Un insaisissable baron de la drogue mexicain enfin arrêté, un député assassiné et un gouverneur soupçonné : derrière la récente capture d’Ismael « Mayo » Zambada aux États-Unis, des zones d’ombre renforcent la méfiance entre Mexico et Washington.
Ismael Zambada a pu échapper aux polices des deux pays pendant quarante ans et il a survécu à des dizaines de projets d’assassinat de la part de ses rivaux. En février 2017, il échappait à un attentat ordonné par Damaso Lopez Nunez, surnommé «El Licenciado» (le diplômé), extradé peu après aux États-Unis où il a été condamné à la réclusion à perpétuité.
« Lorsque j’ai lu la lettre, j’ai eu l’impression de lire un roman », assure Mike Vigil, ex-agent de l’agence américaine antidrogue DEA, à propos d’un texte publié samedi par le narcotrafiquant de 76 ans qui régnait sur le cartel de Sinaloa et accusé d’avoir inondé lesÉtats-Unis de fentanyl, un opioïde ravageur. Sa détention jeudi au Texas est le plus gros coup porté au narcotrafic depuis l’extradition de son ancien complice, Chapo Guzmán, en 2016.
Une opération millimétrée
Le fondateur du cartel de Sinaloa affirme dans le document avoir été « kidnappé » et livré aux États-Unis par Joaquin Guzman Lopez, fils de Joaquin « El Chapo » Guzman. Ce dernier, également emprisonné aux États-Unis, cofonda avec lui le puissant cartel de la drogue.
« À 7 h 55 (jeudi 25 juillet), un pilote de nationalité américaine décolle de l’aéroport de Hermosillo, dans l’État de Sonora, dans le nord du Mexique. Un peu plus de deux heures plus tard, l’avion atterrit dans un petit aéroport privé près de la ville frontalière d’El Paso, au Texas, avec deux autres passagers », décrit El País América. À peine posent-ils le pied sur le sol des États-Unis que les deux hommes sont immédiatement appréhendés par les autorités américaines.
Une récompense de 15 millions de dollars pour la capture d’Ismael Zambada
Ismael Zambada et Joaquin Guzman Lopez sont ainsi arrivés aux États-Unis le 25 juillet à bord d’un avion privé, dont le pilote a disparu. Depuis, de multiples versions circulent, alors que les États-Unis offraient une récompense de 15 millions de dollars pour la capture du premier.
Washington et Mexico nient avoir planifié l’opération, bien que le gouvernement mexicain a fait référence à des conversations antérieures entre Guzman Lopez et des fonctionnaires américains. Le parquet fédéral mexicain a même annoncé qu’il poursuivrait les auteurs de l’enlèvement pour « trahison contre la patrie ».
Selon le parquet, l’avion qui a conduit M. Zambada et M. Guzman Lopez aux États-Unis portait un faux numéro d’immatriculation, et son pilote a eu « un comportement absolument irrégulier » en occultant son itinéraire aux autorités mexicaines et en ne signalant son arrivée qu’aux autorités américaines.
Un trafic de drogue qui « ne se produit pas en marge » des acteurs étatiques
Dans sa déclaration, M. Zambada explique être tombé dans une embuscade en se rendant dans une propriété près de Culiacan, la capitale de l’État de Sinaloa, pour y rencontrer son gouverneur, Ruben Rocha, un partisan du Président Andrés Manuel Lopez Obrador.
Joaquin Guzman Lopez lui aurait demandé de servir de médiateur dans un conflit entre le gouverneur et le député de l’opposition Hector Cuen. Ismael Zambada affirme que ce dernier a été assassiné à l’endroit même de la supposée embuscade… Le gouverneur a nié toute « complicité » avec le cartel fondé dans les années 1980, et affirmé que le jour de la rencontre présumée, il était à Los Angeles. M. Lopez Obrador et la présidente élue Claudia Sheinbaum ont soutenu ses dires.
Le Mexique a cependant une longue histoire de narco-politique. Genaro Garcia Luna, secrétaire à la Sécurité sous le gouvernement du Président Felipe Calderon (2006-2012) a été reconnu coupable à New York d’avoir protégé le cartel. Il pourrait être condamné à la prison à vie en octobre. De son côté, le parquet de Sinaloa a diffusé lundi une vidéo montrant un homme armé en train d’attaquer vraisemblablement le député Cuen, le 25 juillet, dans une station-service de Culiacan, renforçant sa version initiale d’un vol présumé.
M. Zambada évoque aussi la disparition de deux de ses gardes du corps, dont un supposé chef de la police locale. Cette affaire illustre le fait que le trafic de drogue « ne se produit pas en marge » des acteurs étatiques, « mais qu’il a besoin de la corruption pour exister et se développer », note Cecilia Farfan de l’Institute on Global Conflict and Cooperation (IGCC) de l’Université de Californie.
450.000 morts et plus de 100.000 disparus depuis 2006 au Mexique
Le cartel de Sinaloa est accusé par Washington d’être le principal responsable du trafic du fentanyl, un opioïde à l’origine de la mort de dizaines de milliers d’Américains chaque année. Au Mexique, les violences liées aux cartels (surtout ceux de Sinaloa et Jalisco Nouvelle Génération) ont fait 450.000 morts et plus de 100.000 disparus depuis 2006, date à laquelle le président conservateur Felipe Calderón avait militarisé la lutte contre les trafiquants, une «guerre à la drogue» qui n’a fait que renforcer les groupes criminels.
La version d’Ismael Zambada pourrait cependant être une manœuvre destinée à lui éviter un procès aux États-Unis, où il a déjà rejeté les accusations de trafic de drogue et de blanchiment d’argent. Selon l’expert en sécurité David Saucedo, il pourrait soutenir « qu’il y a eu une application extraterritoriale de la justice américaine pour contester un procès ».
Joaquin Guzman Lopez aurait livré Ismael Zambada
Mais cette hypothèse « ne tient pas la route », assure M. Vigil, qui voit des incohérences dans la version de Zambado, comme le fait que « le narcotrafiquant le plus recherché au monde » rencontre des fils du « Chapo », considérés comme ses ennemis, afin de résoudre un problème d’ordre personnel. Pour lui, l’hypothèse la plus crédible est que Guzman Lopez a livré Zambada parce qu’il négociait notamment des avantages pour lui et son frère Ovidio, extradé en 2023 aux États-Unis.
Au fur et à mesure que de nouveaux éléments du puzzle apparaissent, l’affaire semble dans tous les cas compromettre davantage la coopération antidrogue entre les deux pays, alors que des soupçons émergent, selon M. Saucedo, sur le fait que le gouvernement mexicain ait adopté une attitude « de bras croisés » face à la capture de chefs du narcotrafic.
« Révéler tous les liens » entre politique et narcotrafic
M. Lopez Obrador, qui accuse la DEA d’avoir échoué dans sa stratégie antidrogue, a répété lundi que l’arrestation des têtes du narcotrafic ne résolvait pas tout, et dénoncé le « modus operandi » de Washington visant selon lui à lier les gouvernements au narcotrafic. Le leader de gauche, qui terminera son mandat le 1er octobre, préconise d’en finir avec la criminalité en s’attaquant à la racine du mal, à savoir la pauvreté. Au milieu de ces divergences, qui ont conduit à limiter le rôle de la DEA au Mexique, il a néanmoins reconnu que l’affaire pouvait aider « à révéler tous les liens » entre politique et narcotrafic.
« El Mencho » nouvel ennemi public n°1
Le nouvel homme le plus recherché du continent américain est désormais Nemesio Oseguera Cervantes, alias «El Mencho», le capo du cartel Jalisco Nouvelle Génération. Les rumeurs sur sa mort circulent régulièrement, mais n’ont jamais été confirmées. Sa tête est mise à prix à 10 millions de dollars par la DEA, la police antidrogue des États-Unis.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.