Jugé comme une « avancée positive », l’accord entre gouvernement éthiopien et autorités rebelles de la région du Tigré devant mettre fin à deux ans de guerre, laisse cependant de nombreux problèmes en suspens, s’inquiètent les analystes.
Outre l’arrêt des combats – invérifiable, le nord de l’Ethiopie étant interdit aux journalistes – et un engagement à régler pacifiquement leurs contentieux, cet « accord pour une paix durable et une cessation immédiate des hostilités » prévoit notamment un retour de l’autorité fédérale au Tigré et un désarmement des rebelles.
Cet accord est « une lettre au Père Noël »
Mais le texte, négocié à Pretoria sous l’égide de l’Union africaine et publié par le gouvernement éthiopien, renvoie à la bonne volonté des parties le règlement d’inextricables différends et néglige ou reste vague sur d’autres, notent les analystes interrogés par l’AFP.
La question du rôle politique du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) qui dirigeait la région avant la guerre après avoir gouverné l’Ethiopie durant 27 ans, jusqu’à l’arrivée du Premier ministre Abiy Ahmed en 2018, n’a pas encore de réponse. Pas plus que celle des modalités du désarmement ou de la présence au Tigré de l’armée érythréenne qui a apporté une aide décisive à l’armée éthiopienne.
Pour Patrick Ferras, docteur en géopolitique et président de l’Association Stratégies africaines, « c’est un accord intéressant et positif car les deux parties se sont assises à la table » des négociations, même si « elles ont toutes deux les genoux à terre pour différentes raisons et sont toutes deux obligées d’avoir un accord de paix ».
Mais cet accord « est une +lettre au Père Noël+ parce qu’il est difficilement applicable », souligne-t-il: « on a l’impression que tout a été traité mais ça a été fait à la va-vite ».
« Il n’y a pas un mot sur l’Erythrée, pas plus que sur les (forces) amhara ou les Fano », milices communautaires amhara, relève notamment le chercheur.
L’accord « ne traite pas les causes sous-jacentes du conflit »
Alliées du gouvernement fédéral, les forces de la région voisine de l’Amhara et Fano occupent le « Tigré occidental » depuis deux ans. Rattachée administrativement au Tigré, cette zone fertile est revendiquée comme « terre ancestrale » par les nationalistes amhara qui en font un casus belli. Mais pour le TPLF, elle n’est pas négociable.
« Même si c’est un pas positif, l’accord est bourré de contradictions et d’opportunes omissions » et il « ne traite pas les causes sous-jacentes du conflit », constate Ben Hunter analyste Afrique à la société d’évaluation de risques Verisk Maplecroft.
Hunter pointe notamment « l’absence de plan clair pour résoudre l’occupation du Tigré occidental » et « le trou de la taille de l’Erythrée » dans le texte: le président érythréen « Issaias Afeworki n’a pas signé l’accord et a toujours des ambitions expansionnistes ».
Petrini s’interroge lui aussi sur les « garanties de sécurité offertes au TPLF », rappelant que les forces rebelles « ne déposeront pas les armes en échange de vagues promesses ».
En outre, pointe Patrick Ferras, « si on démilitarise le TPLF, il faut aussi démilitariser les milices » et « forces spéciales » dont disposent toutes les régions fédérées de l’Ethiopie, ce qui nécessite « une réforme complète du système de sécurité ».
L’accord est aussi « muet sur la question politique fondamentale: (…) le TPLF gardera-t-il son rôle de parti dirigeant »?, s’interroge M. Petrini, « le gouvernement (fédéral) l’autorisera-t-il à diriger la région et à organiser des élections? ».
La réaction de la population tigréenne : une inconnue
Patrick Ferras s’étonne du peu obtenu par les rebelles tigréens qui ont admis « des concessions pour soulager les souffrances de (leur) peuple ».
« Sur le papier, Abiy a obtenu tout ce qu’il voulait » et « il n’y a rien à l’avantage du TPLF », note le chercheur. « Comment la population tigréenne va prendre » le fait d’avoir « payé le prix fort depuis deux ans pour rien? »
« Aux yeux de la population du Tigré, le TPLF pourrait avoir perdu toute crédibilité » et les promesses de l’accord de rétablissement des services de base dont la région est privée depuis plus d’un an, pourraient s’avérer insuffisantes.
« Pour reconstruire la région et réalimenter les services – réseau électrique, d’eau potable – il va falloir six mois, un an », estime-t-il.
L’accord est aussi muet sur qui va payer, s’inquiètent MM. Ferras et Petrini. Or l’économie de l’Ethiopie est sinistrée et l’UA n’a pas de moyens.
« Je suis pessimiste », avoue Patrick Ferras, « il est possible que les deux parties aient signé l’accord de paix pour faire plaisir à la communauté internationale et à l’UA en sachant qu’il n’ira pas jusqu’au bout ».
Pour l’UA, « superviser cet accord pourrait bien s’avérer un calice empoisonné », avance Ben Hunter.
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