Chaque été, l’activité de la bibliothèque universitaire (BU) des Fenouillères à Aix-en-Provence est perturbée par de fortes chaleurs en son sein. Imaginée sans climatisation pour correspondre aux critères des certifications environnementales, son inconfort sème le doute sur les alternatives écologiques. Enquête.
Un beau gâchis. C’est ce qu’évoque l’ultramoderne bibliothèque des Fenouillères à certains de ses employés et visiteurs, excédés par des températures extrêmes et un air lourd rendant l’activité intellectuelle compliquée.
Au plus fort de l’été provençal, il a été mesuré jusqu’à 40 °C près des vitres au troisième étage, là où des étudiants sont censés pouvoir s’installer et travailler. Seuls quelques-uns parviennent à supporter ces conditions, les autres désertent à la fin de la matinée. Les bibliothécaires, elles, ne peuvent pas quitter leur poste : « Dans nos bureaux, on atteint les 30 °C. Les climatiseurs amovibles sont trop bruyants et on ne peut pas faire de trous dans les fenêtres, donc on se débrouille avec des ventilateurs. » Les étages supérieurs sont particulièrement touchés, et la ventilation pèche : « C’est du 38 °C sans air. »
Pour alerter, elles ont installé un cahier de libre expression à l’entrée du bâtiment. Les témoignages y sont alarmants : « Chaleur infernale, maux de tête, impossibilité de travailler et donc échec universitaire ». « Je confirme qu’il est impossible de passer des heures au 3e niveau de cette nouvelle BU ». « Une séance de travail éprouvante ». « J’évite de m’y rendre l’été ». « On devrait enfermer les architectes dans leurs propres bâtiments ! » Vanessa, doctorante, est dépendante des ressources documentaires : « Nous sommes obligés de renoncer pendant les mois estivaux, qui pour nous, jeunes chercheurs, représentent souvent le moment de l’année où l’on peut se pencher à 100 % sur notre travail de recherche. »
Prenant appui sur le Code du Travail qui reconnaît les « températures extrêmes » comme un « facteur de risque professionnel », le personnel est monté au créneau pour obtenir des fermetures estivales auprès d’Aix-Marseille Université (AMU), en charge de la bibliothèque. Ils obtiennent gain de cause en 2023 après plus d’un an de mobilisation. Désormais, la BU ferme systématiquement à 13h au lieu de 20h en juillet-août et n’ouvre même pas en cas de canicule. Contactée, AMU a décliné toutes nos propositions d’entretien. Naturellement, ces nouveaux horaires contraignent les utilisateurs : « Comment font les étudiants qui ont un job le matin, et ne peuvent travailler que l’après-midi ? » peut-on lire sur le cahier.
Deux labels mais à quel prix ?
En 2016, lors du chantier d’une valeur de 26 millions d’euros, la maîtrise d’ouvrage constituée par le ministère de l’Enseignement supérieur, le rectorat et le CROUS choisit de faire de cette BU une vitrine pouvant prétendre aux (très) nombreuses certifications environnementales existant en France. Cet objectif est atteint. Fenouillères respecte la règlementation thermique de 2012 (RT2012) et revendique les labels H&E (Habitat et Environnement) ainsi que BDM (Bâtiments durables méditerranéens). Parmi les critères de ces notations, la consommation énergétique et donc la gestion du confort thermique occupe une place importante. La RT2012, devenue RE2020 (règlementation environnementale de 2020), est obligatoire, mais les labels H&E et BDM sont facultatifs. Toutefois, les efforts pour les décrocher sont récompensés par des incitations financières et par une image de marque renforcée, en conformité avec le mouvement d’inquiétude climatique. La climatisation étant peu écologique car gourmande en électricité et pouvant rejeter des composants chimiques en cas d’usure.
La maîtrise d’ouvrage fait donc appel à Quadriplus, un groupe de six bureaux d’études constitués en coopératives. Celui qui s’y colle s’appelle Katene, jeune boîte basée à Lyon qui oriente les constructeurs vers des moyens d’optimiser la performance énergétique de leurs bâtiments.
En amont, pendant la phase de construction, Katene joue sur plusieurs leviers. D’abord, la gestion des apports solaires. Il s’agit de faire en sorte de laisser entrer la lumière sans la chaleur en bloquant le rayonnement du soleil avec des visières, balcons, végétaux et même des lames brise-soleil ou des moucharabiés automatisés qui s’adaptent à la luminosité. Ensuite, la gestion de l’inertie des murs, c’est-à-dire leur capacité à stocker la chaleur ou le froid. On exploite ce phénomène en créant des ouvertures la nuit pour laisser les murs rafraîchir. On pourrait ajouter l’étanchéité, la ventilation naturelle avec échange thermique double-flux, la dalle de fraîcheur, la vitesse d’air, la pompe à fraîcheur… Les outils sont nombreux. Katene a une expertise dans l’automatisation et la simulation de ces systèmes d’alternatives à la climatisation que le bureau a mis en place dans plusieurs projets comme les groupes scolaires Simone Veil à Villeurbanne, Boileau et Diderot à Lyon, les logements militaires Unik à Saint-Maixent-l’École ou le siège Woopa à Vaulx-en-Velin. Les économies peuvent atteindre « jusqu’à 50 % de réduction des consommations électriques du bâtiment en global » selon un cadre de Katene.
Villeurbanne : même technique, même problème
Epoch Times a contacté des utilisateurs de ces bâtiments. L’école maternelle et élémentaire Simone Veil a fait sa première rentrée en septembre 2023 et les parents d’élèves et professeurs ont déjà alerté la municipalité pour des fortes chaleurs. « À Villeurbanne, dans un bâtiment vitré comme celui-là, la température monte vite et les enfants se plaignent », raconte Charlotte de l’association des parents d’élèves. Les façades de l’école sont habillées d’un moucharabié adaptatif mais insuffisant selon elle : « Les ombrières ne vont pas jusqu’en bas. » La ventilation naturelle permise par les ouvrants ne permet pas de compenser.
En revanche, au bâtiment Unik de Saint-Maixent, R.A.S. : « Il ne fait pas particulièrement chaud. Je crois qu’il y a la clim parce que j’ai vu des tuyaux, » selon Maxime, militaire. En réalité, il n’y a pas de climatisation mais une pompe à fraîcheur qui s’avère donc efficace dans ce cas de figure.
Quid du cas Fenouillères ? La climatisation naturelle mise en place à la bibliothèque universitaire repose sur trois piliers : des ouvrants automatisés, des lames brise-soleil et une centrale de traitement d’air double-flux. Les fenêtres coulissent pour s’ouvrir automatiquement quand l’air est plus frais dehors que dedans, comme la nuit, pour charger l’intérieur en fraîcheur. Les lames brise-soleil empêchent les rayonnements solaires d’entrer en été (théoriquement). La centrale double-flux renouvelle l’air intérieur tout en rafraîchissant le nouvel air entrant. « Cela n’a jamais marché », tranche Hélène, bibliothécaire.
« Nous n’avions pas de mission de suivi »
Katene ne semble pas être au courant du mouvement social : « Nous n’avions pas de mission de suivi pour ce projet, mais ce n’est pas une référence pour notre bureau. » Selon un responsable, le comportement des usagers peut expliquer le manque d’efficacité : « Les ouvrants sont automatisés mais des dérogations sont possibles, je ne sais pas ce qu’il en est des lames brise-soleil et de leur orientation… » Ce dernier reconnaît néanmoins qu’il est impossible de descendre en-dessous de 26 °C à l’intérieur en période de canicule sans climatisation en l’état actuel des technologies.
Katene n’est qu’un exemple. Préparer l’après-climatisation est nécessaire, mais le désir prématuré des collectivités de rentrer dans des critères environnementaux exigeants les pousse à des expérimentations sur des bâtiments publics qui deviennent difficilement utilisables voire dangereux puisque des cas de malaises ont été recensés. Les contrats sont d’autant plus juteux que les solutions imaginées par les bureaux d’études sont complexes. Une fois de plus, l’écologie est aussi un moyen de s’enrichir en ouvrant de nouveaux marchés. Et pour les utilisateurs, quel compromis ? « Il faudrait des horaires anti-canicule avec le même nombre d’heures : ouvrir uniquement tôt le matin et tard le soir », selon Bruno, qui prépare son mémoire d’Histoire à Fenouillères.
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