Frédéric Ploquin : « Le marché de la drogue a résisté à une bonne douzaine de ministres de l’Intérieur »

Par Julian Herrero
19 septembre 2024 12:41 Mis à jour: 19 septembre 2024 15:43

ENTRETIEN – Frédéric Ploquin est journaliste, spécialiste de la criminalité organisée et auteur de nombreux ouvrages, en particulier Confessions d’un patriote corse : des services secrets français au FLNC (Fayard, 2024) co-écrit avec Jo Peraldi. Il revient pour Epoch Times sur l’impact du narcotrafic en France.

Epoch Times : Frédéric Ploquin, la ville de Grenoble fait beaucoup parler d’elle ces dernières semaines. Un employé municipal a été tué par balle le 8 septembre, le week-end dernier, deux hommes ont été blessés par des tirs de Kalashnikov. L’un des deux est mort. Selon Le Dauphiné Libéré, il y aurait eu depuis le mois de juillet 13 épisodes de violences avec armes à feu. Depuis quand remonte cette extrême violence au sein de la ville iséroise ?

Frédéric Ploquin : Le sang appelle le sang, c’est une constante chez les voyous. Un règlement de compte en appelle un autre. Cela fonctionne par vagues, et par cycle. Il y a des terreaux où l’on a l’habitude de régler les conflits par les armes, et de ce point de vue, Grenoble est la fille de Marseille.

La capitale du Dauphiné a toujours été irriguée par les réseaux criminels du sud de la France, qui y ont imposé leur culture. Les Italo-grenoblois ont longtemps tenu le pavé à coups de calibre. Les gangs qui tiennent le trafic de stupéfiants dans cette métropole ne s’entretuent pas depuis cet été, mais depuis déjà un quart de siècle.

Le narcotrafic serait-il devenu incontrôlable à Grenoble ?

Avec près de 4 milliards d’euros brassés chaque année en France, le marché de la drogue affiche une santé économique stupéfiante. Il n’a pas seulement résisté à la pandémie et à ses restrictions, mais une bonne douzaine de ministres de l’Intérieur s’y sont cassé les dents.

Chaque jour, les forces de l’ordre remportent de petites batailles contre les trafiquants, mais il faut repartir au charbon le lendemain.

Grenoble offre aux dealers une clientèle captive au fort pouvoir d’achat, sociologiquement comparable à celle qu’ils trouvent à Toulouse. Le « gâteau » attise les convoitises. Les acteurs de ce trafic craignent davantage leurs concurrents que l’État et sa justice.

Plusieurs autres villes en France sont touchées par le narcotrafic. Auditionné en avril par la commission d’enquêtes sénatoriales sur les narcotrafics, le ministre de l’Intérieur démissionnaire Gérald Darmanin déclarait que « la drogue est la plus grande menace sécuritaire que notre pays connaît ». Comment le trafic de stupéfiants a-t-il pu à ce point gangréner le territoire français ?

Les cartels de la drogue poussent à la consommation, avec des tarifs qui échappent à l’inflation. Les dealers font des émules, qui partent sans cesse à la conquête de nouvelles parts de marché. La drogue a quitté les grandes villes pour se répandre vers les villes moyennes, puis désormais vers les zones rurales.

Le problème, que soulignait le ministre de l’Intérieur, c’est que la drogue sème le chaos sur son passage, engendrant son lot de crimes annexes, ou connexes, du règlement de compte, qui surgit où on ne l’attendait pas, aux violences, des enlèvements à la corruption. Il n’y a pas que les balles perdues, il y a aussi cette propension à puiser dans le magot pour acheter toute sortes d’acteurs économiques, du docker au notaire, en passant par l’avocat et l’élu local.

Comment jugeriez-vous l’efficacité des opérations « place nette XXL » ?

En termes de communication, les opérations « place nette » permettent aux forces de l’ordre de montrer qu’elles ne restent pas inactives, et elles ne le sont pas. Les dealers communiquent à leur façon, pourquoi l’État s’en priverait ?

Le problème, c’est que le « ménage » doit être fait régulièrement, sinon la poussière revient vite. Les gérants de point de deal s’adaptent par ailleurs très vite. Ils recrutent la main d’œuvre loin de leur base, des petites mains qui ne seront d’aucune utilité en cas d’arrestation car elles ne connaissent même par leur patron. Ils sont surtout en train d’inventer l’après point de deal, une forme de commercialisation trop exposée.

La dimension internationale des réseaux ne rend-elle pas difficile, voire impossible la lutte contre le narcotrafic ?

C’est le propre de la drogue. Produite au Maroc, en Colombie, en Bolivie, au Mexique, elle est traitée par des organisations criminelles parfois aussi puissantes que certains États, jouissant d’appuis tout autour de la planète.

Les frontières sont suffisamment poreuses pour que le produit entre sur le territoire français. Les juges peuvent toujours rêver, mais leurs commissions rogatoires internationales butent sur la réalité du terrain. Au Maroc, où le shit est roi, comme dans de nombreux pays, l’argent généré par la drogue irrigue ouvertement le tissu économique. Cela complique singulièrement la lutte contre le narcotrafic.

De son côté Bruno le Maire affirmait au mois de mars devant la commission d’enquête de la chambre haute du Parlement sur les narcotrafics que « le narcotrafic et le terrorisme sont non seulement comparables dans leur intensité et dans la menace qu’ils font peser sur la France, mais ils sont liés ». Qu’en pensez-vous ?

Le lien entre terrorisme et narcotrafic est ancien, il suffit de se souvenir que la drogue a été l’un des principaux carburants du Hezbollah, fort des plantations de la plaine de la Bekaa. En Colombie, personne n’a oublié que Pablo Escobar avait commandité un attentat contre le ministre de la Justice du pays, qui prétendait l’extrader. Pourquoi les réseaux islamistes se priveraient-ils de cette manne ?

Au-delà, le ministre de l’Économie faisait peut-être référence aux victimes collatérales de la guerre des gangs, dont le seul tort était d’habiter un quartier pris en otage par les dealers. Une forme de terreur aveugle cependant dépourvue de cet habillage politique dans lequel se drapent les terroristes.

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