Dénonçant leur « souffrance » au travail et leur « désespérance », magistrats et greffiers se sont rassemblés mercredi partout en France aux côtés des avocats pour réclamer des moyens « dignes » pour la justice, alors que le malaise grandit au sein des tribunaux.
Cette « mobilisation générale pour la justice », à l’appel de 17 organisations, intervenait trois semaines après la déflagration d’une tribune criant l’épuisement et la perte de sens de ceux qui rendent la justice au quotidien.
De Bastia à Rennes, de Strasbourg à Montpellier, des robes noires et rouges ont brandi des pancartes proclamant « J’ai honte de ma justice », « De juger mon cœur s’est arrêté » ou « Justice malade », un mot-clé sous lequel magistrats et greffiers témoignent de leurs conditions de travail sur les réseaux sociaux.
Nous étions nombreux et FATIGUÉS #JusticeMalade #Justice #Rouen #JusticeMorte
Fin de la manifestation mais pas de la colère. @USM_magistrats @SMagistrature @CNBarreaux pic.twitter.com/5rmggYzf9z
— AuPalais (@palais_au) December 15, 2021
« Une première étape »
À Paris, plusieurs centaines de magistrats, greffiers et avocats – 650 selon la préfecture de police – se sont rassemblés à la mi-journée devant le ministère de l’Économie, demandant : « Et ils sont où et ils sont où les recrutements ? » Une délégation de l’intersyndicale était reçue à partir de 19H00 par le cabinet du ministre des Comptes publics.
« Il faudra inventer d’autres moyens pour rendre la justice car la justice n’en peut plus », a lancé la présidente de l’USM (majoritaire), Céline Parisot.
« On n’a jamais vu une telle mobilisation, une unanimité dans le constat d’une justice déshumanisée », a renchéri Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), pour qui cette journée est « une première étape ».
Une politique d’ « abattage »
Les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé des préavis de grève – « une première » pour l’USM – un mouvement qui s’est traduit par le renvoi d’audiences, hors urgences.
Selon des remontées partielles d’environ 80% des juridictions, 673 magistrats s’étaient déclarés en grève à 14H00 sur un effectif de 7357 magistrats, a indiqué le ministère de la Justice dans la soirée.
À Nantes, le procureur de la République adjoint Yvon Ollivier a dénoncé une politique d’« abattage ». « On travaille de plus en plus vite, mais derrière les dossiers il y a des gens, qui ont besoin d’être jugés correctement ».
Ce rare mouvement de colère a rassemblé plusieurs centaines de professionnels à Bordeaux, environ 400 à Marseille, 300 à Lyon, 230 à 400 à Strasbourg, 200 à Rennes, une centaine à Nice, Besançon, Grenoble et Chambéry, quelques dizaines aussi à Orléans, Dijon ou Bastia.
« Depuis des années, on est en souffrance. On fait des heures exponentielles, on n’en peut plus. Hier soir, un collègue est resté au palais jusqu’à 02H30 du matin et ce matin il était à son poste à 08H30 », a raconté Céline, greffière au tribunal pour enfants de Nice.
Une » justice exsangue »
À Strasbourg, « il y a 74 postes de personnels de greffe vacants, sur 270, c’est plus d’un quart », a assuré une autre greffière, Caroline Barthel.
À Lille, une minute de silence a été observée en hommage à Charlotte, une magistrate qui avait mis fin à ses jours fin en août, drame à l’origine de la tribune publiée le 23 novembre dans Le Monde.
Cet après-midi, notre élue @lilleverte @NSedou était présente avec @Aneth_Hh en soutien à la manifestation des magistrat•es à #Lille. Une minute de silence a été faite en mémoire de Charlotte, magistrate à Bethune qui s’est suicidée cet été. Pas de démocratie sans #justice ! pic.twitter.com/sQMkzrtVTA
— EÉLV Lille Lomme Hellemmes et environs ? ?? (@EELV_Lille) December 15, 2021
Intitulé « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout », ce texte a obtenu un succès aussi fulgurant qu’inédit : il a été signé par 7550 professionnels, dont 5476 magistrats (sur 9000) et 1583 greffiers.
Un constat partagé par la hiérarchie judiciaire : les représentants des chefs des cours d’appel et des tribunaux judiciaires ont souligné à leur tour une « situation devenue intenable ». Des premiers présidents de cours d’appel et des procureurs généraux se sont joints, comme à Bastia, aux rassemblements.
La contestation a même gagné la Cour de cassation : ses magistrats avaient dénoncé lundi « une justice exsangue, qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt des justiciables ».
Eric Dupond-Moretti affirme avoir « réparé l’urgence »
Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a tenté de calmer la fronde, venue percuter les États généraux de la justice lancés mi-octobre par le gouvernement.
Il a notamment annoncé lundi l’augmentation du nombre de places au concours de l’École nationale de la magistrature pour permettre l’arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de 1400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité.
Dans un message mardi aux magistrats et agents judiciaires, le ministre s’est dit « déterminé à améliorer durablement (les) conditions de travail et le fonctionnement de la justice ».
Et mercredi, il a réaffirmé sur France Inter avoir « réparé l’urgence ». « J’espère qu’il n’y a pas d’instrumentalisation (de la mobilisation) mais je ne peux l’exclure », a-t-il aussi glissé, à quelques mois de la présidentielle.
« Les magistrats ne roulent pour personne », a répliqué dans le cortège parisien, Christophe Bouvot, de l’association nationale des juges des contentieux et de la protection.
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