Entre l’Algérie et la France, une histoire de déshonneurs et de trahisons

Par Germain de Lupiac
13 janvier 2025 06:57 Mis à jour: 13 janvier 2025 13:43

Historiquement tumultueuses, les relations entre l’Algérie et la France se sont envenimées ces dernières semaines avec, notamment, l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et des menaces d’influenceurs algériens sur Tik Tok.

Le 10 janvier, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau affirmait que « l’Algérie cherche à humilier la France ». « En gardant notre sang froid […] on doit désormais évaluer tous les moyens qui sont à notre disposition, vis-à-vis de l’Algérie », a-t-il ajouté. L’Algérie, de son côté, accuse la France de désinformation.

Alors qu’Emmanuel Macron avait entamé à l’été 2022 un « rapprochement » avec l’Algérie sur « la question de la mémoire, du passé colonial », lié à la guerre d’indépendance qui a fait des centaines de milliers de morts et de blessés, les sujets de tensions se sont accumulés entre les deux pays, partenaires au niveau économique et sécuritaire en Afrique.

L’escalade récente entre la France et l’Algérie

« On a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant », a estimé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, après le renvoi vers Paris d’un influenceur algérien expulsé vers son pays pour propos haineux. « Je pense que la France ne peut pas supporter cette situation », a-t-il ajouté, en appelant à « évaluer tous les moyens qui sont à notre disposition vis-à-vis de l’Algérie » pour « défendre nos intérêts ».

Même écho aux Affaires étrangères, du côté de Jean-Noël Barrot qui a affirmé que la France n’aura pas « d’autre possibilité que de riposter » si « les Algériens continuent cette posture d’escalade ».  Parmi « les leviers que nous pourrions activer » figurent « les visas […], l’aide au développement », a-t-il déclaré sur la chaîne LCI, en se disant « stupéfait » que les autorités algériennes aient « refusé de reprendre un de leurs ressortissants », dont le dossier est désormais « judiciarisé » en France.

Des influenceurs algériens sortent soudainement du bois

Depuis début janvier, trois Algériens et une Franco-algérienne ont été interpellés pour avoir mis en ligne des contenus haineux envers la France, incitant notamment à « brûler vif, tuer et violer », tout en appelant à des actes violents, souvent à l’encontre des opposants au régime algérien.

« Doualemn », Algérien de 59 ans ayant 168.000 abonnés sur Tik Tok avait appelé dans une vidéo à « donner une sévère correction à un homme semblant résider en Algérie ». Pour le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, il s’agit d’un « appel à la torture » visant « un opposant au régime actuel en Algérie », ce qui a justifié le retrait de son titre de séjour et son expulsion vers Alger.

Youcef A., un Algérien de 25 ans, alias « Zazou Youssef » sur Tik Tok où il est suivi par plusieurs centaines de milliers d’abonnés, avait publié une vidéo appelant à perpétrer des attentats en France et des violences en Algérie.

Imad Ould Brahim, 31 ans, influenceur algérien connu sous le nom d’ « Imad Tintin », a été interpellé le 3 janvier à Echirolles, près de Grenoble, après avoir publié une vidéo appelant à « brûler vif, tuer et violer sur le sol français ».

Sofia Benlemmane, Franco-Algérienne d’une cinquantaine d’années qui animait des lives sur Tik Tok et Facebook, où elle est suivie par plus de 300.000 personnes, a été placée en garde à vue à Lyon pour « menaces de mort et provocation publique à la haine ».

Un phénomène « orchestré » par les autorités algériennes, accuse l’opposant algérien Chawki Benzehra, réfugié politique en France. En témoigne, dit-il, le fait que la Grande mosquée de Paris, financée par l’Algérie, « accueille aussi des influenceurs ».

L’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal

Autre sujet de tension, le sort de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, incarcéré depuis mi-novembre en Algérie pour “atteinte à la sûreté de l’État”, et qui se trouve dans une unité de soins depuis mi-décembre.

Selon le quotidien français Le Monde, Alger aurait mal pris des déclarations de M. Sansal au média français Frontières, reprenant la position du Maroc selon laquelle le territoire du pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie.

« L’Algérie que nous aimons tant et avec laquelle nous partageons tant d’enfants et tant d’histoires entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner. Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est », a déclaré Emmanuel Macron, le 6 janvier, devant les ambassadeurs français réunis à l’Élysée.

Critique du pouvoir algérien, Boualem Sansal, naturalisé français en 2024, est l’auteur de 2084: la fin du monde. Il est poursuivi en vertu de l’article 87 bis du code pénal algérien, qui sanctionne « comme acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ».

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a évoqué pour la première fois son arrestation le 29 décembre, le qualifiant d’ « imposteur » envoyé par la France.

La position de l’Algérie

L’Algérie a rejeté les accusations françaises « d’escalade » et « d’humiliation » après le renvoi vers Paris de l’influenceur algérien, dénonçant une « campagne de désinformation » à l’encontre d’Alger.

Alger accuse la France de violer « les dispositions de la Convention consulaire algéro-française » de 1974, soulignant qu’elle « n’a cru devoir informer la partie algérienne ni de l’arrestation, ni de la mise en garde à vue, ni de la détention, ni encore de l’expulsion du ressortissant en cause ».

Concernant l’écrivain Boualem Sansal, selon la diplomatie algérienne, les propos du président français “déshonorent, avant tout, celui qui a cru devoir les tenir de manière aussi désinvolte et légère », dénonçant « une immixtion éhontée et inacceptable dans une affaire interne algérienne ».

« On est face à un chef d’État français qui ne sait pas se tenir », « se laisse aller à ses émotions, ne respecte pas les formes », et un pouvoir algérien d’une « très grande sensibilité pour tout ce qui vient de l’État français », a commenté la chercheuse franco-algérienne du CNRS Karima Dirèche.

Malgré ces « escarmouches » trop régulières, la relation franco-algérienne reste toutefois « solide » au niveau économique ou sécuritaire, souligne-t-elle. Et d’ironiser : « La France-Algérie, c’est un duo qui se bat régulièrement en duel. »

Les raisons du désamour entre Paris et Alger

Selon plusieurs opposants algériens en France, les messages de menace des influenceurs algériens se sont intensifiés après que la France a changé de doctrine sur le Sahara occidental. Cette ex-colonie espagnole au statut non défini à l’ONU est le théâtre d’un conflit depuis un demi-siècle entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.

Le président Emmanuel Macron s’était aligné fin juillet sur l’Espagne et les États-Unis, estimant que l’avenir du Sahara occidental s’inscrivait « dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ce qui a causé un réchauffement avec Rabat et une crise avec Alger, qui n’entretient plus de relations diplomatiques avec son voisin depuis août 2021. Le positionnement français sur le Sahara occidental a été vécu par Alger comme « une trahison », selon Riccardo Fabiani, directeur de programme Afrique du Nord à l’ONG International Crisis Group.

Depuis 2022, Paris et Alger multiplient les efforts pour reconstruire une relation plus apaisée, en déminant progressivement les sujets de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Une commission d’historiens français et algériens a notamment été créée par les chefs des deux États la même année pour « mieux se comprendre et réconcilier les mémoires blessées », avait alors souligné l’Élysée.

Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les plaies sont encore vives de part et d’autre malgré des gestes symboliques au fil des ans de la France, qui exclut toutefois « repentance » ou « excuses ».

Le président Emmanuel Macron avait déclenché l’ire d’Alger en octobre en accusant, selon des propos rapportés par Le Monde, le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance et de la France.

Sortir des passions mémorielles

Pour entamer la désescalade, l’ancien Premier ministre français Gabriel Attal appelle à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968, pour « poser les limites et assumer le rapport de force avec l’Algérie ».

L’accord de 1968, qui confère un statut particulier aux Algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France, « est aujourd’hui devenu une filière d’immigration à part entière, permettant le regroupement familial et l’installation de personnes, sans même qu’elles aient à connaître notre langue ou montrer leur intégration », accuse Gabriel Attal. « Il rend pratiquement impossible de retirer des titres de séjour aux ressortissants algériens, même pour des motifs d’ordre public ».

Face au régime algérien qui « balaie toutes nos mains tendues et ne cesse de tester notre pays », « l’heure de la fermeté a sonné », écrit le patron de Renaissance.

« Il est temps de se débarrasser des procès en culpabilisation et de la rente mémorielle », ajoute-t-il, estimant que sa génération, qui « n’a pas vécu l’Algérie française, la guerre d’Algérie ou la décolonisation », constitue « une opportunité historique pour établir une relation normale, dépassionnée ».

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