Il est 9H00 et les portes s’ouvrent à peine sur l’immense champ de Screggan, dans le comté d’Offaly que déjà des milliers de bottes foulent l’enceinte fraîche et boueuse qui accueillait cette semaine le plus grand rendez-vous agricole d’Irlande, où le Brexit joue les trouble-fête.
Cette année encore, les visiteurs – plus de 290 000 – s’y sont pressés, pour parler machines agricoles ou volumes de production. Mais c’est surtout l’occasion pour les familles de voir des animaux, pratiquer le hockey irlandais et profiter d’une ambiance festive.
Cependant, du côté des exposants, l’atmosphère est un peu plombée par le Brexit et la chute de la livre sterling, qui renchérit dangereusement les exportations irlandaises vers le Royaume-Uni.
Au milieu de l’agitation, John Keena, éleveur de bovins, a le visage grave en évoquant la chute de 20% de la monnaie britannique depuis le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne en juin 2016.
Pour le quinquagénaire, « rien que ces six dernières semaines nous avons perdu une trentaine de centimes sur la vente du kilo de bœuf. Pour nous, c’est injustifié et il faut que le prix d’achat repasse à 4 euros le kilo ».
Une filière dépendante du Royaume-Uni
Joe Healy, le patron de l’Association des fermiers irlandais, principale organisation agricole du pays, tente tant bien que mal de finir d’avaler son muffin, entre questions et demandes de selfie. Malgré son air jovial, il se dit également préoccupé.
« Nous exportons 90% de notre production de bœuf. La moitié part au Royaume-Uni, 45% en Europe et 5% vers les marchés internationaux. Et sur les 45% qui partent en Europe, la moitié transite par le Royaume-Uni qui fait office de pont avec le continent », explique-t-il, soulignant ainsi la dépendance de la filière vis-à-vis du voisin britannique.
Le bœuf n’est pas le seul en cause : le secteur agro-alimentaire irlandais, le plus gros employeur du pays avec 8,4% des actifs, exporte 37% de sa production vers le Royaume-Uni.
L’industrie du champignon, qui y envoie 80% de sa production, a la première fait les frais des fluctuations de la livre avec des marges déjà étroites qui ont encore baissé et causé la faillite de plusieurs exploitants.
Fermiers, éleveurs, transformateurs, guettent aussi avec anxiété l’issue des négociations de Londres avec Bruxelles, avec la crainte de voir rétablies les barrières douanières entre l’UE et le Royaume-Uni.
« Il faut se préparer au pire tout en espérant le meilleur », résume Tara McCarthy, présidente de Bord Bia, l’agence gouvernementale de l’agro-alimentaire qui a mis à disposition des entreprises exportatrices des outils d’information et de marketing pour envisager de nouvelles stratégies.
À la recherche de nouveaux partenaires
Dublin cherche aussi en parallèle de nouveaux partenaires en cas de sortie sans accord de son voisin même si « cela laisserait un vide immense puisque l’on parle de 250.000 tonnes de bœuf exportés au Royaume-Uni », souligne Tara McCarthy.
Le pays vise en particulier le marché chinois « qui pourrait représenter une belle opportunité » mais auquel il n’a pas encore accès.
À l’inverse du secteur de la viande ou des champignons, les producteurs de lait vont mieux grâce à une récente remontée des prix des produits laitiers après une année 2016 difficile, selon John Wicherley, éleveur de vaches laitières dans le comté de Cork, au sud de l’Irlande.
La situation est « stable », affirme-t-il tout en ne s’avouant que « prudemment confiant ».
Le lait de ses vaches alimente l’industrie fromagère irlandaise qui fournit 80% du cheddar consommé par les Britanniques.
Pour Joe Healy, sans le Royaume-Uni dans l’union douanière, « il n’y a plus vraiment de marché pour le cheddar » irlandais. Car « fermiers et transformateurs ont investi pour fournir au marché et aux consommateurs britanniques les produits dont ils ont besoin ». Sans ce débouché, ils seront particulièrement fragiles.
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