La dérégulation bancaire freine l’innovation dans les petites entreprises

19 octobre 2017 07:45 Mis à jour: 19 octobre 2017 01:46

De nombreuses études montrent que la dérégulation des marchés financiers à travers le monde accroît la concurrence entre les banques, ce qui présente bien des avantages. En étudiant les effets de la dérégulation sur l’innovation, Johan Hombert et son coauteur Adrien Matray observent toutefois une répercussion négative pour les petites entreprises, qui semblent perdantes en termes de budgets et de talents. Cet article est publié en partenariat avec le site Knowledge@Hec.


La dérégulation des marchés financiers a débuté dans les années 1970. Cette libéralisation a renforcé la concurrence entre les banques – et permis essor – tout en s’accompagnant d’un regain de croissance de l’industrie et des entreprises individuelles. Nous avons voulu savoir quels en avaient été les effets sur l’innovation. En quoi le financement des innovateurs a-t-il été affecté par l’arrivée de ces grandes banques compétitives ?

Les États-Unis : laboratoire de la dérégulation
Nous avons choisi de nous intéresser au phénomène de la dérégulation bancaire aux États-Unis, excellent laboratoire. Là-bas, les banques sont en effet régulées au niveau de chaque État, et non au niveau fédéral. Par conséquent, dans certains États, les banques ont été dérégulées dans les années 1970, alors que d’autres étaient toujours soumises au régime de la régulation dans les années 1990.

C’est un peu comme un laboratoire de biologie. Nous avons passé au crible les données des États régulés et celles des États dérégulés, et nous les avons comparées sur une période d’environ 15 ans. Pour comprendre comment la dérégulation pouvait impacter l’innovation, il a décidé de prendre comme indicateur de référence les brevets déposés.

Le nombre de brevets est en effet assez révélateur du dynamisme de l’innovation et les données sur les brevets, accessibles à tous aux États-Unis, sont faciles à analyser. Comparant le nombre de brevets sur une période donnée, les résultats révèlent une baisse du dépôt de brevets de la part des petites entreprises dans les États dont les marchés bancaires étaient dérégulés.

Il est indéniable que la dérégulation bancaire offre de nombreux avantages, mais elle ne semble pas favorable à la capacité d’innovation des petites entreprises. Cela ne signifie pas nécessairement que le système est mauvais, mais la donne a changé ».

Grandes institutions vs petites banques
Les grandes banques n’ont pas les mêmes modes de fonctionnement que les petites. Auparavant, les banques étaient cantonnées à une région ou une zone donnée. Ces petites structures entretenaient des relations privilégiées avec les entreprises et les emprunteurs locaux. Les conseillers clientèle avaient accès non seulement à la situation financière et aux livres de compte de leurs clients, mais aussi à des renseignements plus personnels. Ils savaient si leurs clients étaient fiables et dignes de confiance et ils pouvaient exploiter cette connaissance pour décider d’accorder ou non un prêt.

Dans les grandes banques, il n’y a pas cette connaissance personnelle. Elles s’appuient au contraire sur des algorithmes. Elles injectent dans leur système les informations financières des entreprises pour qu’il calcule leur niveau de solvabilité et indique au banquier quelle décision prendre. Ces algorithmes, qui reposent sur des modèles de notation de crédit, sont efficaces et économiques et ils se sont également avérés très favorables au jeu de la concurrence entre les banques.

Mais c’est justement là le cœur du problème pour les petits innovateurs. Il n’est pas facile d’étudier le bilan financier d’une petite entreprise et de savoir si tel ou tel projet a des chances de réussir. Il faut réunir plus d’informations tacites pour percevoir si une idée est bonne ou pas. Or, les grandes banques, sophistiquées, ne savent pas gérer ce type d’information, et ce sont les petites entreprises qui en paient les conséquences.

Les grandes entreprises « aspirent » les innovateurs
Poussant plus loin notre analyse, nous avons suivi un certain nombre d’inventeurs individuels sur une période donnée. Décortiquant leur parcours professionnel, ils ont constaté que ceux qui avaient débuté dans de petites entreprises les quittaient généralement pour des structures plus importantes après la dérégulation.

Les grandes entreprises « aspirent » donc les talents porteurs d’innovation des petites structures. Les petites entreprises innovantes ont plus de mal à obtenir des financements après la dérégulation, ce qui implique une plus grande difficulté à garder leurs talents. Lorsque les budgets ne sont plus au rendez-vous, les inventeurs se tournent vers des structures plus importantes bénéficiant d’enveloppes financières plus intéressantes.

Globalement, la transition de petites banques locales à de grosses structures a été positive pour bon nombre d’acteurs de l’économie, mais pas pour les petits innovateurs. Nous ne pouvons cependant affirmer si les avantages financiers, en termes d’innovation, qu’ont les grandes entreprises par rapport aux petites sur les marchés bancaires dérégulés est une bonne chose ou non. Divers gouvernements et organismes à travers le monde encouragent les projets des petites structures innovantes en leur accordant des aides et crédits d’impôts.

Mais les petites entreprises visées par ces programmes se voient souvent supplanter au niveau des dossiers de candidature par des structures plus imposantes, aux processus mieux rodés. Cette étude ne nous permet pas de conclure s’il est judicieux de laisser les grandes entreprises s’accaparer tout le travail d’innovation ou s’il fallait faire plus pour soutenir les petits innovateurs. Ce sont des questions auxquelles il va falloir apporter une réponse.

Ce travail a des implications pour les entreprises et pour le législateur. Des programmes existent pour aider les petites entreprises grâce à l’octroi d’aides financières ou de crédits d’impôts. Mais le montage des dossiers est souvent trop complexe et coûteux à gérer pour ces dernières.

Pour aider les petits innovateurs, il est important de réunir aussi des informations tacites. Les grandes agences nationales appliquant des critères stricts ne savent pas aujourd’hui offrir aux innovateurs ce dont ils ont besoin. Nous avons besoin d’institutions, d’agences et de banques locales qui puissent entretenir des contacts personnels afin d’assurer une affectation plus efficace des fonds.


Ce texte est issu de l’article académique « The Real Effects of Lending Relationships on Innovative Firms and Inventor Mobility », Review of Financial Studies, 2017, co-signé par Johan Hombert et Adrien Matray.

The ConversationMéthodologie : L’étude réalisée par Johan Hombert et Adrien Matray a porté sur la dérégulation bancaire aux États-Unis et sur ses effets sur l’innovation. Dans les années 1970, différents États à travers les États-Unis ont initié la dérégulation de leurs marchés bancaires pour favoriser la concurrence. À la fin des années 1990, toutes les banques étaient dérégulées. Les chercheurs se sont attachés à comparer les brevets déposés dans les États qui avaient entrepris tôt cette dérégulation et ceux qui étaient encore régulés vers la fin du siècle dernier afin d’identifier les éventuelles répercussions sur le terrain de l’innovation. Leur constat : avec la dérégulation des marchés bancaires aux États-Unis, l’innovation du côté des petites entreprises a été freinée. Il a également suivi les innovateurs après la dérégulation et constaté une fuite des talents instigateurs d’innovation au détriment des petites entreprises.

Johan Hombert, Professeur de finance, HEC School of Management – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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