Le 14 mars, la Commission européenne va chercher à réformer les règles du marché de l’électricité européen. L’objectif affiché est d’empêcher l’envol des prix de l’électricité pour les consommateurs des différents pays européens et de permettre un meilleur financement des énergies renouvelables.
Dans le but de comprendre la structure actuelle du marché européen de l’électricité, Jean‑Philippe Delsol, président du « think tank » libéral et européen IREF, a répondu à nos questions.
Epoch Times : L’UE entend mener une réforme structurelle du marché de l’électricité. Que faut‑il attendre en termes de nouvelles régulations et de politique énergétique ?
Jean‑Philippe Delsol : Avec l’Europe, on attend toujours le pire. Les débats entre les pays européens définiront de nouvelles règles. Ce qui est sûr, c’est qu’en fait, aujourd’hui, on a tous les inconvénients du système. Parce que l’Europe a créé au cours des quinze dernières années un système que tout le monde dit libéral et qui, en fait, est tout sauf libéral.
Cela part d’un système qui est complètement administré, qui part d’un principe qui veut que, pour réguler un marché, le produit est géré comme une rareté, ce qui est le principe même de tout marché économique. Mais si on veut le gérer en continu, éviter les disruptions, éviter les ruptures d’approvisionnement, il faut le régler sur la source la plus rare, plus exactement la dernière source qu’on n’utilise, qui est donc la plus chère. Le marché européen a été conçu depuis une quinzaine d’années, selon le principe qui veut que chaque source de production, vent, soleil, gaz, pétrole, charbon, chaque source de production, chaque type de centrale électrique propose en continu son offre sur le marché de gros et le prix du produit à tout moment est fixé en fonction du prix de l’offre la plus chère. L’idée de ce principe est de permettre un approvisionnement continu, ce qui a été le cas jusqu’à maintenant.
En même temps, on savait que les sources les moins chères se vendraient à un prix plus élevé que leur prix normal ; elles pourraient en retour accumuler des profits pour réinvestir et cela était censé réguler le marché vers l’avenir en le portant vers des sources moins carbonées, en particulier. Le principe est défendable. Sauf que ça n’a pas fonctionné, du moins modérément en termes de flux et de prix.
Jusqu’à la crise de 2020, c’est‑à‑dire la crise du pétrole russe et de la guerre d’Ukraine en particulier, cela a fonctionné quand les prix restaient dans une certaine fourchette. Mais dès que les prix se sont tendus à la hausse, en réalité, ça a contribué à des profits qu’on peut dire exceptionnel. Mais ça n’a pas marché en termes d’investissement. C’est‑à‑dire que toutes ces sources d’énergie ont continué à vendre leurs produits et à faire des profits. Mais les profits n’ont pas été suffisamment importants en situation normale pour investir. Pourquoi ? Parce que le marché européen, et en particulier le marché français a été sur‑administré.
Le système de marché est en effet contraint par des règles de plus en plus nombreuses. Par exemple, en France, le système a été contraint par des prix plafonds et des prix réglementés. Il a été contraint également du fait que l’État a subventionné des sources non carbonées comme l’éolien et le solaire pour développer ces sources et garantir leur prix à des niveaux bas. Cela a en fait créé une sorte de fausse concurrence sur le marché. Parallèlement, l’État a conservé la mainmise sur le marché, notamment au travers de la société nationalisée. C’était un établissement public, EDF, qui gérait toute l’électricité.
Avec la pseudo libéralisation imposée par l’Europe, EDF a été obligée de se transformer en société anonyme. Sauf que cette société anonyme qui produit notamment l’énergie nucléaire qui représente en France pratiquement 60% de la production électrique. Cette société anonyme est restée détenue à 80 voire 85% par l’État qui a continué à y faire la loi. C’est‑à‑dire que tous les acteurs étaient de faux acteurs. Les sociétés éoliennes et solaires étaient des acteurs qui étaient en fait financés par les prix garantis et les subventions de l’État. EDF était une société qui était soumise à la décision de l’État et les autres acteurs étaient marginaux.
Donc en fait, ce marché est devenu tout entier administré et il n’a pas fonctionné.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a expliqué que l’une des motivations pour cette réforme européenne est de pouvoir adapter la structure du marché à la production d’énergies renouvelables. Que penser de cette orientation et des moyens qui y sont consacrés ?
Le vrai problème de l’Europe, c’est qu’elle est surtout soumise au diktat des écologistes. Les écologistes ont décrété qu’il fallait à un terme relativement bref n’utiliser que des énergies entièrement décarbonées. De mon côté, je considère que le nucléaire est la première source d’énergie vraiment décarbonée. Elle a ses inconvénients, comme toute énergie, mais elle est entièrement ou quasi entièrement décarbonée. Le vent et le solaire le sont aussi, bien sûr. Sauf que le vent et le solaire ne produisent que de manière intermittente et aléatoire. On sait que l’énergie éolienne, par exemple, produit entre 20 et 30% du temps et de manière aléatoire, on ne sait pas quand elle va produire.
Évidemment, ce n’est pas très important quand cette énergie est marginale, quand sur le marché, les éoliennes et le solaire représentent de 2 à 7% de la production. On peut facilement les utiliser tout en comblant avec d’autres énergies. Il faut rappeler qu’en l’état actuel de la science de la technique, l’énergie électrique n’est pas stockable ou quasiment pas.
Quand ces énergies non renouvelables ne sont que marginales, pas de problème. Sauf que toute la politique européenne a consisté à faire monter en puissance ces énergies renouvelables, qui aujourd’hui, selon les pays, peuvent représenter jusqu’à, 30% de la fourniture électrique. Si 20 ou 30% de votre fourniture d’électricité est intermittente et aléatoire, et bien cela déstabilise le marché entier de fourniture électrique, car au fond, cela soumet les autres productions électriques aux aléas de cette production. D’autant plus qu’une règle a été instituée par Bruxelles : les productions d’énergie non carbonées, comme le vent et le soleil, doivent avoir une priorité de fourniture. Quand elles produisent, ce qui est occasionnel, elles ont une priorité de vente. C’est cet ensemble de priorités, de vente, d’aléas et d’intermittence qui déstabilise complètement le marché. Ceci ne va pas cesser, sauf si on admet que l’énergie nucléaire est véritablement l’énergie non carbonée qui doit être privilégiée, pour finalement amortir le principal choc des aléas de la consommation électrique.
Le vrai problème de notre Europe est que Mme Angela Merkel, sur une sorte de coup de folie, s’est soumise aux écologistes, pensant que cela lui permettrait de conserver une majorité plus confortable que celle qu’elle a finalement perdue. Angela Merkel a décidé de stopper toutes les centrales nucléaires allemandes. Finalement, il n’en reste deux ou trois en service, mais qui sont en sursis, qui ont été laissées en sursis à cause de la crise énergétique créée par la Russie. Cette manœuvre a déstabilisé l’ancien marché européen et cette décision de Mme Merkel a en plus soumis l’Allemagne à la bonne volonté russe. Elle a affaibli l’Allemagne face au danger russe.
Comment évaluez‑vous l’impact du choix de la politique énergétique allemande sur les autres pays européens. La France semble prendre un chemin similaire, avec la fermeture des centrales nucléaires et les subventions aux énergies renouvelables.
De toute façon, la France est soumise à des minorités écologistes agissantes, juste un peu moins que l’Allemagne. On sait que les écologistes sont plus forts en Allemagne qu’en France, mais la France continue à abonder très largement les énergies non renouvelables, non carbonées de type vent et soleil, au détriment de la stabilité du système électrique français et européen.
Les choix énergétiques d’un pays ne sont pas négligeables pour ses voisins pour différentes raisons. D’une manière générale, et c’est une très bonne chose, les réseaux électriques des différents pays d’Europe sont interconnectés. C’est d’ailleurs ce qui a permis d’aider beaucoup l’Ukraine face à la destruction massive par la Russie de centrales, que ce soit des centrales nucléaires dont la Russie a interrompu la production ou de centrales thermiques qui ont été bombardées. Dans ces deux cas, finalement, l’Europe a assuré un vrai relais par l’interconnexion. Mais en même temps, cette interconnexion peut rendre les pays européens très dépendants les uns des autres.
Vous avez récemment écrit qu’il existe une sorte de « collusion entre les fournisseurs privés et publics, et les autorités publiques, une sorte de capitalisme, ou plutôt d’étatisme, de connivence qui protège les intérêts des entreprises sans égard aux consommateurs ». Est‑ce que vous pouvez expliquer ?
Mon point de vue est que le système actuel soutient l’aide publique aux énergies décarbonées de façon très démesurée. Au point de créer effectivement des niches de privilèges soutenues finalement par de l’argent public. Et ces privilèges ont été exploités par des entreprises privées qui, parallèlement, soutiennent peu ou prou des lobbys écologiques pour forcer l’État à continuer à alimenter finalement leurs sources de revenus et de capitalisation de profits sous forme de plus‑value sur des énergies et sur des sociétés qui gèrent ces énergies.
L’État prend‑il, selon vous, vraiment en compte l’intérêt du consommateur pour accéder à une électricité la moins chère possible, et si oui, dans quelle mesure ?
L’État cherche toujours à garantir des prix raisonnables sur les produits de première nécessité pour les consommateurs. L’électricité est incontestablement un produit de première nécessité. Nous en avons tous besoin. On comprend donc le souci des gouvernements de pouvoir rendre cette alimentation permanente et à des prix raisonnables quand c’est possible. Ceci étant, l’État français, plus que d’autres États, a une fâcheuse habitude de vouloir tout contrôler en pensant que si c’est l’administration qui contrôle, cela va bien se faire. L’administration de l’État est très importante en France. On sait que l’on dispose de près de 6 millions de fonctionnaires en France, c’est‑à‑dire environ 10% de la population, et environ 20% de la population active, ce qui est considérable, beaucoup plus que dans beaucoup de pays. Cette administration pense qu’elle détient le savoir, un peu comme dans la vieille Chine, vous le savez, où les mandarins pensaient à détenir le savoir et contrôler l’empereur lui‑même. C’est pareil en France, au fond. Cette administration pense que si elle contrôle le marché électrique, ça va mieux marcher. Sauf qu’en fait, comme elle n’a pas conscience des mécanismes de marché, elle agit de façon à permettre de garantir effectivement la fourniture de l’électricité à un certain prix, mais à des coûts exorbitants pour elle, et dans des conditions qui ne sont pas saines pour l’avenir.
Je vais prendre un exemple. En conservant la main mise sur la production d’énergie nucléaire qui, en France, je l’ai dit, représente 60% de la production électrique, et ce via une société EDF contrôlée entièrement par l’État à 80 à 85% de son capital, on pensait que l’État ou que ses fonctionnaires continueraient à réguler le marché. Sauf que ses décisions sont elles‑mêmes politiques avant d’être économiques. C’est‑à‑dire qu’au lieu de penser à l’avenir du marché électrique, ils ont pensé à l’avenir de leur prochaine élection et aux postes qu’ils occupaient dans ce marché électrique. Finalement, qu’est-ce qui s’est passé ? Eh bien, les décisions économiques qui ont été prises au niveau d’EDF n’ont pas été conformes au futur du marché. Par exemple, l’ancien président François Hollande et à son tour Emmanuel Macron ont pensé qu’on pouvait démanteler le nucléaire. Donc, ils ont donné comme consigne qu’il n’y avait plus à former, continuer à former, à embaucher de bons ingénieurs nucléaires et que l’on avait plus à continuer d’entretenir, de maintenir, de rendre durables nos centrales nucléaires. Il fallait les démanteler… On a cassé l’outil.
Au lieu de permettre à EDF de faire des profits dans les bonnes années, comme en font toutes les sociétés privées saines pendant les bonnes années, on fait des profits pour investir et pour éviter de mauvaises années. Mais l’État a continué de pomper les profits d’EDF, de mettre à la charge d’EDF des obligations, notamment sur les prix de marché, qui ont pesé sur ses profits et lui ont créé des pertes. EDF, l’an dernier en 2022, a subi près de 18 milliards de pertes, ce qui est considérable et ce qui l’empêche d’investir. Alors même que le pouvoir donne aujourd’hui pour consigne de construire de nouvelles centrales nucléaires dans les deux prochaines décennies – ce qui est une très bonne chose. Sauf qu’EDF n’a plus les moyens parce qu’on lui a imposé des obligations de prix réglementés qui ont pesé sur ses profits. On lui a imposé un autre modèle.
L’Europe est coupable aussi. L’UE a eu l’idée au début des années 2000, de créer un vrai marché de la fourniture électrique pour les consommateurs, que ce soit le consommateur industriel ou commercial d’une part, ou le consommateur privé, les ménages, d’autre part.
Dans le principe, pourquoi pas, c’est plutôt une bonne chose. Sauf qu’au lieu de permettre, comme aux États‑Unis, qu’EDF soit démantelée entre plusieurs sociétés qui seraient en gestion des centrales nucléaires – éventuellement dans le cadre de concessions publiques – et en permettant aux meilleurs gestionnaires de vendre moins cher et de sélectionner comme ça les meilleurs acteurs du privé… la France a conservé un seul producteur nucléaire public, EDF, et l’a obligé à vendre une partie de son électricité, selon un mécanisme qui s’appelle l’ARENH, à un prix fixe bas de 42 € le mégawattheure à des producteurs privés qui se présenteraient à son guichet pour le revendre. On a en fait créé un marché administré et régulé par des prix de cession. Et à tous, on a donné le même prix, ce qui veut dire qu’en réalité, on a créé un faux marché. Et les faux marchés, ça ne marche pas. On ne peut pas vouloir bénéficier des avantages d’un marché libre en administrant un marché qui ne l’est pas. Un marché administré, ce n’est pas un marché. C’est en fait une sorte de fonctionnement étatique, voire soviétique.
Peut‑on croire qu’il y a finalement une captation de ressources économiques par l’État à l’origine de la création et de la gestion de ce marché ?
L’État français et l’administration européenne ont voulu conserver ce monopole de fait, mais avec la pression de beaucoup de pays, parce qu’il y a beaucoup de pays libéraux en Europe qui disaient « non, il faut libérer le marché », ils ont trouvé une astuce, ils ont créé des mécanismes de privatisation, mais avec des réglementations. Tant sur les conditions de vente, de circulation, de production et de délivrance des fournitures que sur les prix qui font qu’ils ont gardé une sorte de quasi‑monopole. Ils réglementent le marché à un point tel, que le marché ne peut pas fonctionner dans des conditions normales. Et tant l’Europe que la France ont fait cela. De mon point de vue, il y a une raison inavouée, qui est que les fonctionnaires aux manettes ne bénéficient de leurs avantages de fonctionnaire que parce qu’ ils jouent un rôle dans ce système.
Et s’ils avaient perdu leur place, ils auraient été licenciés. Donc ça, c’est la raison latente, inavouée, que peut‑être ils se dissimulent à eux‑mêmes. Je ne suis pas sûr qu’ils en soient conscients.
Et puis, il y a aussi une sorte de collectivisme latent dans la mentalité européenne. Et en particulier dans la mentalité d’Europe du Sud et de France qui fait qu’il était normal pour eux qu’on ne fasse pas ce sacrilège de libérer le marché, de le rendre à des sociétés privées. Cela n’aurait pas pu fonctionner dans leur tête. Ils sont trop habitués à penser que c’est l’État qui doit rester le maître de tout et que les sociétés privées, le privé, ne gèrent que leurs intérêts propres, jamais celui du consommateur. Ils n’ont pas compris que le système de marché privé ne fonctionne que s’il sert les consommateurs. Et qu’il ne fait du profit que s’il sert bien les consommateurs. Ce raisonnement‑là leur est étranger.
Propos recueillis par David Vives, NTD.
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