ARTS & CULTURE

Irak : un défi colossal, reconstituer des « trésors de Mésopotamie » détruits par les jihadistes

janvier 8, 2025 10:30, Last Updated: janvier 8, 2025 16:47
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Sur le site de Nimrod, joyau de l’empire assyrien en Irak, des archéologues ont retrouvé des dizaines de milliers de fragments, vestiges d’un palais antique détruit par les jihadistes. Un défi colossal les attend : recoller bas-reliefs et sculptures d’animaux mythiques.

Après sa montée en puissance en 2014, le groupe terroriste État Islamique (EI) a pris possession de Nimrod, où ses combattants ont pulvérisé temples et palais à une trentaine de kilomètres de Mossoul, ancienne capitale jihadiste dans le nord de l’Irak.

Sur le site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, 500 bas-reliefs et dalles de toutes tailles ont volé en éclats, ainsi que plusieurs lamassu, ces fabuleux taureaux ou lions ailés à face humaine qui ornaient le palais du roi assyrien Assurnasirpal II, vieux de près de 3.000 ans.

Cette photo prise le 23 octobre 2019 montre une réplique d’un « lamassu », une divinité protectrice assyrienne représentée avec une tête humaine, un corps de lion et des ailes d’oiseau, préparée pour être dévoilée à l’université de Mossoul, dans la ville du nord de l’Irak.  À l’aide d’enregistrements 3D de fragments de lamassu, la fondation Factum Arte a créé des copies, érigées  à l’extérieur de la bibliothèque étudiante de l’université de Mossoul. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Grâce à des fouilles minutieuses, plus de 35.000 fragments ont déjà été collectés par les archéologues irakiens.

« A chaque fois qu’on retrouve un morceau et qu’il est remis à sa place originelle, c’est comme si on faisait une nouvelle découverte » archéologique, confie à l’AFP l’expert Abdel Ghani Ghadi, 47 ans.

Des experts en archéologie répertorient les objets archéologiques détruits sur le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. Dix ans après le saccage par les djihadistes du célèbre site irakien de Nimrud, les archéologues s’efforcent de reconstituer ses trésors antiques, brisés en dizaines de milliers de fragments minuscules. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Vu du ciel, les pièces du puzzle commencent à s’assembler. Les fragments appartenant à un même vestige sont disposés côte à côte, protégés par des bâches vertes.

Cette photo montre une vue du site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. Dix ans après son saccage par les djihadistes.(ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Malgré l’acharnement des jihadistes, on reconnaît sur un bas-relief Assurnasirpal II aux côtés d’un ange ailé à la barbe richement sculptée de petites bouclettes, une fleur ciselée au poignet.

Cette photo montre un artefact endommagé sur le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Sur un autre, des prisonniers menottés de régions rebelles domptées par l’armée assyrienne.

Couchés sur le flanc, on trouve aussi des lamassu partiellement reconstitués, ainsi que des parois couvertes d’écritures en cunéiforme.

La tête d’une statue de Lamassu, une divinité assyrienne souvent représentée comme un taureau ailé à tête humaine, repose sur le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

« Nimrod, c’est un patrimoine pour toute l’humanité »

« Ces sculptures sont des trésors de Mésopotamie (…). Nimrod, c’est un patrimoine pour toute l’humanité, une histoire qui remonte à 3.000 ans », s’enthousiasme M. Ghadi.

 

Cette photo montre une vue du site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. Dix ans après le saccage par les djihadistes du célèbre site irakien de Nimrud. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Fondée au XIIIe siècle avant J.C., Nimrod a abrité la deuxième capitale de l’empire assyrien. La cité a connu son apogée au IXe siècle avant J.C., lorsqu’elle était appelée Kalkhu (ou Kalhu).

Un véritable carnage

En 2015, des vidéos de propagande de l’EI avaient montré des jihadistes détruire à coups de bulldozer, de pioche ou d’explosifs certains monuments, dont le temple de Nabû, vieux de 2.800 ans et dédié au dieu mésopotamien de la sagesse et de l’écriture.

Un carnage semblable à celui perpétré au musée de Mossoul ou à Palmyre, en Syrie voisine.

« C’est un processus de collecte, de classification et d’identification »

Après la mise en déroute de l’EI en Irak dès 2017, les travaux de réhabilitation à Nimrod ont débuté en 2018, mais ont été interrompus par la pandémie de coronavirus, avant de reprendre en 2023.

« Jusqu’à présent, c’est un processus de collecte, de classification et d’identification », explique à l’AFP Mohamed Kassim, de l’Institut des recherches académiques en Irak (TARII).

Des experts en archéologie répertorient les objets archéologiques détruits sur le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Son organisation a fait le relais avec les archéologues irakiens ayant bénéficié, grâce à des financements américains, de formations de l’institut Smithsonian pour « sauver » Nimrod et préserver ses vestiges.

Cette photo montre une arche de pierre sur le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images

Encore 12 mois pour terminer les travaux de collecte

A ce jour, 70% des travaux de collecte ont été effectués dans les ruines du palais assyrien. Il faudra douze mois pour les terminer intégralement avant d’entamer la restauration à proprement parler, une « opération compliquée », reconnaît-il.

La restauration nécessitera « une expertise étrangère », et « un soutien international », tant « la destruction s’est faite de manière barbare », ajoute-t-il. Un coup porté au cœur « d’un des sites antiques les plus importants de la civilisation mésopotamienne ».

Cette photo montre les vestiges d’un temple de Nabu sur le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. (ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images

Nimrod « témoigne de l’art et de l’architecture de la civilisation assyrienne, à un moment où sa production artistique atteignait des sommets », rappelle-t-il. Fouillée dès le XIXe siècle, Nimrod avait acquis une renommée internationale lorsque d’immenses lamassu furent rapportées au British Museum de Londres, ou au Louvre de Paris. D’autres artefacts venus du site –où séjourna l’autrice britannique Agatha Christie avec son deuxième mari, un archéologue– étaient exposés à Mossoul et à Bagdad.

Encore « dix ans » de travail et besoin « d’expertises supplémentaires » et de « financements »

En visite à Nimrod, le ministre de la Culture a salué « l’effort difficile » de ses archéologues pour rassembler les pièces brisées, en comparant ce qu’ils avaient sous la main avec « des dessins et des photos ».

Le ministre irakien de la culture, Ahmed Fakak al-Badrani (C-L), visite le site archéologique de Nimrud, au sud de Mossoul, le 3 janvier 2025. ( ZAID AL-OBEIDI/AFP via Getty Images)

Il rappelle que les destructions rendent pour l’heure impossible le recensement des antiquités volées par l’EI. Pour recoller les morceaux, ses équipes auront besoin « d’expertises supplémentaires » et de « financements », plaide-t-il. « Il nous faut des produits spéciaux, propres à l’archéologie, pour recoller ces fragments qui ont été brisés », explique le responsable.

Son pronostic : environ « dix ans » de travail avant de voir les vestiges du palais entiers à nouveau.

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