« Sous pseudo », Olivier* se fait passer pour un acheteur de faux arrêt maladie sur Telegram ou d’ordonnance falsifiée sur Snapchat. « J’interagis avec les fraudeurs » pour recueillir leurs données et démanteler des réseaux, explique ce nouvel « enquêteur judiciaire » de l’Assurance maladie.
Annoncés l’année dernière, les six pôles interrégionaux des enquêteurs judiciaires (PIEJ), installés au sein de caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) notamment à Paris, Lille ou Marseille, et leurs 60 agents spécialisés, sont la nouvelle arme de la Sécu pour lutter comme la fraude en ligne, en bande organisée ou « à enjeu » financier.
Dans les bureaux parisiens, 12 agents de la CPAM dotés de pouvoirs d’enquête judiciaire et un statisticien ont ainsi rejoint l’équipe de lutte contre la fraude, auparavant constituée d’une trentaine de personnes.
Ils disposent d’outils performants et de pouvoirs étendus, « c’est-à-dire certains pouvoirs de la police judiciaire, comme l’infiltration ou l’investigation ‘sous pseudonyme’, pour agir plus efficacement », en lien direct avec le parquet et les services de police/gendarmerie, explique à l’AFP Francine Bocquel, directrice des affaires juridiques de l’Assurance maladie parisienne.
Encore en phase de « rodage », ils seront opérationnels courant 2025 et saisis essentiellement de « dossiers d’ampleur » dont le préjudice dépasse souvent 100.000 euros.
628 millions d’euros de préjudice
En 2024, l’Assurance maladie a « détecté et stoppé » au total 628 millions d’euros de préjudice lié à la fraude, soit 35% de plus qu’en 2023.
La grande majorité de ce montant provient de vrais professionnels de santé, en particulier de pharmaciens, audioprothésistes ou infirmiers ayant par exemple facturé des « actes non réalisés » ou des « soins non nécessaires », selon Francine Bocquel.
Mais la fraude via les réseaux sociaux et messageries cryptées, qui inclut la vente de faux arrêts de travail et d’ordonnances falsifiées pour des médicaments très onéreux – servant parfois pour des trafics internationaux – se développe rapidement, poussant la Sécu à se perfectionner.
Certains escrocs « sont des personnes isolées » mais « on trouve des réseaux structurés qui s’apparentent à du grand banditisme », détaille la responsable du PIEJ parisien, qui, comme ses collègues, se doit de rester anonyme. Pas besoin de plonger dans le « darknet » : « en formation, il m’a fallu naviguer à peine dix minutes pour trouver de premiers cas de faux documents. N’importe quel quidam peut tomber dessus », soupire Olivier*, recruté en décembre après « 35 ans de gendarmerie ».
Il suffit au client de « se mettre en relation, d’être accepté, puis de payer par différents moyens plus ou moins sécurisés, comme Paypal » généralement « entre 10 et 50 euros », explique-t-il. L’identité des médecins prescripteurs est « réelle ou fictive », parfois usurpée. Grâce à des outils performants, « mon travail sera de localiser, identifier formellement les responsables, puis les amener devant la justice, tout comme ceux qui ont acheté ces prescriptions en connaissance de cause », résume-t-il.
Fausse ordonnance
Une enquête peut compter des milliers de protagonistes et des centaines de milliers de données à « traiter, structurer », avec l’objectif d’établir des liens pour « caractériser la bande organisée », sévèrement sanctionnée.
Près de lui, Margaux*, enquêtrice de l’équipe historique (sans pouvoir de PJ), affiche sur son écran une fausse ordonnance, signalée par un pharmacien. La même peut être présentée une vingtaine de fois dans la journée, dans plusieurs officines différentes. Les pharmaciens, qui échangent entre eux, alertent directement la CPAM via un outil dédié.
L’enquêtrice doit « vérifier » l’ordonnance, le comportement du prescripteur sur deux ans, celui de l’assuré, qui parfois trafique lui-même sa prescription… « Ça peut être des médicaments coûtant entre 3000 et 7000 euros la boîte, notamment contre le cancer, la sclérose en plaques », ou moins chers mais « détournés » de leur usage d’origine, détaille-t-elle.
Un outil permet aussi de « détecter dans nos bases de données des atypies » sur le profil d’un soignant, souligne une autre enquêtrice.
« Cette infirmière affiche un montant remboursé par patient de 11.816 euros, contre 655 euros en moyenne » pour les autres professionnelles de la région, pointe-t-elle, montrant une ligne surlignée de rouge. « Le point de départ d’une enquête de terrain ». Au total, l’Assurance maladie compte 1600 agents de lutte contre les fraudes.
*prénoms modifiés
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