Le projet de loi gouvernemental contre les dérives sectaires a été recalé mardi par le Sénat, principalement en raison de son article 4, que les parlementaires jugent « attentatoire à la liberté d’expression ». Pour autant, impossible pour ses opposants de crier victoire : le verdict final reviendra à l’Assemblée nationale. En cas d’adoption de l’inquiétante disposition par les députés, seul le Conseil constitutionnel pourra alors la censurer.
Une victoire en trompe-l’œil. Ce mardi 2 avril, le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires a été, sans grande surprise, rejeté par le Sénat. La Chambre haute du Parlement s’est prononcée contre ce texte législatif par l’adoption d’une motion de question préalable, à 189 voix “pour“ et 152 voix “contre“. Ce vote faisait suite au rétablissement par l’Assemblée nationale le 20 mars des articles 1 et 4 du texte de loi, dispositions à l’origine de l’échec des négociations entre députés et sénateurs réunis en Commission mixte paritaire le 7 mars.
Trajectoire de l’article 4 : cap maintenu
Dans son objet, la motion adoptée au Palais du Luxembourg indique que cette législation causera « une confusion dans l’application du droit » et, en l’état, constituera une atteinte à la liberté d’expression. Pour les sénateurs, les articles 1er et 4 ne permettent pas en effet de concilier de façon satisfaisante « l’exercice de la liberté d’expression et la liberté de choisir et de refuser des soins, et l’objectif de protection de la santé publique ». En première lecture, le 19 décembre, la Chambre haute avait déjà critiqué et supprimé ces articles, depuis remaniés par l’Assemblée nationale.
Désavoué par le Conseil d’État dans un avis rendu le 17 novembre 2023, rejeté par une majorité de députés lors d’un premier vote au Palais Bourbon le 13 février, étrillé par la droite sénatoriale lors de la Commission mixte paritaire le mois dernier, l’article 4 est jugé particulièrement dangereux pour les libertés publiques et individuelles. Celui-ci prévoit de sanctionner par un an d’emprisonnement et 30.000 euros d’amendes la « provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique » ainsi que « la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique », lorsque ces incitations peuvent s’avérer « particulièrement graves » pour la santé physique ou psychique.
Second point d’achoppement, l’article 1er, qui introduit un nouveau délit de placement ou de maintien en état « de sujétion psychologique ou physique ». Le Sénat considère que la mesure recoupe des dispositions qui figurent déjà dans le Code pénal, notamment l’abus de faiblesse. « L’influence psychologique est extrêmement difficile à qualifier. Sur l’abus de faiblesse, vous pouvez avoir des éléments concrets, comme la spoliation matérielle, qui permet de caractériser l’infraction », relevait la sénatrice Lauriane Josende. Le différend se cristallise cependant avant tout autour de l’article 4.
Ce revers de la majorité présidentielle au Sénat ne constitue pas toutefois, loin s’en faut, une barrière infranchissable pour l’entrée en vigueur de son projet de loi. En cas d’échec de conciliation entre les deux chambres du Parlement sur un texte commun, le dernier mot revient en effet à l’Assemblée nationale, qui avait déjà voté le 14 février le projet de loi contenant l’inquiétant article 4 dans des conditions surprenantes.
Passage en force
Le mardi 13 février en toute fin de soirée, l’article 4 du projet de loi, qui avait été rétabli en commission des lois par les députés après sa première abolition par le Sénat le 19 décembre, avait à nouveau été supprimé lors des débats dans l’hémicycle. Le bloc formé par le RN, LR et la Nupes l’avait emporté sur les élus macronistes et socialistes (116 “pour“, 108 “contre“). Mais c’était sans compter sans compter l’obstination du gouvernement à tenter le tout pour le tout.
Mercredi 14 février, à la fin de l’examen du texte, le président de la commission des Lois, Sacha Houlié (Renaissance), a réclamé, à la stupeur générale, une seconde délibération, comme l’autorise l’article 101 du Règlement de l’Assemblée nationale. Celui-ci dispose que « la seconde délibération est de droit à la demande du Gouvernement ou de la commission saisie au fond ».
La rapporteure du texte Brigitte Liso (Renaissance) avait donc présenté un amendement de rétablissement — et de réécriture — de l’article 4, faisant valoir que le délit ne serait pas constitué « lorsqu’il est apporté la preuve du consentement libre et éclairé de la personne », et précisant que la nouvelle rédaction apportait une dimension supplémentaire liée à la protection des lanceurs d’alerte.
Une disposition qui ne « sert qu’à tromper les Français et les parlementaires », avait fustigé Nicolas Dupont-Aignan à la tribune : « Un lanceur d’alerte n’est reconnu comme lanceur d’alerte que quand il a réussi son combat. Irène Frachon n’aurait jamais été reconnue comme lanceur d’alerte, puisque le principe d’un lanceur d’alerte, c’est quelqu’un qui émet un doute contre tout le monde, lutte contre des intérêts financiers puissants, fait part d’une vérité », avait-il rappelé. Dans un entretien sur Sud Radio, le député n’a pas hésité à affirmer que ce projet de loi veut « bâillonner la liberté d’expression, mettre fin à la liberté médicale, mettre fin à la liberté du patient de disposer de son propre corps ». Et d’ajouter : son article 4 « vise à faire taire en prévision d’une future pandémie et à conforter l’industrie pharmaceutique ».
De retour sur les bancs de l’Assemblée, l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran avait lui aussi donné de sa personne dans une tirade prenant directement à parti le Pr Didier Raoult, ancien directeur de l’IHU de Marseille. « Avant de venir, j’ai cherché sur Google, j’ai tapé par exemple “gourou” et “Raoult“, et j’ai trouvé plus de réponses qu’en tapant “science” et “Le Pen”. Pendant la pandémie, il y a eu d’un côté nos blouses blanches […] et puis il y a eu Didier Raoult. Les premiers ont gagné notre estime et notre respect. Le second a gagné de l’argent et des disciples. Est-ce que les critères de dérive sectaire sont réunis ? A minima, il y a l’objet de débats. »
La réponse, cinglante, de Marine Le Pen ne s’était pas faite attendre : « Pardon, mais s’il y a bien une personne aujourd’hui qui ne devait pas prendre la parole, c’est M. Véran, qui a dit tout et l’inverse de tout pendant la crise du Covid », a lancé l’ex-candidate à la présidentielle. Développant ensuite : « Il a osé parler de M. Raoult. Alors on va parler du professeur Raoult, parce que c’est un sujet fondamental. Mais dites-moi, il n’y a pas quelques ministres qui ont été soignés par le docteur Raoult ? Il n’y a pas un président de la République qui est allé pour rendre hommage au professeur Raoult ? Et maintenant, vous le traînez dans la boue. »
À qui faisait-elle référence ? À Sabrina Agresti-Roubache, celle-là même chargée de porter le texte au Parlement en tant que secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté. La ministre originaire de Marseille avait été soignée à l’IHU pour une forme grave de Covid-19 en mars 2020. L’ancienne productrice de télévision est même présentée comme la femme derrière la rencontre, trois semaines plus tard, entre Emmanuel Macron et Didier Raoult. En mai 2020, elle déclarait sur BFM TV à propos de l’infectiologue : « Sur la méthode, le Pr Raoult ne s’est pas trompé ». Disant en parler avec son « amie » Brigitte Macron, Mme Agresti-Roubache affirmait sans détours : « On a été formidablement pris en charge par les services de Didier Raoult à l’IHU. Plutôt que de vous dire ‘vous prenez un Doliprane et vous rentrez à la maison’, je racontais à Brigitte que ça avait été formidable parce qu’on te proposait une molécule que l’on connaît ».
L’ensemble du projet de loi a finalement été voté par 151 voix contre 73. Suite à l’échec de la Commission mixte paritaire le 7 mars durant laquelle les tractations entre LR et majorité présidentielle ont tourné court après seulement 45 minutes à cause de l’article 4, le Palais Bourbon l’a de nouveau rétablie le 20 mars, puis adopté par 93 voix “pour“ et 73 voix “contre“ : cette disposition a été « sauvée par l’absentéisme de la gauche », selon les termes du député Philippe Schreck (RN). C’est à cette occasion que le montant de la sanction financière a été rehaussé de 15.000 euros à 30.000 euros.
Si l’article 4 est à nouveau voté par l’Assemblée nationale en seconde lecture, seul le Conseil constitutionnel pourra alors le retoquer. En cas de promulgation, il resterait alors la possibilité de recourir à une question prioritaire de constitutionnalité, bien que cette procédure demande au préalable l’existence d’un litige devant un tribunal de l’ordre judiciaire ou administratif.
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