Entre deux rangs de cabernet sauvignon, les plants d’oliviers s’enracinent : à Courpiac (Gironde), dans l’Entre-deux-mers, un viticulteur a choisi de varier ses sources de revenus, symbole d’un terroir bordelais poussé à se diversifier sur fond de surproduction.
Sur une parcelle bordée de ceps qui bourgeonnent, Thomas Solans profite d’une fraîche matinée de printemps pour planter une variété d’oliviers importée du Portugal et habituée aux climats océaniques.
« Nous prendre pour des fous »
« Ici, avant, il y avait de la vigne. On l’a arrachée pour faire ce carré et voir si ça marche », sourit le vigneron de 38 ans en fichant des piquets en terre pour aligner ses arbustes. S’il a choisi d’élargir sa palette, c’est notamment pour être moins dépendant du marché viticole bordelais, en plein marasme. « Des crises, on en reverra d’autres », explique-t-il à l’AFP. Planter des oliviers, « c’est essayer d’anticiper », même si « les gens vont nous prendre pour des fous ».
La polyculture était de mise en Gironde jusque dans les années 1980, avant que l’essor du vin et la spéculation foncière n’évincent certaines productions. En 2021, 85% des exploitants agricoles du département étaient des viticulteurs, une proportion bien plus élevée qu’au niveau national. Désormais, le premier vignoble AOC de France avec 110.000 hectares est en souffrance : surproduction évaluée à un million d’hectolitres, effondrement des prix pour les appellations les moins prestigieuses… En janvier, plus d’un vigneron sur trois se déclarait en difficulté auprès de la Chambre d’agriculture.
Des fonds pour se diversifier
En réponse, l’État et l’interprofession ont annoncé un plan de distillation des excédents et une campagne d’arrachage « sanitaire » de quelque 10.000 hectares, à hauteur de 57 millions d’euros… sans désarmer la contestation de certains producteurs, réunis au sein du collectif Viti33, pour qui ce n’est pas suffisant. La région Nouvelle-Aquitaine, elle, compte investir 10 millions d’euros de fonds régionaux et européens pour aider « au moins 300 viticulteurs » à se diversifier, soit en moyenne 25.000 à 35.000 euros par exploitation… à condition d’arracher au moins trois hectares.
Outre l’olivier, la Chambre d’agriculture évoque d’autres pistes : forêt, prairies de fourrage, kiwi, chanvre, tabac, houblon, noisette, raisin de table, canards, agneaux de Pauillac, bovins, œnotourisme, énergies renouvelables… L’ « important, c’est de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, du fait des aléas climatiques et surtout économiques », résume Philippe Abadie, directeur du pôle entreprises à la Chambre d’agriculture, qu’une centaine de viticulteurs ont déjà sollicitée. À la Région, on vise une cinquantaine de « pionniers » d’ici 2024. Le montant des investissements nécessaires (50.000 à 80.000 euros par hectare pour le kiwi, par exemple), comme l’âge et la situation financière des vignerons, restent cependant des freins à cette réorientation.
Rendez-vous en 2050
« J’ai 54 ans, je ne vais pas me lancer dans une autre production », confirme Romain Loustal, vigneron qui produit aussi des céréales, après avoir assisté fin mars à l’une des « Rencontres de la diversification », organisée par la Chambre d’agriculture à Sauveterre-de-Guyenne. « Si j’avais 30 ans, je me reconvertirais volontiers, par exemple dans le noyer », estime ce viticulteur qui a deux filles et peu de perspectives de reprise de son exploitation.
Dans la lignée de son père, Thomas Solans dispose, lui, d’une exploitation déjà diversifiée : 41 hectares de vignes (80% de ses revenus), mais aussi des prairies, une quarantaine de bovins, quelques chênes truffiers… et désormais les oliviers. « La monoculture n’est pas forcément saine », juge-t-il. « On refait ce que faisaient les anciens. » Mais pour lui, l’olivier est avant tout une « expérimentation », pas une « industrialisation » : il vise 150 arbres et 2 hectares maximum.
Avec un investissement moyen de 13.000 à 15.000 euro/ha et des oliviers matures en quatre à cinq ans, il faut miser sur une production haut de gamme, à 15-20 euros le litre d’huile, pour être rentable, calcule-t-il. Quant à savoir si l’olivier, plante méditerranéenne par excellence, peut prospérer plus au nord, le vigneron ne s’attend pas, pour l’heure, à des rendements « assurés tous les ans », rappelant le cas de l’année 2021 très humide. « C’est un peu tôt pour se dire : on met des oliviers à cause du changement climatique. Mais à l’horizon 2050, oui, peut-être. »
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