De la musique sacrée au débarquement en passant par New Orleans

Une rencontre avec Raphaël Imbert au festival Jazz sous les pommiers

Par Michal Bleibtreu Neeman
23 mai 2019 17:42 Mis à jour: 13 juillet 2019 12:27

La 38e édition de Jazz sous les pommiers se déroulera du 24 mai au 1er juin. Parmi les noms qui reviennent se trouve celui du saxophoniste et chercheur Raphaël Imbert. Musicien autodidacte, son répertoire va de Bach à Coltrane. Cette année, il invite le public le lundi 27 mai au Magic Mirrors pour les “1001 nuits du jazz” qui affiche déjà complet. Ce voyage musical qui revisite les années 40 sera accompagné d’explications aussi profondes que passionnantes. Tout cela sous le signe du 75e anniversaire du Débarquement en Normandie.

Nous l’avons rencontré l’année dernière à l’occasion de sa prestation à la Cathédrale de Coutances dans le cadre de la 37e édition du festival, il était avec André Rossi à l’orgue et Jean-Luc Di Fraya à la voix et aux percussions.

Raphaël Imbert en répétition dans la cathédrale de Coutances

 Vous faites du jazz avec Bach, pour vous qu’est-ce que c’est le Jazz ?

J’aurai beaucoup de mal à dire ce que c’est. Après beaucoup de réflexion et pratique je suis arrivé à une définition: le jazz c’est le geste musical qui permet de jouer avec qui je veux, quand je veux. Ce n’est pas une question de style, c’est plus une question d’attitude, de réciprocité entre les musiciens et le fait de pouvoir inventer la musique en temps réel, improviser. Mais l’improvisation n’est pas la caractéristique du jazz. Beaucoup de musiques dans le monde sont des musiques d’improvisation. Déjà Jelly Roll Jay Morton, un des premiers jazzmen de l’histoire disait dans les années 20, « on peut faire du jazz avec tout ». Donc je dis moi aussi, oui on peut faire du jazz avec tout par exemple à la cathédrale avec du Bach.

Comment a commencé le projet Bach Coltrane avec André Rossi ?

En 2003 j’étais professeur remplaçant au conservatoire de Marseille et lui il était prof d’orgue et plus précisément d’improvisation baroque. La première fois qu’on a improvisé c’était sur le choral de Luther. Nous avons la possibilité de raconter 300 ans d’histoire de la musique autrement. Sans faire un concert classique ou jazz mais autrement. Et on montre qu’il n’ y a pas eu de cassure. Bach ça swing, ça a toujours swingué. Coltrane c’est la grande musique, formellement aussi élaborée que Bach. Le but est de montrer qu’on a la même histoire.

Les musiciens du baroque étaient des improvisateurs, ce mélange est possible ?

Oui, tous les musiciens du baroque étaient des improvisateurs. Jusqu’à il y a une centaine d’années les musiciens classiques improvisaient, Chopin, Litz, Rachmaninov étaient des improvisateurs remarquables. Chopin – comme Bach d’ailleurs – était beaucoup plus connu en tant qu’improvisateur de son vivant que compositeur. C’était leur capacité d’inventer la musique en temps réel qui faisait qu’ils étaient adulés. La grande star de l’époque Paganini improvisait tous les jours. C’était impensable qu’il joue la même chose tous les soirs.

C’est Beethoven qui commence à être très didactique et directif dans ses intentions. Chez Bach il n’ y a pas d’indications de dynamique, pas d’indications de tempo. Il y a beaucoup d’œuvres de Bach, vous les jouez lentement ou rapidement, fort ou doux, c’est beau. Chez Mozart et Hayden, on avait les quatuors qui jouaient ensemble pour s’amuser et qui changeaient sans cesse. On a des ratures, on voit qu’ils étaient tout le temps entrain de changer d’avis, d’essayer toutes sortes de choses. C’est des musiques en mouvement. À partir d’un moment on voit dans les conservatoires qu’on n’a plus le droit d’improviser. Improviser est considéré comme mettre la poussière sous le tapi ou donner un coup de peinture à une fausse note. Le summum de cette approche arrive avec Pierre Boulez qui cristallise l’idée que l’improvisation c’est mal.

L’improvisation est souvent liée à la tradition orale

Oui l’improvisation est liée aussi à la transmission orale. C’est à dire qu’on peut transmettre la musique aux élèves, aux autres musiciens oralement sans passer par l’écrit. C’est tout ça qui a été combattu. C’est un projet de civilisation. Et le jazz est pour moi la manifestation de cette résistance et même la victoire de cette résistance.

Et d’ailleurs on n’a pas seulement interdit l’improvisation mais aussi les cultures locales. Avant, il y avait des fanfares dans toute la France et c’était un moyen d’apprendre la musique. En détruisant les fanfares on a détruit le socle de la musique française et c’est irrémédiable. On peut mettre des conservatoires mais il y a un problème parce qu’on n’apprend pas de la même manière avec son grand-père et son père qui transmettent le savoir de 200 ans de leur famille que dans une salle avec un professeur. C ‘est très bien mais pourquoi l’un irait contre l’autre ?

Quand on fait disparaître une tradition orale, on fait disparaître cette tradition pour toujours.

C’est le modernisme qui a chassé l’improvisation avec la tradition ?

Oui, cette tradition commence à disparaître avec le début des enregistrements. Donc nous n’avons aucune trace de ce que c’était avant. En France, dans les années 60, c’était mal vu de jouer des instruments anciens. Boulez prônait la modernité et se mettait contre l’improvisation et le baroque. Les musiciens de jazz racontent avoir joué avec des musiciens baroques qui jouaient en cachette. Ils ont fait un travail de recherche et constataient que les musiciens baroques improvisaient. Les seuls musiciens classiques qui ont gardé l’improvisation sont les organistes classiques. Quand la mariée est en retard ou que le curé chante mal, il doit improviser. Et les organistes français sont les seuls dans l’histoire à avoir gardé cette tradition là.

L’interdiction de l’improvisation vient en même temps que la sacralisation des salles de concerts. L’opéra au XVIII ou début XIXe, les gens venaient avec leur pique-nique, ça parlait, c’était un endroit populaire. Alors que la musique de chambre était pour la noblesse.

Le jazz est clairement une façon – de la part de la culture afro américaine – une façon de résister à la tentative de faire disparaître les traditions orales.

Quand je fais du jazz avec du Bach, j’estime que c’est parfaitement compatible avec une recherche baroque de vérité historique.

Pour vous il y a un lien étroit entre la musique sacrée et le jazz…

Nous jouerons à la Cathédrale le choral de Luther. Luther c’est le réformiste. il révolutionne au sein de la religion mais il révolutionne aussi le rapport à la musique. C’est un moine, il chante. Il va faire la même chose il va démocratiser le chant religieux il permettra aux fidèles de chanter avec le pasteur, ce qui n’était pas possible dans la liturgie catholique : seuls les moines et le curé chantaient.

Il dit d’ailleurs que le chant c’est le vecteur de la parole de Dieu. C’est la révolution de la musique protestante. Le gospel c’est une autre révolution au sein de la révolution ce sont les esclaves qui vont intégrer les influences qu’ils rencontrent sur le territoire.

D’ailleurs à New Orleans, le berceau du jazz, il y a la plus grande cathédrale afro américaine et il y a des messes catholiques gospel. Donc quand on raconte l’histoire de Bach et la liturgie luthérienne on raconte les racines de la musique afro américaine, ça contribue à la création de cette musique.

Vous citez Coltrane qui dit qu’une personne est à la recherche du bon et aspire à vivre une vie de bonté elle peut se considérer comme sainte…

Oui Coltrane était mystique. Il était très croyant, pas religieux, le propre du mystique est de ne pas avoir besoin de la religion.

Est-ce que pour vous la musique est une forme d’aspiration vers la bonté ?

Oui bien sûr

Et l’authenticité ? Car vous parler également du « vrai » comme propre du musicien, est-ce ceci le côté salvateur de la musique ?

Le jazz est issu du blues, et le blues est une rare musiques qui a été construite par le musicien pour lui-même. Celui qui joue du blues c’est en premier lieu pour se faire du bien à lui-même, ce qui n’est pas forcement le cas des autres musiques. Le blues a des liens avec les musiques de l’Afrique de l’ouest. Le griot chante l’histoire des grandes familles, rois etc. Le bluesman se chante à lui-même sa propre histoire. Et le jazz a toujours gardé cette notion de l’individu et d’autonomie. Pour improviser ensemble il faut d’abord être autonome. Cette façon de se faire du bien à soi-même on la retrouve dans le groupe, on la retrouve avec le public et ceux qui écoutent la musique. Cette mission salvatrice, elle n’est pas religieuse mais elle a quand même cette dimension-là.

On a affaire à une musique inventée par des gens qui étaient profondément messianiques élevés dans la culture du « salvation » du salut qui arrivera un jour. En attendant le salut, on fait en sorte que ça se passe le mieux possible. Tous les musiciens américains que ce soit du country folk ou Gospel jazz ont cette idée-là, un idéal.

Propos recueillis par Michal Bleibtreu Neeman

Pour plus d’info:

Jazz sous les pommiers – Accueil

 

 

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