Développer la culture du vélo à Parc-Extension

juin 7, 2017 4:21, Last Updated: juin 7, 2017 13:07
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« Culturellement, il y a plusieurs façons de voir le vélo », explique Antoine Gauthier-Grégoire, mécanicien et adjoint à la coordination à l’atelier Culture Vélo à Parc-Extension. Certains roulent pour tenir la forme. Pour d’autres, c’est un moyen de transport écologique et rapide, ou un véhicule dont on se résigne à peu de frais…

Or, pour plusieurs immigrants du quartier Parc-Extension à Montréal, enfourcher un vélo est un acte hautement courageux : « En général, les gens nous disent : “je n’ai jamais eu de vélo, mes parents n’avaient pas de vélo, ils ne savaient pas eux-mêmes faire du vélo donc je n’ai jamais appris” », explique Noémie Ashby, coordonnatrice du programme Quartier 21 visant à favoriser les transports actifs à Parc-Extension.

Né de ce programme, le projet Culture vélo a d’abord offert aux résidents du quartier des cours de vélos ainsi que des services itinérants de réparation et de vente avant de s’installer définitivement dans un atelier au parc Jarry, conçu de manière originale à partir de deux conteneurs maritimes. « C’est une excellente initiative, surtout pour les nouveaux arrivants dont les parents ne pratiquent pas le sport », souligne Mme Mary Deros, conseillère du district de Parc-Extension.

L’atelier permanent de Culture vélo se trouve au parc Jarry et prend la forme de deux conteneurs maritimes convertis en atelier de réparation de vélos. (Frédérique Binette/Epoch Times)

En particulier, pour certaines femmes, le vélo suscite la curiosité : « Ce sont surtout elles qui viennent nous voir pour avoir des cours de vélo. Elles peuvent avoir 16 ans, d’autres peuvent être dans la trentaine ou la quarantaine. […] Nous, notre principe, c’est de donner accès à la pratique du vélo à tout le monde, peu importe où ils en sont dans leur cheminement, leur expérience », poursuit Mme Ashby. « Pour les jeunes, ce n’est pas tellement problématique, c’est comme apprendre à marcher, à écrire, à nager, ça se fait assez rapidement. Mais pour les adultes, c’est tout un apprentissage ! On a évalué que ça prend environ cinq cours d’une heure pour apprendre la bicyclette », explique M. Racine, directeur de Vrac environnement.

Si l’école forge l’esprit, le sport donne aussi ses leçons, et peut-être encore davantage dans le cadre de projet collectif ou de voyage : « J’ai enseigné, entre autres, à des jeunes filles qui n’avaient jamais fait de vélo. Il y en a une, en particulier, à qui j’ai enseigné à partir de rien, puis elle a fait un voyage de 2000 km avec nous la première année. C’était vraiment impressionnant ! », explique Mme Ashby. « À travers les voyages de vélos qu’on a offerts aux jeunes [en collaboration avec] un organisme partenaire, ils sont appelés à organiser les repas ou le site de camping par exemple. Alors ils développent beaucoup leur leadership », explique Mme Ashby.

Plus de cyclistes

« Dans le passé, dans le quartier, on ne voyait pas tant de gens qui utilisaient la bicyclette », exprime Mme Deros. En effet, les cyclistes à Parc-Extension sont proportionnellement moins nombreux que dans le reste de Montréal, mais leur nombre ne cesse d’augmenter ces dernières années.

Je l’ai bien vu, entre le début et la fin de l’année scolaire, ils ont vraiment acquis une plus grande confiance en eux.

– Noémie Ashby, coordonnatrice du programme Quartier 21 à Parc-Extension

Selon Statistiques Canada, 8,1 % des résidents de Parc-Extension utilisaient les modes de transports actifs pour se rendre au travail en 2001 (c. 11,7 % à Montréal). Toutefois, l’utilisation de la bicyclette a connu une augmentation de 7,1 % depuis 2006 et de 650 % depuis 2001 le nombre de cyclistes passant de 20 à 150 dans le quartier. Les données du recensement 2016, disponibles sous peu, témoigneront sans doute d’une tendance encore plus marquée !

Sécuriser les déplacements

Or, à Parc-Extension comme dans d’autres quartiers de Montréal, l’adversité réside aussi dans les infrastructures. Certains secteurs du quartier sont réellement dangereux pour les piétons et les cyclistes. « Les gens ont peur de rouler dans les rues parce que les voitures roulent vite et proche », soutient Mme Ashby.

En effet, ce petit quartier densément peuplé est scellé par des voies de circulation et de transit majeures (l’autoroute métropolitaine au nord, le boulevard de l’Acadie à l’ouest et deux chemins de fer au sud et à l’est) qui confinent ses habitants à leur solitude. « On s’est aperçu que les jeunes, et surtout les femmes qui ne travaillent pas, ne sortent pas vraiment du quartier. Quand elles sortent, c’est pour aller voir leur famille… mais à l’extérieur du pays ! », explique M. Racine. « Elles ont un peu peur de l’inconnu, de ce qu’il y a à l’extérieur. Sortir du quartier n’est pas évident non plus. Les viaducs sont perçus comme dangereux », poursuit Mme Ashby.

Mme Chloé Goeffroy, conseillère en aménagement au programme Tandem de l’arrondissement VilleraySaint-MichelParc-Extension abonde dans le même sens : « En priorité [il faudrait] sécuriser les viaducs et plusieurs intersections. Ce n’est pas le quartier le plus dangereux où circuler à bicyclette dans l’arrondissement – le quartier Saint-Michel l’est davantage , mais il y a certainement des améliorations à apporter à Parc-Extension. »

Voyage à vélo de deux semaines offert à dix jeunes de l’école secondaire Lucien-Pagé et à dix jeunes de l’Alberta. La première semaine se déroule au Québec, en Montérégie, et la deuxième se déroule en Alberta. (Vrac environnement, 2015)

Le quartier a changé ces dernières années. L’Université de Montréal a notamment aménagé un campus dans le secteur revitalisé de l’ancienne gare de triage, ce qui a amené bon nombre d’étudiants et de travailleurs à l’intersection de l’avenue du Parc et de la rue Jean Talon.

« C’est un coin dangereux. On est en train d’étudier ça pour trouver le meilleur moyen de rendre l’intersection sécuritaire pour nos piétons et fluide pour les voitures, pour que l’un n’empêche pas l’autre », explique Mme Deros. La difficulté réside, entre autres, dans le fait que les grandes artères relèvent de la juridiction de la ville centre alors que les rues secondaires relèvent de la juridiction de l’arrondissement, affirme Mme Goeffroy.

Pas plus d’accidents

Selon les données transmises par le poste de quartier 33 du Service de Police de la Ville de Montréal, de 2012 à 2016, le nombre de collisions impliquant un cycliste à Parc-Extension est relativement stable et s’élève en moyenne à six collisions par année – variant d’un minimum de 3 collisions en 2013 à un maximum de 9 collisions en 2014. Au cours de cette période, à l’exception d’une blessure grave, toutes les autres blessures ont été légères et aucune n’a été mortelle.

Bien que le nombre de cyclistes ait beaucoup augmenté dans le quartier, le nombre de collisions, lui, ne semble donc pas connaître une croissance importante. Ce phénomène connu sous le nom de Safety in Numbers est observé dans toutes les villes où le nombre de cyclistes augmente : plus ils sont nombreux, plus ils sont en sécurité ! Les autres usagers de la route s’habituent à leur présence et développent des réflexes pour mieux cohabiter.

En plus des aménagements sécuritaires, Mme  Deros met l’accent sur les responsabilités individuelles : « Il faut la cohabitation de tout le monde, que chacun ait des droits et des responsabilités et respecte la signalisation. On encourage les gens à traverser aux intersections. C’est mieux d’être quelques minutes en retard que d’être blessé, frappé et que ça change votre vie. »

Lutte au décrochage scolaire

À Culture Vélo, toutes les facettes du projet sont ficelées de manière à ce qu’il puisse répondre au mieux aux besoins en transports actifs dans le quartier et offrir une mission d’économie sociale.

Ainsi, Culture vélo offre un service de réparation et de mécanique vélo par des jeunes de l’école secondaire Lucien-Pagé dans le cadre d’une formation à un métier semi-spécialisé de 375 heures, un programme d’alternance études-travail qui offre l’exploration du monde du travail tout en permettant de terminer un premier cycle du secondaire. Une fois le stage terminé, ils ont la possibilité de travailler à temps partiel à l’atelier au cours de l’été.

Kiosque de réparations de vélos offert sur la terrasse du complexe William-Hingston à la communauté de Parc-Extension. (Vrac environnement, 2015)

L’initiative est saluée dans un contexte où le taux de sorties sans diplôme ni qualification dans cette école, fréquentée par la moitié des jeunes de Parc-Extension, était de 49,2 % en 2012-2013 (c. 20,8 % pour le réseau scolaire public montréalais) selon le Réseau réussite Montréal. Pour plusieurs, le stage se poursuit sous forme d’emploi rémunéré à temps partiel pendant l’été : « L’emploi à l’atelier Culture vélo, c’est un tremplin, un premier vrai emploi sur le marché du travail », explique Mme Ashby.

D’ailleurs, à travers le stage, les jeunes acquièrent des aptitudes personnelles et des habiletés qui leur serviront plus tard : « Au début de l’année, ce n’est vraiment pas évident. Il faut garder la motivation des jeunes, les stimuler, les mettre dans l’action. […] Mais je l’ai bien vu, entre le début et la fin de l’année scolaire, ils ont vraiment acquis une plus grande confiance en eux et, une fois engagés, ils prennent au sérieux cet emploi », explique Mme Ashby. « Puis, ils sont en contact avec des clients, ils doivent répondre à leurs questions, être amicaux, expliquer les réparations faites sur leur vélo. Donc, ils développent leur sens des responsabilités et leur professionnalisme », relate Mme Ashby.

« Le fait de réaliser [tout ce parcours], de faire les voyages à vélo, de réussir le stage et d’être engagés l’été à l’atelier Culture vélo, oui, c’est sûr, ça augmente leur estime et leur confiance », poursuit la jeune femme.

Des services abordables

Le défi d’instaurer la pratique de vélo à Parc-Extension réside aussi dans son accessibilité économique. En effet, après avoir payé les impôts, plus de quatre familles sur dix (43,5 %) vivaient avec un faible revenu en 2011, selon Statistiques Canada.

C’est ainsi que la tarification a été adaptée de manière à inclure tout le monde : « La tarification du service de mécanique vélo et de libre-service est en escalier. Le défi, c’est qu’il doit y avoir autant de gens qui viennent de Villeray et de ville Mont-Royal des gens plus aisés qui soutiennent le projet en ayant nos services à tarif un peu plus élevé que les clients de Parc-Extension qui bénéficient du même service, mais à plus bas prix. C’est un équilibre qu’il faut atteindre », explique M. Racine.

Une transition

Alors qu’au cours des dernières décennies, la ville a été aménagée de manière à accorder la première place à la voiture, aujourd’hui un changement de paradigme s’opère graduellement dans l’administration municipale pour sécuriser les transports à pied et à bicyclette.

« Dans les derniers trois ans, à cause de l’augmentation des cyclistes dans le quartier, on a peinturé des pistes cyclables dans les axes est-ouest et nord-sud, beaucoup d’argent a été dépensé pour les BIXI, nous avons plus de stations. On essaie d’améliorer les trottoirs, d’élargir les saillies, de mettre des bancs pour que ce soit plus convivial », relève Mme Deros.

« On voit qu’il y a un changement qui s’opère. […] On a beaucoup sensibilisé les élus et même les fonctionnaires. On les a invités à des séminaires de mise à niveau sur l’aménagement, sur comment développer la ville en priorisant les piétons et les cyclistes. Même le discours des élus a changé. Il y a un support depuis deux ou trois ans pour faire que Culture vélo prenne plus d’importance. Même que dernièrement au conseil d’arrondissement, l’atelier Culture vélo, c’était rendu LEUR projet ! », fait remarquer avec un sourire en coin M. Racine.

Toutefois, ce dernier reste prudent : « Tout le monde trippe sur le projet, mais [d’un autre côté], je ne veux pas que ce soit un feu de paille. Il faut garder en tête qu’on a toujours besoin d’appui et que tout ça, c’est aussi un tremplin pour des jeunes, une première expérience de travail. Donc, ce n’est pas à négliger », conclut-il.

*** VOX POP ***



Nils Henner

Coordonnateur de Culture Vélo

Avant tout, pour moi, rendre le vélo accessible à tous c’est l’avenir dans les villes.

Nils Henner, coordonnateur de Culture Vélo (Frédérique Binette/Epoch Times)

Ce projet est une forme de valorisation pour nos stagiaires d’apprendre une compétence qui va pouvoir, si ce n’est pas leur donner une chance sur le marché du travail, leur donner confiance [en eux]. Ils sentent qu’ils sont capables de faire des choses, ils rendent service à la communauté, enseignent à d’autres jeunes la mécanique vélo. C’est très valorisant.

[Et, pour moi, en tant que coordonnateur] ça me rend heureux de les voir se débrouiller, avoir des difficultés, les surmonter et avancer !

 

 
Hakim Samuel Pachès, stagiaire FMS (Frédérique Binette/Epoch Times)



Hakim Samuel Pachès

Stagiaire FMS

Dans ma classe, on a un arrangement et tous les mardis et jeudis on fait un stage. Au début, je ne savais pas du tout quoi faire. Culture vélo est venu faire une présentation en classe et je me suis dit que j’allais essayer. Ça peut être pratique de réparer son vélo soi-même. […] Cet été, je vais travailler [pour Culture vélo] ; l’année prochaine, je veux faire d’autres stages pour avoir une bonne idée vers quelles sphères je veux m’orienter pour plus tard.

 



Lorenzo Osorio

Stagiaire FMS
Lorenzo Osorio, stagiaire FMS (Frédérique Binette/Epoch Times)

[Dans ce stage,] on nous prépare à aller dans le monde du travail, on nous montre les valeurs qu’il faut avoir, toutes les choses sont importantes dans un emploi.

J’aime vraiment réparer des choses, j’aimais beaucoup les autos quand j’étais petit. Je suis très manuel.

Au début de l’année, on [nous] fait beaucoup de donations de vélos. On les répare un par un, on doit voir qu’est-ce qu’ils ont, faire des mises au point.

J’aime vraiment tout [du stage] : j’aime l’endroit, l’atelier, je n’ai pas de problème avec rien.

 



James Celoy

Stagiaire FMS
James Celoy, stagiaire FMS (Frédérique Binette/Epoch Times)

Grâce au stage, j’ai appris beaucoup de choses. Même, j’ai pu réparer des vélos dans ma famille, comme le mien et celui de mon père. Je trouve que c’est bien ce programme.

J’aime faire du vélo, c’est un de mes sports préférés depuis que je suis petit. Des fois, je pédale d’Ahuntsic jusqu’à Berri-UQAM. À la fin de notre stage, on va faire un voyage à Oka et ça m’intéresse beaucoup.

[J’ai choisi Culture vélo] parce que j’aime beaucoup les choses qui ont des roues comme les voitures, les vélos. Alors je me suis dit que si je faisais un programme en vélo, ça allait beaucoup m’aider.

Je me rappelle qu’un jour on faisait une vente de vélos à l’école, j’ai vendu deux ou trois vélos. Grâce à ça, j’ai acquis des habiletés, [comme par exemple, de savoir] comment m’adresser aux gens.

 



Jonas Flores


Stagiaire FMS
Jonas Flores, stagiaire FMS (Frédérique Binette/Epoch Times)

J’ai choisi ce stage parce que, quand j’étais petit, je réparais des vélos quand je n’avais rien à faire, puis ça m’a aidé. Ce stage m’a intéressé alors je l’ai fait.

J’ai appris plein de choses que je ne connaissais pas avant, comme le nom [des pièces] du vélo. J’ai appris qu’en répétant toujours les mêmes choses, peu à peu on s’améliore dans la réparation du vélo et après on va devenir professionnel. [J’ai appris à] toujours arriver à l’heure, à écouter ce que le boss dit de faire, à respecter les règles.

 

 

Antoine Gauthier-Grégoire

Mécanicien et adjoint à la coordination

Antoine Gauthier-Grégoire, mécanicien et adjoint à la coordination (Frédérique Binette/Epoch Times)

J’ai un intérêt [à la fois] pour la mécanique vélo et pour l’égalité et la justice sociale, donc de lier les deux ensemble c’était pour moi un emploi de rêve.

[Ce qui me touche particulièrement] c’est le fait que les gens moins privilégiés puissent quand même faire du vélo, avoir accès à un service de réparation, que le vélo ne soit pas juste un sport ou un moyen de transport réservé aux gens privilégiés.

Je pense qu’on répond bien aux besoins de la communauté, mais on a du travail à faire pour aller rejoindre la population locale, qu’elle se sente à sa place dans notre atelier. On est dans des conteneurs, c’est comme une boîte un peu fermée, il faut entrer dedans, et parfois il y a aussi la barrière des langues. Je voudrais que les gens se sentent à l’aise dans notre espace.

 

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