La vilaine énergie nucléaire que le président François Hollande voulait rabougrir dans le mix énergétique français s’est aujourd’hui transformée en bonne fée de l’autonomie énergétique française. Des réacteurs EPR ? Il y en aura entre 6 et 14, et l’Europe n’a qu’à bien se tenir car la France ne reculera pas, indique avec un ton quasi-martial le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. « Tous ceux qui pensent qu’ils pourraient faire reculer la France sur l’énergie nucléaire par quelque moyen que ce soit se trompent lourdement, nous ne céderons jamais sur l’indépendance de la France», a-t-il indiqué le 8 juin. Si elle ne recule pas, elle pourrait cependant ne pas avancer beaucoup.
Notre pays est en manque critique d’ingénieurs et techniciens capables de construire et sécuriser ces engins de haute technologie. En cause, canarde l’ancien PDG d’EDF Henri Proglio, « la baisse des efforts de recherche, le désalignement des stratégies des entreprises dépendant de l’État, AREVA, CEA et EDF mus par des courants divergents, avec comme corollaire l’affaiblissement global du système et les difficultés de recrutement qu’on a connu dans ce paysage où le nucléaire était considéré comme infâme et sans avenir. »
Pour ceux ou celles qui ne croiraient pas que l’histoire est un phénomène cyclique, une plongée dans le rapport de la Cour des comptes sur le désastre financier du chantier EPR de Flamanville permet de visualiser une grande partie des facteurs de risque qui s’amoncèlent aujourd’hui encore sur le chemin de la filière nucléaire. Tout commence aujourd’hui, comme à l’époque du lancement du premier EPR, par des annonces publiques fortes cultivant l’image d’un exécutif stratège et volontaire. Puis, conséquence du premier, des objectifs posés sans considération de leur faisabilité réelle.
Pour Flamanville par exemple, les délais de construction annoncés étaient 2 fois inférieur au temps moyen de construction d’une centrale. Ensuite, d’inépuisables querelles de chefs ont eu des conséquences mesurables en milliards d’euros gaspillés. Henri Proglio est inépuisable sur le sujet quand il accuse le gouvernement et l’Union Européenne d’avoir méthodiquement détruit EDF. La Cour des comptes n’est pas beaucoup plus tendre dans son rapport à ce sujet. Elle cite le « lancement précipité des chantiers de construction des deux premiers EPR, sur la base de références techniques erronées et d’études détaillées insuffisantes. Cette impréparation a également conduit à sous-estimer les difficultés de construction des EPR. »
« La perte de compétences techniques et de culture qualité de la filière nucléaire est aujourd’hui volontiers mise en avant pour expliquer les problèmes de construction de l’EPR » poursuit la Cour. « Mais les acteurs n’en avaient pas conscience au début des années 2000 et ce diagnostic n’a été effectué qu’avec retard, face aux difficultés »
Enfin, « l’ex Areva NP et ses sous-traitants ne sont pas parvenus à réaliser un certain nombre de pièces et de soudures en respectant ce haut degré d’exigence. EDF n’a informé l’autorité de sûreté nucléaire de l’existence d’un écart au référentiel d’exclusion de rupture pour les soudures de traversées qu’en 2017, alors que ces éléments étaient connus depuis octobre 2013. La transmission tardive à l’autorité de sûreté de ces éléments pourtant fondamentaux pour la sûreté traduit un manque de fluidité entre les acteurs du secteur et leur autorité de sûreté. » « La seule réparation des soudures de traversée entraîne un surcoût de construction de l’ordre de 1,5 Md€. »
Pour éviter que l’histoire ne se répète, le 9 juin, la ministre de la Transition Énergétique Agnès Pannier-Runnacher a donc annoncé un plan à 80 millions d’euros pour former la nouvelle génération d’ingénieurs de pointe, car les chantiers des futurs réacteurs EPR promis par Emmanuel Macron doivent commencer au plus vite, sous peine de ne pouvoir tenir les délais.
Le projet lauréat du gouvernement, « Nouveau Nucléaire, Nouvelles Compétences », doit faciliter le recrutement et la formation dans une vingtaine de métiers identifiés comme sensibles : chaudronniers, soudeurs, conducteurs de travaux, ingénieurs d’études conception en électricité, en mécanique… Des métiers industriels lessivés depuis 30 ans par les changements de cap des différents gouvernements. Anti-nucléaire après Fukushima, pro-nucléaire après l’invasion de l’Ukraine… Le gouvernement a maintenant à peine 5 ans pour reconstituer un vivier d’expertises industrielles s’il veut tenir le calendrier de construction des nouveaux réacteurs.
Autant dire que les annonces n’engagent que ceux qui y croient. En choisissant de communiquer autour d’un « plan Marshall » de formation, qui doit conduire à des dizaines de milliers d’emplois qualifiés, le pari est fait d’un effet d’entraînement du volontarisme, en oubliant peut-être au passage qu’une partie significative de la génération Z, biberonnée aux réseaux sociaux et aux séries, n’a pas tout à fait la base culturelle pour rêver réindustrialisation, technicité et effort. Les réacteurs EPR se multiplient à l’étranger ? En France, il faudra d’abord s’assurer de trouver des bons soudeurs.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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