Un projet de loi visant à séparer les banques d’investissement des banques de dépôt a été proposé en Italie par le parti au pouvoir Fratelli d’Italia, tandis qu’après la déroute de Credit Suisse, certains experts pointent du doigt la branche d’investissement de l’ancien numéro 2 des banques helvétiques. De quoi raviver un vieux débat sur le rôle des banques d’investissement dans les crises financières.
Dans l’espoir de constituer un ensemble de mesures capables de protéger les banques italiennes d’une contagion suite à la faillite de banques en Amérique et du rachat de Crédit Suisse par UBS en Europe, quinze députés italiens — dont l’ancien ministre de l’Économie Giulio Tremonti — ont déposé un projet de loi qui prévoyait la séparation des banques d’affaires de celles de dépôt, comme le rapporte Reuters le mardi 29 mars.
Pour justifier ce texte, les parlementaires ont prétendu que l’association des banques commerciales et des banques d’affaires revenait à autoriser les banques commerciales à spéculer avec l’argent que le grand public y plaçait, ce qui représentait un « impact négatif sur l’économie réelle et portait atteinte aux principes les plus élémentaires de protection des fondations sociales et éthiques de l’économie ».
Séparer les banques de dépôt et d’investissement : un vieux débat
Bien que les « Frères d’Italie » (Fratelli d’Italia) se présentent comme un mouvement de droite conservateur, l’idée d’une séparation totale des banques de dépôt et des banques d’affaires qu’ils défendront n’est pas réservée à une couleur politique particulière. La preuve, Elizabeth Warren, figure importante de l’aile gauche des démocrates américains, a voulu voir les banques scindées en deux branches distinctes, l’une d’investissement et l’autre de dépôt. Elle s’est en effet associée en 2015 avec trois sénateurs américains, dont John McCain, dans une tentative de restaurer une loi adoptée après la Grande Dépression, baptisée « Glass Steagall Act ».
Cette loi, portant les noms de deux sénateurs démocrates, érige en 1933 la distinction entre les banques d’investissement et les banques de dépôt. Elle a été abrogée en 1999 sous la présidence d’une autre figure démocrate, Bill Clinton.
Presqu’en même temps que l’abolition du Glass Steagall Act, Citigroup, la plus grande banque du monde, selon le classement de Forbes à l’époque, est née suite à une fusion de la banque de dépôt Citicorp et de la compagnie d’assurance Travelers Group.
La géante Citigroup est juste un exemple entre autres pour illustrer le besoin d’alors des milieux d’affaires de concilier à nouveau les banques de dépôt qui recueillent la liquidité avec les banques d’investissement qui alimentent les activités économiques, afin d’accélérer les économies d’échelle et la mondialisation vers une étape supérieure, laquelle est marquée par l’entrée de la Chine communiste dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001.
Quelques années plus tard, Lehman Brothers, cinquième banque d’investissement américaine à l’époque, a déclaré faillite en septembre 2008, entraînant dans son sillage une véritable contagion bancaire, laquelle touchait plusieurs grandes banques à l’échelle mondiale, dont Citigroup dans notre exemple, qui a enregistré une perte d’environ 10 milliards de dollars rien qu’au quatrième trimestre 2007.
Plusieurs économistes de renom ont par la suite critiqué l’abrogation de la loi sur la séparation des banques d’investissement et des banques de dépôt, comme par exemple les deux prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, dans son ouvrage La grande facture, et Paul Krugman dans les médias.
Le rôle des banques d’investissement dans les crises bancaires
Avant leur disparition en 2008, les banques d’affaires comme Bear Stearns et Lehman Brothers empruntaient à très court terme et détenaient des actifs risqués à long terme, avec de faibles niveaux de réserves pour couvrir les conditions changeantes du marché.
Contrairement aux banques de dépôt, les banques d’investissement n’étaient pas soumises aux restrictions réglementaires qui accompagnaient les exigences de fonds propres. De plus, elles n’avaient pas non plus les mêmes exigences de réserves, ce qui leur permettait d’accroître davantage leur effet de levier.
Le taux directeur particulièrement bas pratiqué par la banque centrale américaine (Fed) depuis 2001 a constitué un autre facteur qui permettait à ces institutions financières d’emprunter de plus en plus d’argent — c’est-à-dire d’augmenter leur effet de levier — pour financer leurs achats de titres liés aux prêts hypothécaires. Cette politique monétaire accommodante était inflationniste, provoquant un gonflement de bulles sur les actifs immobiliers et pétroliers. Pendant les années de hausse des prix des actifs, la dette à court terme de ces banques pouvait être reconduite comme sur des roulettes.
Pour contrer l’inflation, la Fed a décidé d’augmenter d’un seul coup le taux directeur de 1% à 5% en 2006. Ce choc de taux a provoqué l’éclatement de la bulle financière. L’apparition soudaine de l’incertitude sur les prix des actifs a amené les prêteurs à refuser brusquement de reconduire leurs dettes, et les banques surendettées se sont retrouvées exposées à la chute des prix des actifs avec très peu de capital en réserves. Bear Stearns a été rachetée en mars 2008 par JPMorgan Chase Bank, à seulement 2 dollars l’action. Lehman Brothers, quant à elle, a déclaré faillite en septembre 2008.
Du déjà-vu ?
Quinze ans se sont écoulés depuis cette épisode de la Grande Récession, et le secteur bancaire est en train d’enregistrer une nouvelle série de déboires, concernant plusieurs banques américaines et européennes. « On est dans un scénario qui ressemble à des choses que l’on a vues en 2008 », souligne Laurence Scialom, professeure d’économie de l’Université Paris Nanterre, avant de continuer :
« Dans les périodes précédentes, les banques ont accumulé des fragilités dans leur bilan, qui sont masquées d’une certaine manière parce que le prix des actifs augmente, et que l’on se finance facilement [avec un taux très bas]. Au moment de resserrement de la politique monétaire, [avec une hausse de taux d’intérêt], ces fragilités se dévoilent, et basculent au bout d’un moment. C’est exactement ce qui s’est passé avec la crise des subprimes [en 2008] ».
Dans le cas de Credit Suisse, c’est exactement sa branche de financement et d’investissement (BFI) qui accumulait les « fragilités ». Non seulement impliquée dans des affaires juridiques liées à un blanchiment d’argent de la mafia bulgare et des prêts illicites au ministre des Finances du Mozambique, la BFI a également causé la perte de 5 milliards d’euros de Credit Suisse en 2021 suite à l’effondrement du fonds d’investissement Archegos Capital Management.
Avant d’être rachetée par son rival UBS, Credit Suisse avait l’intention de se séparer de sa branche BFI avec la création d’une nouvelle entité juridiquement indépendante baptisée « CS First Boston ».
« La solution [de créer CS First Boston] était élégante car elle permettrait à Credit Suisse d’économiser les coûts de restructurations liés aux licenciements, permettrait aux employés de conserver leur emploi et aux actionnaires du Credit Suisse de participer à tout rebondissement des conditions de marché », a estimé Andreas Ita, dirigeant de la société de conseil Orbit36. « Mais à la fin, Credit Suisse a manqué de temps ».
En Italie, le parti au pouvoir Fratelli d’Italia tente de rattraper le temps pour soumettre au vote parlementaire leur proposition de loi qui, selon eux, peut sauver la péninsule du risque de contagion bancaire. En France, le débat sur la séparation des banques d’investissement et des banques de dépôt n’est pas nouveau, comme l’a souligné l’appel du député Pierre Larrouturou sur Les Echos en 2015 : « Il est urgent aujourd’hui de rétablir une séparation stricte entre banques de dépôt et banques d’affaires pour qu’elles ne puissent plus spéculer avec l’épargne des ménages et ne bénéficient plus de la garantie de l’État. Sans cette garantie, elles seraient beaucoup plus prudentes : en cas de pertes, leurs actionnaires paieraient l’addition. Et, en cas de crise majeure, leur faillite n’aurait qu’un impact très limité sur l’économie réelle alors que les conséquences seraient catastrophiques si les banques de dépôt et banques d’affaires restaient liées ».
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