ENTRETIEN – Edoardo Secchi est entrepreneur, investisseur, conseiller économique, Président fondateur d’Italy-France Group et fondateur du club Italie-France. Pour Epoch Times, il livre son regard sur la situation économique en Italie.
Epoch Times : Où en est l’Italie sur le plan économique depuis l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni ? Se porte-t-elle mieux ? L’Italie a longtemps été qualifiée d’« homme malade de l’Europe ».
Edoardo Secchi : Oui, l’expression « homme malade » a été souvent utilisée par des journalistes peu informés sur la situation politique et économique italienne. Je note qu’aujourd’hui, on l’utilise pour parler de l’Allemagne, qui connaît une récession importante, ou encore de la France.
Maintenant, je dirais que grâce à Giorgia Meloni, mais surtout aux réformes menées par son prédécesseur, Mario Draghi, l’Italie se porte mieux.
Mais la politique n’est pas représentative de l’état de l’économie transalpine. Même si elle augmente moins vite que celle de la France et que nous sommes repassés sous la barre des 3000 milliards, la dette publique reste très élevée (2800 milliards d’euros). Cependant, fait très important, Rome a renoué cette année avec la croissance ! Du jamais vu depuis 16 ans !
Une attente longue qui s’explique notamment par un facteur qui n’est jamais pris en compte par les journalistes et économistes : la diaspora italienne. C’est-à-dire qu’il y a environ 6 millions d’Italiens hautement diplômés qui ont quitté le pays pour occuper des places importantes au sein des multinationales. C’est une fuite des cerveaux qui a eu un impact important sur l’économie italienne et plus précisément sur la compétitivité et la croissance.
Par conséquent, le défi le plus important pour la croissance italienne à l’heure actuelle, c’est le manque de jeunes qualifiés. L’Italie subit depuis de nombreuses années une immigration de gens peu qualifiés, sans compétences, et de l’autre côté, encore une fois, des Italiens hautement préparés partent travailler en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, aux États-Unis, et surtout en Chine.
Quelles réformes sont prévues par la présidente du Conseil des ministres pour améliorer la situation ?
La semaine dernière, un décret sur le budget a été adopté, un peu comme le projet de loi de finances examiné en ce moment par les parlementaires en France. Mais ce décret s’inscrit dans la continuité des coupes dans la dépense publique déjà entamées depuis des années, plutôt que dans des politiques nouvelles d’investissements.
Vous savez, avec le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui oblige les États européens à maintenir leur déficit en dessous de 3 % du PIB, et leur dette publique à un niveau inférieur ou égal à 60 % de leur PIB, l’Italie ne peut pas faire autrement. Je rappelle que le déficit de l’Italie a atteint 7,4 % du PIB, et que la dette continue de se creuser. Je pense également qu’il va y avoir, comme en France, des hausses d’impôts.
Dans un article publié dans la revue Conflits, vous écrivez justement que l’Italie est devenue le quatrième exportateur mondial devant le Japon, et derrière la Chine, les États-Unis et l’Allemagne. Quels sont les secteurs les plus dynamiques ?
En Italie, il y a ce qu’on appelle les « sept magnifiques » même si, en réalité, il y en a 8 : le secteur de la mécanique de précision, c’est-à-dire tout ce qui dérive des machines d’appareils dans l’industrie. Nous avons des leaders mondiaux en la matière qui représentent 250 milliards d’euros d’exportations.
Ensuite, vous avez les secteurs de la gastronomie, du design, pharmaceutique, de la mode et de la production des produits de luxe qui sont aussi très dynamiques. Aujourd’hui, 80 % du luxe mondial est produit en Italie. La « Botte » a su garder une forme de souveraineté d’excellence dans le textile et le luxe. Pour cette raison, les grands groupes comme LVMH, Kering ou encore Chanel produisent en Italie.
La dette publique italienne a presque atteint le niveau de celle de la France, les impôts sont élevés et la bureaucratie est lourde. Peut-on dire que Rome et Paris font face aux mêmes problèmes ?
Oui c’est exactement ça. Je dis souvent que nos pays ont du mal à se réformer…
Cela étant, même si les dettes publiques française et italienne sont très élevées, je ne crois pas qu’elles constituent en elles-mêmes la seule menace pour les années à venir. Je peux vous assurer que ni la France ni l’Italie sont en faillite. Tous ceux qui disent l’inverse cherchent simplement à faire couler de l’encre. Cependant, Rome et Paris font quand même face à des problèmes structurels complètement différents : l’Italie a une balance commerciale excédentaire de 100 milliards d’euros. Ce qui n’est pas le cas de la France.
En outre, les coûts de l’énergie sont plus élevés pour les Italiens que pour les Français. Ils ont voté un référendum contre le nucléaire et maintenant ils sont totalement dépendants des importations. Mais malgré ces handicaps, l’Italie arrive à tirer son épingle du jeu et à exporter massivement. L’économie italienne a l’avantage de ne pas seulement s’être formée autour de secteurs macro-économiques porteurs. Le secteur automobile, par exemple, est très important, mais il s’est déjà spécialisé dans la production de certains objets composants, voire des produits manufacturés qui sont recherchés. C’est ça qui créé la véritable demande et fait qu’aujourd’hui les exportations progressent ! Vous savez, quand vous avez un excédent commercial, c’est parce que vous arrivez à produire et à vendre des produits que les autres ne font pas.
Pour revenir au cœur de votre question, il est intéressant de constater que la France partage, en réalité, beaucoup plus de complémentarités au niveau économique avec l’Italie qu’on ne le pense. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un grand nombre d’entreprises tricolores sont présentes en Italie. L’industrie du luxe française, par exemple, est produite en grande partie en Italie. Idem pour le secteur automobile.
La France est en avance dans le domaine bancaire plutôt que technologique. En même temps, l’Italie apporte l’industrie qui manque à l’Hexagone. Il y a des complémentarités qui sont parfaites. Même au niveau de la taille des entreprises, il y a des similitudes entre les deux pays : le modèle entrepreneurial français de la famille qui gère une SARL est très proche du modèle de société qu’on trouve en Italie, c’est-à-dire l’entreprise familiale de trois ou quatre personnes.
Je pense que le modèle italien pourrait inspirer et encourager les entreprises françaises à s’internationaliser, notamment sur le marché commun européen. Aujourd’hui, trop d’entreprises françaises sont réticentes à l’idée d’exporter au niveau européen. En Italie, les petites entreprises n’ont pas ce complexe d’infériorité par rapport à leur taille. Je connais un grand nombre d’entreprises qui n’ont l’air de rien, mais qui exportent 80 % de leur production !
Évidemment, ces petites sociétés ne peuvent pas rivaliser avec des grands groupes, mais si vous avez un produit ou un service dans lequel vous croyez, il faut foncer !
Dans la situation périlleuse dans laquelle se trouve aussi la France aujourd’hui, où la consommation est en berne à cause de l’inflation et dernièrement de la peur d’une ultérieure imposition, les entreprises devront changer de logiciel et plutôt que de se contenter du marché interne, elles doivent commencer à rentrer dans l’arène du marché international et se donner les moyens d’exporter pour s’accroître.
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