« J’étais à bout dans mon travail » : l’opératrice qui avait raillé fin 2017 au téléphone Naomi Musenga, jeune femme décédée peu après à l’hôpital, a tenté jeudi au tribunal de Strasbourg d’expliquer ses manquements par son épuisement moral et sa charge de travail, sans véritablement convaincre la cour.
Chemisier bleu et fines lunettes, Corinne M., 60 ans, a exprimé ses regrets à sa première prise de parole, alors que les proches de la victime avaient espéré la veille en conférence de presse entendre « un pardon » de sa part. « Je vous demande de m’excuser, c’était inqualifiable », a déclaré l’ancienne assistante de régulation médicale (ARM), se tournant vers la mère de la victime, son frère et sa sœur.
Au cours des débats qui ont suivi, elle a dit à plusieurs reprises « regretter les phrases » prononcées le 29 décembre 2027, alors que Naomi Musenga, se plaignant de violentes douleurs à l’abdomen, appelait à l’aide.
« Si vous ne me dites pas ce qui se passe je raccroche », « oui vous allez mourir, certainement un jour, comme tout le monde », « appelez SOS médecin, je ne peux pas le faire à votre place », avait-elle répondu à la jeune femme de 22 ans qui peinait à s’exprimer au téléphone. Avant de raccrocher sans la transférer à un médecin, comme l’imposaient pourtant les protocoles en cas de douleurs abdominales.
« Chaque appel ressenti comme une agression »
L’enregistrement de la courte conversation a été diffusé au tribunal, provoquant des larmes chez la sœur de la victime.
« Je sais que c’est terrible cet appel. J’étais à bout dans mon travail, je ne supportais pas le stress, chaque appel était ressenti comme une agression », a déclaré la prévenue, tentant de décrire son contexte professionnel.
« Je reconnais les faits, bien sûr. Mais ils ne sont pas venus tout seuls », a-t-elle ajouté. « On est sous pression, on travaille 12 heures, on a une demi-heure de pause. Je n’étais plus en état de faire face. »
« Une jeune femme de 22 ans qui a mal au ventre, pour moi c’est une gastro, j’ai pas cherché plus loin », a-t-elle admis. Le problème « ce n’est pas que vous vous êtes trompée, c’est que vous ne posez pas les questions que vous auriez dû poser », a réagi la présidente, Isabelle Karolak. « Je suis incapable de vous expliquer pourquoi. Je suis restée dans ce truc de gastro, je n’ai pas percuté plus que ça », répond la prévenue. Avant d’ajouter, un peu plus tard : « Je n’arrivais plus à avoir d’empathie ».
Elle a décrit l’accumulation d’appels, à traiter « très vite », les décisions d’orientation à prendre en quelques « fractions de seconde ». « Une collègue avait l’habitude de dire : ‘‘on fait de l’abattage’’ », a-t-elle souligné.
Critiquée par un médecin pour lui avoir transmis l’appel
Elle a aussi évoqué le souvenir d’un médecin qui l’avait « pourrie, humiliée devant les collègues » parce qu’elle avait « passé un appel qui ne lui avait pas plu ». Alors « parfois on pense bien faire en orientant vers SOS médecins, on gagne du temps », a-t-elle précisé.
Confrontée à l’appel de Naomi Musenga, transmis entre deux plaisanteries par une opératrice des pompiers qui n’avait pas elle-même saisi la gravité de la situation, Corinne M. explique qu’elle n’a pas jugé cette demande « grave ».
Son avocat, Thomas Callen, n’a pas manqué de souligner que quelques mois avant les faits, un rapport sénatorial avait mis en avant que la fonction d’assistant de régulation médicale était un « métier très difficile et extrêmement stressant », « insuffisamment valorisé et encadré en dépit de son importance cruciale », exercé par des personnes « manquant d’expérience, quand ce n’est pas tout simplement d’une formation initiale ».
Mère d’une enfant de 18 mois, Naomi Musenga est décédée le 29 décembre 2017 à l’hôpital de Strasbourg après avoir été prise en charge avec « un retard global de près de 2h20″, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Selon l’enquête, son décès n’est pas lié au retard de prise en charge, et les charges d’« homicide involontaire » ont été abandonnées au cours de la procédure.
Les débats doivent se prolonger toute la journée de jeudi. Poursuivie pour « non-assistance à personne en danger », Corinne M. encourt cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende.
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