Lorsque Margaret McCuaig‑Johnston a commencé à dénoncer les violations des droits de l’homme commises par le régime communiste chinois, l’ancienne haute fonctionnaire du gouvernement était « une amie de la Chine depuis quarante ans » et l’avait « aidée à développer sa capacité d’innovation ».
Aujourd’hui, elle estime que « les Canadiens au pouvoir devraient dire la vérité chaque fois qu’ils rencontrent des responsables chinois ».
«Ce qui a fait déborder le vase pour moi, et pour de nombreux Canadiens, ce sont les enlèvements de Michael Kovrig et Michael Spavor », a‑t‑elle partagé lors d’une conférence intitulée « Le défi de la Chine » à Ottawa le 3 juin.
Mme McCuaig‑Johnston est chercheuse à l’ISSP (Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique), situé dans l’Université d’Ottawa. La conférence réunissait l’Université d’Ottawa et la Graduate School of Public and International Affairs (l’École supérieure d’affaires publiques et internationales) et avait pour thème « la protection des droits de l’homme et de la démocratie dans les institutions mondiales du 21e siècle ».
Mme McCuaig‑Johnston a derrière elle 37 ans de carrière au sein du gouvernement canadien. Elle a occupé divers postes dans la haute fonction et a été pendant 7 ans membre du Comité mixte de coopération scientifique et technologique Canada‑Chine.
C’est en 1978 qu’elle s’est intéressée à la Chine pour la première fois. Elle travaillait alors pour le gouvernement de l’Ontario. La Chine montrait ses tous premiers signes d’ouverture démocratique et sortait à peine des campagnes politiques dévastatrices qui avaient fait des millions de morts.
« Tout a commencé en décembre 1978, lorsqu’un électricien du zoo de Pékin, Wei Jingsheng, a placardé ses commentaires sur un mur de pierre allant de la rue Xidan, le long de l’avenue Chang’an ouest, en direction de la place Tiananmen », a déclaré Mme McCuaig‑Johnston, faisant référence au « Mur de la démocratie de Xidan » dans le district de Xicheng à Pékin.
« Son affiche appelait à une ‘cinquième modernisation’ de la démocratie en réponse à l’essai de Deng Xiaoping [ancien dirigeant du Parti communiste chinois (PCC)] sur les quatre modernisations de l’agriculture, de la défense, de l’industrie, de la science et de la technologie. »
Suite aux commentaires de M. Wei sur le mur de nombreux travailleurs et étudiants ont affiché leurs propres messages pour remonter leurs opinions face aux problèmes politiques et sociaux.
Mme McCuaig‑Johnston, qui s’est rendue en Chine avec son mari pour « voir le mur de ses propres yeux », a ensuite décidé « d’apprendre le mandarin et de faire une maîtrise en relations internationales axée sur la Chine ».
Le mouvement n’a pas duré longtemps. Deng, qui semblait initialement approuver les militants du Mur de la démocratie, a fini par leur tourner le dos, selon Mme McCuaig‑Johnston. M. Wei a été arrêté en mars 1979, a passé 18 ans en prison et a été exilé aux États‑Unis en 1997 une fois que le président américain Jimmy Carter est intervenu en sa faveur auprès de Jiang Zemin.
Un « mauvais cauchemar »
Selon Mme McCuaig‑Johnston, la fin du Mur de la démocratie de Xidan était un avant goût du massacre de Tiananmen qui mettrait définitivement un terme aux différents mouvements d’avril à juin 1989.
« Pas moins d’un million de personnes se sont rassemblées sur la place Tiananmen, et des millions d’autres ont participé à des manifestations parallèles dans 400 villes du pays, pour réclamer la démocratie. Et tout comme le mur de Xidan, les dirigeants ont permis et même encouragé ces manifestations, jusqu’au jour où ils ont arrêté de le faire. »
« L’envoi des chars le vendredi et le samedi a été un choc pour de nombreuses personnes en Occident. Il y aurait eu bien plus de morts dans les rues que sur la place. »
Cependant, ce « mauvais cauchemar » n’a pas dissuadé le premier ministre Jean Chrétien d’accroître le commerce avec la Chine à son arrivée au pouvoir en 1993, a rappelé Mme McCuaig‑Johnston.
« Il était catégorique sur le fait qu’il ne fallait pas mélanger les discussions sur les droits de l’homme et les affaires », a‑t‑elle noté. M. Chrétien a bien lancé un dialogue bilatéral sur les droits de l’homme, a‑t‑elle rappelé, mais la partie chinoise n’était pas disposée à y participer et le dialogue a pris fin neuf ans plus tard.
Selon Mme McCuaig‑Johnston, les premiers ministres qui ont succédé, dont Paul Martin, Stephen Harper et Justin Trudeau, n’ont pas non plus eu de succès avec Pékin sur la question des droits de l’homme.
Surveillance
Après de nombreux désaccords avec la Chine sur la question des droits de l’homme, les détentions arbitraires de Michael Kovrig et Michael Spavor ont fini par la convaincre qu’il fallait absolument tenir tête au régime.
Les entreprises technologiques chinoises dédiées à la surveillance, par exemple, étaient très problématiques. Celles notamment qui sont engagées dans des partenariats avec des chercheurs canadiens tout en étant impliquées dans l’incarcération d’un million de Ouïghours, dans la militarisation des îles de mer de Chine méridionale ou dans les manœuvres du régime contre Taïwan.
Autre point rédhibitoire pour Mme McCuaig‑Johnston : « Les peines de mort contre Robert Schellenberg et trois Canadiens d’origine chinoise au moment des poursuites contre Meng Wanzhou. Des personnes comme Huseyin Celil dont la citoyenneté canadienne n’est pas reconnue par Pékin, qui peut ainsi les priver d’accès à notre ambassade. »
Mme McCuaig‑Johnston se trouvait à Shanghai lorsque MM. Kovrig et Spavor ont été arrêtés. Dans sa chambre d’hôtel, ses valises fermées ont été ouvertes et fouillées à son insu.
« J’ai parlé de la détention des deux Michael à un cadre chinois. Il m’a répondu : ‘Oh oui, la Chine a une liste de 100 Canadiens qu’elle peut arrêter et interroger à tout moment.’ »
« Une fois de retour chez moi, deux autres personnes m’ont parlé de cette liste, et une d’elle m’a annoncé que j’en faisais peut‑être partie à cause de mes recherches sur les coentreprises. »
C’est ce qui l’a décidée à s’exprimer. Elle a alors réalisé sa toute première interview dans les médias.
« Depuis que j’ai commencé à m’exprimer sur les détentions, beaucoup de nouvelles choses sont arrivées et elles méritent, selon moi, d’être évoquées, en particulier dans mon domaine de prédilection, le développement technologique de la Chine. »
« Ces entreprises chinoises de technologie de surveillance sont vraiment inquiétantes en termes de droits humains, elles servent à réprimer les Ouïghours, les Tibétains et à contrôler la population en général. »
Selon elle, la Chine pousse des coudes dans la normalisation internationale pour s’assurer que ses technologies soient vendues dans le monde entier, notamment celle de BGI Genomics (Beijing Genomics Institute), un des plus grands centres de séquençage ADN au monde avec des clients dans plus d’une centaine de pays.
« BGI collecte les informations génétiques des Canadiens et les expédie en Chine où elles sont stockées dans une énorme base de données. »
Mme McCuaig‑Johnston a salué l’exclusion du réseau 5G canadien de Huawei Technologies, mais elle craint que la désinstallation du matériel chinois ne prenne trop de temps.
« Je suis inquiète du fait que ces deux dernières années, Telus a installé du hardware et du software 5G de Huawei dans ses systèmes et on lui accorde encore deux ans pour tout retirer, soit jusqu’en juin 2024. »
« Cela veut dire que notre sécurité nationale aura été exposée à cette 5G problématique pendant quatre ans en tout. Huawei effectue des corrections et des mises à jour par le biais de ses portes dérobées chaque semaine. »
Des horreurs inouïes
Selon Mme McCuaig‑Johnston, il est temps pour les responsables chinois « de réaliser que les Canadiens surveillent de près chacun de ces développements ».
Lors de son dernier voyage en Chine, en décembre 2018, elle a eu l’occasion de dîner avec un haut responsable du PCC, une connaissance de longue date. Elle lui a fait part de ses inquiétudes concernant les Ouïghours et les camps de « rééducation ». Mme McCuaig‑Johnston fait partie des conseillers politiques du groupe de défense Uyghur Rights Advocacy Project.
« Il m’a répondu : ‘Les gens meurent partout et tout le temps.’ Ce à quoi j’ai répondu : ‘Pas les jeunes en bonne santé.’ Il m’a alors lancé un regard vide. »
Malgré tout, Mme McCuaig‑Johnston affirme que « ceux en contact avec les responsables chinois doivent soulever ces questions le plus souvent possible ».
Si elle retourne un jour en Chine, a‑t‑elle déclaré, ce ne sera que pour enquêter sur les quelque 1,8 million d’enfants ouïgours et tibétains placés dans des camps de rééducation « coupés de leur langue et leur culture ».
« Ils apprennent la pensée de Xi Jinping et ne reçoivent ni nourriture ni vêtements appropriés. Ce sont tous des petits enfants qui vivent des horreurs inimaginables et se demandent tous les jours pourquoi leurs parents ne viennent pas les sauver. Voilà ce que le régime de Xi fait à son propre peuple. »
Mme McCuaig‑Johnston est également membre de la Canada U.S. Commission on China, membre du conseil consultatif du Canada China Forum, et membre du conseil d’administration de la Canadian International Council’s National Capital Branch.
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