La déchéance de nationalité, voulue par le président François Hollande depuis les attentats de Paris, est une mesure phare aussi bien que symbolique. Un récent sondage d’Opinion Ways montrait que sur ce sujet, 85% des Français soutenaient l’initiative. Pourtant, la mesure peine à trouver sa place, aussi bien dans l’arsenal juridique existant pour lutter contre le terrorisme, que dans le milieu politique, où la polémique enfle sur une mesure jugée parfois « inutile ».
Seuls 26 cas de déchéance depuis 1973
D’après Serge Slama, juriste en droit des étrangers, l’appartenance à la nation est née après la Révolution française avec « le principe de la citoyenneté d’adhésion, contre les ennemis royalistes qui perdent leur citoyenneté ». Les premiers cas de déchéance de nationalité française sont apparus en 1848, lorsque le décret sur l’abolition de l’esclavage a déterminé que tout Français qui continue à pratiquer la traite sera déchu de sa nationalité.
La déchéance de nationalité a été largement pratiquée sous Vichy, avec 15 000 cas de dénaturalisés, dont le général de Gaulle. C’est la seule fois que la mesure a été appliquée à des Français de naissance. Depuis 1938, l’article 23-7 du code civil déclare qu’un « Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré (…) avoir perdu la qualité de Français ». Cela a été appliqué, comme dans le cas d’un Franco-Guinéen qui écrivait des articles très violents contre la France, ou un Franco-Allemand résidant en Allemagne en 1970 et « manifestant ouvertement son hostilité à l’égard de la France ».
85% des Français seraient favorables à la déchéance de nationalité. – Sondage OpinionWays
D’après le ministère de l’Intérieur, seules 26 déchéances de nationalité ont été prononcées depuis 1973, dont 13 pour terrorisme. Il est difficile d’en faire une mesure de lutte efficace et ce pour plusieurs raisons. Depuis la loi Guigou de 1998, seuls les binationaux peuvent se voir retirer la nationalité française ; il n’est en effet pas possible de se retrouver apatride. Ensuite, si l’on imagine que des terroristes ou individus supposés dangereux sont expulsés suite à leur déchéance, d’autres considérations s’ajoutent. « On ne peut pas l’utiliser dans le cas actuel, car il faudrait considérer que l’État islamique est un État », précise le juriste Serge Slama.
Dans le cas où un terroriste serait déchu de sa nationalité française, la question de son expulsion du sol français est aussi une question à prendre en compte. « En règle très générale après une déchéance, le ministre de l’Intérieur prend un arrêté d’expulsion », continue le juriste. « Si leur pays de destination présente des risques réels d’atteinte aux droits de l’homme, la CEDH s’oppose à la mesure en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’homme », précise-t-il.
C’est l’exemple de Kamel Daoudi, déchu de la nationalité française en 2006 pour avoir voulu faire exploser l’ambassade des États-Unis en 2001. Ce dernier devait être expulsé vers l’Algérie, mais a finalement été assigné à résidence dans le Tarn, suite au refus de la CEDH.
Du point de vue des valeurs
Le Premier ministre a d’ores et déjà averti que cette mesure aurait « une portée pratique limitée », mais une « portée symbolique évidente ». Une partie de la gauche a montré son scepticisme, évoquant les valeurs républicaines et de possibles « dérives ». Les Républicains ont pour leur part affirmé leur soutien à la mesure. « Les mesures symboliques ont une importance du point de vue des valeurs », s’est exprimé Jean-Pierre Chevènement sur iTélé.
« Être français, c’est un plébiscite de tous les jours », a-t-il continué, citant le philosophe et historien Ernest Renan, auteur de la célèbre conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » qu’il a prononcée à la Sorbonne en 1882.
Effectivement, depuis le point de vue des historiens, en France, l’appartenance à la nation ou le sentiment de l’être répond aux aspirations des individus – contrairement à d’autres nations, comme l’Allemagne, qui se définissent plus par rapport à un « essentialisme ». Depuis l’apparition du principe de citoyenneté et de nation, des philosophes comme Jean-Jacques Rousseau ont vu dans la civilisation un « contrat social » des individus entre eux, le résultat d’une « volonté du peuple ».
« Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation », écrivait le philosophe Ernest Renan. Du point de vue des valeurs républicaines, le débat sur la déchéance de nationalité semble donc légitime et inévitable. « Si on se place dans la perspective de la réussite de l’intégration, (…) c’est important pour faire prendre au sérieux la question de la nationalité », a précisé l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement.
Pour l’heure, le défi de l’exécutif sera surtout de maîtriser la polémique et les incompréhensions. À plus forte raison pour que la proposition de loi soit adoptée par l’Assemblée, le 13 février prochain.
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