Le téléphone sonne sans discontinuer dans les bureaux parisiens du 30 18, numéro du dispositif national d’écoute pour les victimes de violences en ligne. « On croule. On pourrait employer quinze personnes à temps plein et en flux tendu », confie une répondante, Taïssi Dini, juriste de formation.
Avec une moyenne de 150 appels par jour, les équipes de l’association E-Enfance peinent à faire face. Les groupes de trois à quatre répondantes – ce sont en grande majorité des jeunes femmes – s’accordent quelques minutes de pause entre chaque appel. À l’autre bout du fil, des victimes d’arnaques ou de harcèlement en ligne, très souvent mineures.
On devine les gorges nouées de ceux qui s’efforcent de décrire leur calvaire, souvent de manière précise, clinique, aidés par l’anonymat et le ton rassurant des intervenantes. Les mêmes récits reviennent jour après jour, révélant des méthodes bien rodées et largement répandues. « Des fois, j’arrive à ne pas y penser, quand je travaille… mais le soir je suis tout seul et il n’y a plus que ça », murmure un jeune homme de 17 ans, victime de « sextorsion », un chantage aux photos de nu.
Le jeune homme a déjà versé 1200 euros à un « brouteur », un escroc en ligne qui le menace depuis plusieurs mois de diffuser auprès de ses proches les clichés qu’il a obtenus en se faisant passer pour une fille de son âge, rencontrée sur Instagram. C’est un des stratagèmes favoris de ces escrocs de petites sociétés criminelles ciblant majoritairement les jeunes gens.
Les filles, « davantage exposées aux violences numériques en général », selon le directeur des opérations de l’association Samuel Comblez, sont quant à elles le plus souvent victimes de « revenge porn ». Soit une pratique délictuelle qui consiste à diffuser, ou menacer de diffuser, des photos dénudées ou vidéos compromettantes de la victime sur les réseaux sociaux. Contrairement aux garçons, les filles sont les plus souvent victimes de proches, d’ex-petits amis par exemple qui tentent de les garder sous emprise, plutôt que d’extorqueurs professionnels.
Des dépôts de plainte rarissimes
Les interlocutrices donnent des conseils pour se protéger, échapper à la domination des escrocs et, si possible, agir en justice. Mais les dépôts de plainte sont rarissimes : seules 6% des victimes d’atteintes en ligne signalent les faits aux autorités, selon le rapport d’enquêtes « Vécu et ressenti en matière de sécurité 2022 » du ministère de l’Intérieur. « Un fléau » pour Romain Chibout, coordinateur des équipes d’écoute : « Les lois existent mais la machine juridique a minimum dix ans de retard et n’est pas fonctionnelle ».
En septembre, l’un des rares procès en la matière a vu condamner deux escrocs à des peines d’emprisonnement ferme sous bracelet électronique pour des actes de « sextorsion », un cas pour des dizaines de milliers par an. « Sur 150 appels par jour, au moins 30% concernent des cas de sextorsion ou de revenge porn », explique Taïssi Dini.
Et Romain Chibout d’avertir : « cela continuera faute de sanctions, mais on a beaucoup de mal à se faire entendre. De nombreux commissariats refusent tout simplement d’enregistrer tout ce qui a trait au cyber, et les procureurs ne veulent, la plupart du temps, pas se saisir de toute affaire dont le préjudice est inférieur à 500 euros ».
Des victimes muselées par la honte
Muselées par la honte, les victimes ne peuvent souvent pas trouver d’aide auprès de leurs proches. Un isolement qui peut conduire au pire. « On appelle les pompiers une fois par semaine en moyenne » pour des risques de suicide imminent, commente Romain Chibout.
Au téléphone, le soulagement des appelants est souvent palpable. Olivia, écoutante-psychologue (qui a requis l’anonymat), insiste sur la déculpabilisation des victimes. « Je suis désolé, je ne crois pas que je vais jamais réussir à en parler », s’excuse un jeune homme victime de « sextorsion », à qui elle enjoint de chercher de l’aide auprès de son père. « Si j’avais un seul conseil à donner, c’est pourtant celui-là : le plus important, c’est de rompre l’isolement », commente-t-elle.
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