Le chroniqueur Nick Cohen du journal britannique de gauche The Observer a été suspendu par ce journal le temps d’une enquête sur son mauvais comportement présumé.
Les détails de son « mauvais comportement » n’ont pas été révélés, mais il est peu probable qu’il soit simplement lié aux questions de finances. Je ne sais rien sur Cohen, que ce soit en sa faveur ou en sa défaveur, si ce n’est qu’il a osé critiquer la cancel culture (culture de l’annulation) – la cancel culture qui prévoit que ceux qui doutent qu’une femme transgenre est une femme comme une autre doivent être relégués dans un trou noir moral d’où ils ne sortiront jamais, du moins pas sans se soumettre à l’autohumiliation à grande échelle.
Je n’ai aucune idée si les allégations contre Cohen sont vraies ou fausses, sérieuses ou futiles, mais je soupçonne qu’elles n’auraient peut-être pas été faites s’il n’avait pas écrit contre l’un des dogmes les plus sacrés de notre époque. Il semble qu’il peut y avoir hérésie en l’absence de religion. Les dogmes peuvent bel et bien être laïques, tandis que la recherche de l’hérésie est l’un des passe-temps intellectuels les plus appréciés.
Le journaliste a certainement des ennemis, parmi lesquels l’éminent avocat Jolyon Maugham qui a tweeté au sujet de Nick Cohen : « Je serais très heureux d’entendre les femmes qui ont travaillé avec Nick dire s’il est oui ou non la meilleure personne qu’elles choisiraient pour le respect des droits des femmes sur le lieu de travail. »
En d’autres termes, Me Maugham a appelé à des dénonciations, vraies ou fausses, personnalisées ou anonymes, afin de détruire la réputation et la carrière de quelqu’un dont il désapprouve les opinions. Et il serait « très heureux » de le faire. Peut-être, par la suite, il va chanter et danser de joie.
Je ne sais pas si M. Cohen est un saint ou un monstre de dépravation, mais une culture de la dénonciation est un pas important vers le totalitarisme. L’habitude de dénoncer a servi d’arme puissante dans les mains de tout dictateur totalitaire.
En Union soviétique, par exemple, l’histoire de petit Pavlik Morozov a été utilisée pour inculquer aux enfants l’habitude de la dénonciation en tant que devoir social. Selon la légende, probablement montée de toutes pièces par la propagande soviétique, ce jeune membre des Pionniers (jeunesse communiste) n’a pas hésité à dénoncer à la police secrète son propre père comme un paysan qui s’opposait à la collectivisation forcée et à la réquisition des céréales par l’État. Par la suite, le jeune Pavlik a été assassiné par les membres de sa famille et a été « martyrisé » pour sa véracité.
Des monuments ont été érigés à sa mémoire à travers l’URSS et les enfants soviétiques ont été encouragés à imiter « l’adorable » petit Pavlik en dénonçant tous ceux qui les entouraient. À l’école, on trouvait des affiches avec des histoires d’enfants « héroïques » qui avaient dénoncé leurs camarades pour telle ou telle « mauvaise » chose. C’était la version soviétique de la vérité.
Nous ne devrions pas penser avec complaisance que cela ne pourrait pas se produire chez nous, où que ce soit. Par exemple, en Grande-Bretagne, qui a récemment souffert d’une pénurie d’eau en raison d’un temps très chaud, les habitants de certaines régions se sont vu interdire l’utilisation de tuyaux d’arrosage pour arroser leur jardin. En même temps, ils ont été encouragés à dénoncer aux autorités les voisins ou autres personnes qui enfreignaient cette interdiction.
On peut entendre pas mal d’arguments en faveur de telles dénonciations. En particulier, qu’il est juste que tout le monde partage les difficultés causées par la pénurie d’eau. Et pour qui se prennent certains qui ne respectent pas les règlements alors que la plupart le font, pourquoi ne sont-ils pas obligés d’obéir ? De plus, nous vivons à une époque où, lorsque vous abordez directement une telle personne, elle risque de devenir furieuse et violente. Alors, il est plus sûr d’appeler les autorités et de les laisser s’en occuper.
Ce genre d’arguments oublient à quel point la culture de la dénonciation peut facilement s’installer et conduire à une société dans laquelle tout le monde a peur de tout le monde. On oublie que beaucoup de gens trouvent un certain plaisir de faire du mal aux autres au nom du bien de la société. C’était la justification de la dénonciation dans l’Allemagne nazie, la Russie soviétique et la Chine maoïste, ainsi que dans d’autres pays soumis au règne d’un régime totalitaire. Jolyon Maugham – qui a sollicité des dénonciations de Nick Cohen – a témoigné, peut-être sans le vouloir, du plaisir que lui apporteraient les conséquences de chacune des multiples dénonciations qu’il avait suggérées.
C’est vraiment dégoûtant, mais cela permet de nous rappeler que le totalitarisme n’est pas tombé du ciel, mais qu’il a pris naissance dans le cœur de l’homme et qu’aucune société ne peut être à l’abri des tentations totalitaires. Le totalitarisme a ses plaisirs, dont le principal est de faire du mal aux autres, malgré le fait que le dénonciateur d’aujourd’hui peut bien devenir le dénoncé de demain.
La montée des luttes idéologiques entraîne inévitablement la tentation de la dénonciation. On peut penser que si quelqu’un n’est pas d’accord avec vous, alors il n’est pas simplement dans l’erreur, mais qu’il est méchant ou même maléfique et qu’il n’y a plus de raison d’argumenter. Il faudrait plutôt le dénoncer, le signaler comme un ennemi du peuple à être exilé ou à être excommunié de la société décente, ou de le punir autrement.
Notre société, comme nous l’a montré Me Maugham, semble aller dans cette direction. Si c’est le cas, on verra clairement quelle idéologie nous est imposée, éventuellement par la force, et qui dénonce qui. Aucun d’entre nous ne sera en sécurité, du moins pas pour longtemps, et nous ne ferons même pas confiance aux autres membres de notre propre foyer. La seule façon d’être en sécurité sera d’exercer un pouvoir absolu – ce qui est non seulement très difficile, mais aussi possible seulement pour une personne, donc il est peu probable que nous le soyons un jour. Ainsi, nous devrions combattre la tendance totalitaire en nous-mêmes.
Theodore Dalrymple est un médecin à la retraite. Il est rédacteur en chef adjoint du City Journal de New York et auteur de 30 livres, dont Life at the Bottom. Son dernier livre est Embargo and Other Stories.
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