dialogue platonicien — un mélange improbable qui parvient pourtant à être profondément émouvant et enchanteur. Son sens reste obscur, sa conclusion ouverte à de multiples interprétations. Il se présente comme une fable ou une parabole, mais défie toute explication simple de son message.

Ce livre est devenu un classique moderne, universellement apprécié, car son récit simple touche aux vérités essentielles de l’enfance et de l’âge adulte, de l’amour et des relations, de l’émerveillement, de la fidélité, du désir et de la perte.

Des visiteurs regardent des dessins projetés sur les murs intérieurs du Bassin des Lumières lors de l’avant-première de l’exposition « Le Petit Prince – L’Odyssée Immersive » basée sur le conte d’Antoine de Saint-Exupéry, à Bordeaux, le 16 octobre 2024. (Photo by Christophe ARCHAMBAULT / AFP) (Photo by CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty Images)

Un auteur marqué par son destin

Une grande partie du mystère du roman reflète la vie de son auteur, Antoine de Saint-Exupéry, figure tragique disparue lors d’un vol de reconnaissance pendant la Seconde Guerre mondiale. Poète et aviateur français né en 1900 à Lyon, il perdit très jeune son petit frère de quinze ans, un garçon aux cheveux blonds emporté par un rhumatisme articulaire aigu. Certains lecteurs voient dans Le Petit Prince une exploration de ce deuil précoce, le personnage du prince pouvant représenter ce frère disparu.

L’écrivain, poète et aviateur Antoine de Saint-Exupéry photographié vers la fin des années 1930. Musée régional municipal du Palais Arruabarrena, Concordia, Argentine. Domaine public

Passionné d’aviation, Saint-Exupéry passa de nombreuses années dans les airs, subissant plusieurs accidents. L’un d’eux eut lieu dans le désert de Libye, un épisode qui fait écho à l’accident de l’Aviateur dans Le Petit Prince.

Autre correspondance entre fiction et réalité : son épouse, Consuelo, était connue pour son caractère difficile et imprévisible, semblable à la rose que le Petit Prince laisse sur son astéroïde. Certains critiques ont établi un parallèle entre la relation du Petit Prince avec sa rose et celle de Saint-Exupéry avec son épouse. Consuelo elle-même semble avoir reconnu cette analogie, puisqu’elle publia une autobiographie intitulée Le Conte de la rose. Au-delà de ces échos biographiques, les parallèles restent limités.

Un conte universel

Le récit aborde des thèmes universels. Un aviateur s’écrase dans le désert et y rencontre un enfant, appelé simplement « le Petit Prince ». Ce dernier lui demande de lui dessiner un mouton afin de le rapporter sur sa planète, un astéroïde de la taille d’une maison. Peu à peu, le narrateur découvre que le Petit Prince possédait sur sa planète une rose anthropomorphe, dont les exigences émotionnelles l’ont poussé à partir, malgré son amour pour elle.

Dans son voyage, le Petit Prince rencontre divers adultes, chacun incarnant un archétype : un roi régnant sur rien, un vaniteux qui pense être admiré de tous, un ivrogne honteux de boire, un businessman persuadé de posséder les étoiles, et un allumeur de réverbères accomplissant machinalement sa tâche à chaque minute.

Sa soif de compagnie le mène sur Terre, où il rencontre un renard qui lui enseigne l’amour et la fidélité. Mais plus il avance dans son périple, plus il aspire à retrouver sa rose.

Un récit aux multiples leçons

Dessin tiré d’une édition couleur originale et signée du « Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry, publié à New York par Reynal & Hitchcock en 1943. (Philippe Lopez/Getty Images)

La simplicité de la narration, dépourvue de contexte approfondi, de caractérisations complexes ou de cadre réaliste, lui permet d’aller droit au cœur de ses thèmes, avec une portée quasi-mythologique. Parmi ceux-ci, trois se détachent : l’enfance, la solitude et la manière dont l’amour transforme notre vision du monde.

Le narrateur commence son récit par une anecdote d’enfance : adulte, personne ne comprenait ses dessins. Cette incapacité des « grandes personnes » à saisir ce qui est essentiel devient un leitmotiv. Pour Saint-Exupéry, les « grandes personnes » ne désignent pas simplement les adultes, mais ceux qui ont perdu leur capacité d’émerveillement.

Ces adultes se sont laissés absorber par les affaires des « grandes personnes » : ils passent leur temps à peser des chiffres, à suivre les dernières modes, à accumuler du profit et à briguer le pouvoir. Comme le dit le narrateur, ces gens-là n’ont aucun intérêt pour « les serpents boas, les forêts vierges ou les étoiles ».

Sculpture de l’aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry avec le Petit Prince à Lyon, France. (Prochasson Frederic/Shutterstock)

Le thème du regard enfantin porté sur le monde est renforcé par un échange précoce entre le pilote et le Petit Prince. Le pilote, occupé à réparer son avion, s’agace des questions incessantes du prince, dont la dernière porte sur le danger que représente son mouton pour la fleur de sa planète.

Excédé, le pilote s’exclame : « Tu vois bien que je suis occupé à des choses sérieuses ! »

Le Petit Prince lui répond alors : « Tu parles comme les grandes personnes ! … Tu confonds tout … tu mélanges tout ! … Depuis des millions d’années que les fleurs fabriquent des épines, depuis des millions d’années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n’est pas sérieux, la guerre des moutons et des fleurs ? Ce n’est pas plus important et plus grave que les additions d’un gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n’existe nulle part sauf sur ma planète, mais qu’un petit mouton peut anéantir d’un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu’il fait … ce n’est pas important, ça ! »

Saint-Exupéry fait ici plusieurs remarques essentielles : tout d’abord, ce qui semble dérisoire aux yeux des adultes peut être d’une importance capitale dans le monde de l’enfant et ne devrait pas être balayé d’un revers de main. Ensuite, les activités qui accaparent les adultes, comme additionner des sommes infinies à l’image du businessman sur sa planète isolée, peuvent être bien moins porteuses de sens que les interrogations enfantines. L’enfant se concentre sur les détails concrets : ce qu’il voit, ce qu’il expérimente. Il pose des questions qui ne sont pas de l’ordre du pratique. C’est pourquoi il a parfois une meilleure perception de la rareté et de la beauté de chaque chose, même la plus minuscule, la plus cachée, la plus « inutile ».

Le Petit Prince illustre comment l’amour d’un être particulier peut transformer notre regard sur l’univers tout entier : « Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : ‘Ma fleur est là, quelque part …' »

Monument dédié au personnage d’Antoine de Saint-Exupéry, le Petit Prince, sur sa planète d’origine avec la rose rouge, à Eilat, en Israël. (AllyE/Shutterstock)

L’attachement du Petit Prince à sa rose perdue souligne un autre grand thème du livre : la solitude. Celle-ci est omniprésente : le pilote s’écrase en plein désert, loin de toute civilisation. Le Petit Prince vit seul sur sa minuscule planète jusqu’à l’apparition de la rose, qu’il finit pourtant par quitter en la laissant seule, avouant plus tard : « J’étais trop jeune pour l’aimer. » Sur Terre, il atterrit dans un désert vide et solitaire. Son premier interlocuteur, un serpent, lui souffle : « On est seul aussi chez les hommes. » Le deuxième être qu’il rencontre est un renard si esseulé qu’il le supplie de l’apprivoiser. Mais le Petit Prince devra également se séparer du renard.

Ce sentiment profond d’isolement ne fait que renforcer la préciosité des liens et de l’amour lorsqu’ils apparaissent. Cela nous ramène à l’idée que l’amour transforme notre perception du monde. Le renard, plus que tout autre personnage, exprime cette vérité, donnant à l’histoire sa leçon centrale :

« Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde … Ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé … »

La relation entre l’enfant et le renard transforme tout, jusqu’à la signification d’un simple champ de blé. C’est du renard que provient la phrase la plus célèbre du roman : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »

Lorsque nous aimons quelque chose, que nous nous y attachons, cela devient précieux et unique. Le Petit Prince réalise la valeur de sa rose justement parce qu’elle est la sienne. Il l’a soignée, choyée, supportée. Et c’est cet amour qui illumine tout. Le monde entier devient plus beau à la lumière de cet amour central. Chaque chose finit par le refléter, et nous permet de voir le monde avec un regard renouvelé.

Le Petit Prince enseigne cette vérité à l’Aviateur : « Les étoiles sont belles à cause d’une fleur qu’on ne voit pas … Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part … » L’enfant, ou l’adulte qui a su garder un regard enfantin, voit au-delà des apparences : il perçoit que, dans le cœur du monde et dans chacun de ses détails, se cache quelque chose de précieux, à condition de savoir le voir et de s’y attacher.

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